« L’écoute et l’obéissance », compréhension et application
« L’écoute et l’obéissance », compréhension et application :
un problème historique et politique du sunnisme ?
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Lorsque l’on écoute le dernier audio du « calife de l’EI » ou que l’on écoute le discours de ses ennemis dans le monde musulman, on remarque que les idées et arguments sont exactement les mêmes : il faut écouter et obéir au pouvoir. Tous reprennent une argumentation théologique historique et l’instrumentalisent à leur propre compte, issue des sources islamiques comme gage d’authenticité absolue, il n’en reste pas moins que leurs interprétations et utilisations sont largement sujettes à caution.
Certes, la condition qui est émise, de tout temps, est que l’écoute soit dans le licite, tant qu’il n’ordonne pas le mal, et que le gouverneur soit issu de vous, musulmans (« minkoum »).
La théorie sunnite et tout le fiqh qui en découle explique bien à qui nous devons obéissance, même à l’injuste qui nous frappe ou nous prend nos biens (simples péchés du gouverneur dans les limites du droit) et à la condition qu’il applique sur nous la Salat (qu’il la rende obligatoire ou selon une explication plus scientifique et réelle, le sommet de l’islam étant la prière : qu’il applique et préserve l’islam et ses fondements au sein de la société).
Mais dans la pratique réelle, il ne faut pas se leurrer et être un peu honnête avec la réalité. L’obéissance a très largement dépassé le cadre théorique, il est devenu un instrument de docilité et de soumission pour n’importe quel détenteur du pouvoir, et il est bien là, le problème en philosophie politique islamique, tel qu’on nous l’a toujours présenté et appris.
Car en effet, que ce soit Al Baghdadi ou Al Saoud, Sissi ou Moubarak, Ben Ali ou Sibssi, M6 ou Bouteflika, tous leurs affidés reprennent ce discours: mais où est la véritable LÉGALITÉ ou pire : où est la LÉGITIMITÉ ?
Pendant les années 1890-1910, dans les derniers temps du Maroc « libre », des orientalistes français qui avait très bien étudié le fiqh malékite, avaient déjà perçu dans ce point la possibilité de soumettre tous les marocains à la domination française : il fallait simplement contrôler le sultan pour contrôler la masse musulmane… (ce qui en l’espèce avait été très bien appliqué par les colonisateurs).
Il y a plusieurs années de cela, un député juif de la Knesset avait même invoqué cette argumentation pour contraindre les « arabes israéliens » à se soumettre aux décisions d’Israël.
Le comble le plus loufoque est que certains aujourd’hui utilisent ce même discours religieux musulman pour un pouvoir fondamentalement non-musulman en Occident : ainsi nous voyons certains, après avoir vu leurs mosquées, fermées par le ministère de l’intérieur, dire à leurs affiliés, ” il n’est pas de la sounna de critiquer le pouvoir, il est interdit de critiquer le gouverneur (Hollande ??) ”
D’autres avant eux, il y a quelques années, nous avaient ouvertement rétorqué sans rougir que les musulmans français devaient obéir à Dalil Boubakeur car il représentait l’islam et les musulmans en France, pour le grand bonheur de Sarkozy, que pourtant, ils vomissaient tous (Allez comprendre !!)
Les dérives sont totales et les exemples réels virent parfois au grotesque…
Plus sérieusement, dans le monde musulman, c’est là un véritable défi historique que l’islam sunnite doit relever aujourd’hui pour être viable à long terme car une partie non négligeable de son histoire a penché tendanciellement vers ces deux extrêmes calamiteux :
- la soumission fataliste et passive au pouvoir, à ses excès, son koufr, son zhoulm, et à sa fitna absolue (la destruction du Droit d’Allah et de son dine)
- la révolte (coup d’état, révolution) contre le pouvoir avec sa période de chaos et sa fitna relative (destruction du Droit des gens et leurs dounya)
Et ainsi de suite, le cercle ne finissant jamais : soumission/révolte, révolte/soumission etc… Or Il apparaît très clairement , aujourd’hui, que de plus en plus de musulmans ne veulent plus ni de l’un ni de l’autre. Et les courants pro-occidentaux cherchent, à cause de cette dualité contradictoire, à promouvoir la démocratie libérale et laïque comme un « moindre mal » à un système islamique qu’ils décrivent comme bancal et utopique (Et l’émergence chaotique irréfléchie de l’EI fut en ce sens une véritable catastrophe).
Or, l’injustice ne survit pas au temps et malgré les pouvoirs policiers et militaires immenses pour contrôler et contraindre les désirs des masses, le pouvoir « injuste » (au minimum des cas…) ne survit pas et finit par tomber tôt ou tard s’il ne se réforme pas et ne donne satisfaction à tout le monde. C’est ce cercle historique vicieux qu’il faut briser.
La communauté du juste milieu doit trouver un vrai juste milieu, crédible et viable et cela passe par une refondation de la réflexion islamique sur les théories de l’État et de la Gouvernance, pour être cohérent ou pertinent : or les quelques textes contemporains qui existent, restent dans la sphère de spécialistes, dans des débats théoriques, très souvent inaccessibles à la masse des musulmans qui; eux par contre; ont un accès direct à la propagande laïcarde dans leurs chaînes nationales et dans leurs journaux.
Si les oulamas et les moufakkir d’ahl-oul islam n’arrivent pas à donner des solutions concrètes et réalistes à cette équation : c’est assurer le triomphe des théories politiques occidentales et avouer indirectement notre infériorité.
Malheureusement, peu de musulmans ont conscience de ce grave problème (rares sont les oulémas et les penseurs de l’islam qui travaillent sur ce point, peu nombreux, peu connus , marginalisés par les centres de décisions et donc sans grande influence).
Et il semble que la majorité, bien au contraire, cherchent le moindre mal d’une pensée qui ne fait pas de bruit et qui ne dérange personne, d’autres sont clairement dans le rafistolage, du copier-coller hors-contexte, du bricolage fiqhi pour que l’ensemble ait l’air de tenir la route, le tout dans une vision à court terme, cela si on n’en reste pas coincé à la théorie (et parfois mieux vaut ne s’en tenir qu’à la théorie…)
Les rares oulémas du monde sunnite (du Maroc jusqu’en Inde) qui osent s’aventurer sur ce travail de recherche sont aussitôt affublés par certains, du nom de hizbi, haddadi, sourouri, qotbi, voire pire, khariji, takfiri…De plus, la portée et la pertinence de leurs travaux est toute relative face à l’immense raz de marée des productions laïques-libérales, qui jouissent de la faveur des pouvoirs arabes et du monde occidental.
Quant aux autres oulémas de tout bord, soufi, ikhwani, ach’ari, salafi, qui développent à outrance et nous gavent de la ‘aqida du sam’ wa ta’a, même en rappelant ses limites théoriques, ils construisent sans le savoir l’arc de triomphe qui va symboliser la victoire des théories occidentales et des anciennes conclusions de l’orientalisme islamophobe sur ce sujet.
Sommes-nous donc condamnés à vivre soit dans le despotisme soit dans l’anarchie ? Si nous n’avons pas de réponse crédible à donner, sachez que les esprits malins et vicieux qui préparent notre futur ont déjà leurs solutions prêtes à l’emploi à nous offrir.
Aïssam Aït-Yahya
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