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La France et l’Islam : un face-à-face de 1437 années

La France et l’Islam : un face-à-face de 1437 années

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Asalam alykoum

Suite à une série d’événements en France qui accentuent les pressions sur les musulmans, ainsi que la popularisation de la thèse d’extrême-droite de « remigration », beaucoup pensent que la situation des musulmans en France va finir comme en Andalousie au moment de l’Inquisition.

J’aimerais savoir ce que vous en pensez, et si possible de publier votre position sur le sujet afin que nous ayons un avis des frères comme vous qui traitent des questions sociopolitiques.”

R.B

Les dernières évolutions confirment définitivement que la France est le point focal du conflit multiséculaire qui oppose l’Islam et l’Occident. Si l’intolérance et le rejet de l’Islam est un mouvement général qui affectent toutes les sociétés occidentales, c’est en France que ce rejet atteint un tel degré d’hystérie, qui peut déboucher sur une rupture définitive et prendre une tournure réellement dramatique.

Il faut prendre conscience que l’Islam et la France représentent deux projets civilisationnels nés à la même époque, aux deux extrémités du défunt empire romain. Ils sont donc indéfectiblement liés par une histoire commune, et ce depuis leurs origines. Je rappelle dans le tome 1 du livre « Histoire Politique de l’Islam » que la France est née à la fin du Ve siècle de l’ère commune avec la création du royaume des Francs par Clovis, au moment même où Qusay ibn Kilâb, ancêtre du Prophète (ﷺ), fondait la cité mekkoise et ses institutions politiques. Ces événements étaient eux-mêmes contemporains de la chute de l’empire romain d’occident (476G).

A un moment de l’histoire où les peuples cherchaient une alternative à l’empire romain, ces deux civilisations ont proposé au monde deux façons de concevoir la relation entre le divin et l’humain, le message religieux et la puissance politique. La tradition occidentale, depuis Platon en passant par les pères de l’Eglise considère que le monde terrestre et le monde céleste sont contradictoires et qu’un choix s’impose entre les deux.

Pendant toute la période du Moyen-âge, l’Europe a fait le choix du céleste, avant de faire le choix inverse du terrestre, mais toujours au nom du même principe de « contradiction » entre ces deux forces. L’Islam se démarque nettement de la vision occidentale en formulant qu’il n’y a pas d’opposition entre les deux et que le pouvoir terrestre doit être placé au service du message divin. Il est donc naturel que ces deux civilisations entretiennent des relations d’inimitié depuis les origines.

Il est d’ailleurs amusant de constater que la France est vraiment pionnière dans la lutte contre l’Islam puisqu’elle prenait déjà des mesures pour lutter contre cette religion du vivant du Prophète (ﷺ) ! Comme le révèle la « chronique de Frédégaire », au moment où le Prophète (ﷺ) commençait à prêcher l’Islam à Mekka, l’empereur byzantin Héraclius écrivait au roi de France Dagobert Ier pour lui ordonner d’expulser ou convertir de force les Juifs de son royaume, car un présage annonçait qu’un « peuple circoncis » allait prochainement détruire son empire. Dagobert Ier s’exécuta, mais ce n’est que quelques années plus tard, que les dirigeants chrétiens comprirent que ces mesures antijuives n’étaient d’aucune utilité puisque le peuple circoncis en question était en réalité les… musulmans.

Un siècle plus tard, les armées du Djihâd conquerraient la péninsule ibérique et en l’an 101 de l’Hégire, les musulmans entraient en Gaule méridionale où les Francs peinaient à imposer durablement leur domination du fait des résistances locales, notamment en Aquitaine où les seigneurs tentaient de préserver leur autonomie vis-à-vis de l’expansion franque. En établissant dans le sud de la Gaule divers émirats, notamment celui de Septimanie qui avait pour capitale Narbonne, les musulmans entraient déjà en lutte d’influence avec Paris sur ce territoire.

Dès lors, la France et l’Islam ont toujours entretenu des relations conflictuelles, des Croisades à la colonisation, de la Reconquista aux guerres de piraterie, qu’il serait fastidieux de résumer ici. Il faut simplement noter que l’immigration en masse de populations musulmanes en France après la décolonisation du Maghreb ne fut que l’aboutissement ultime de cette longue et tumultueuse histoire. Cette fusion islamo-française qui a crée notre génération de musulmans français de sol ou de sang, fut également une trêve unique à l’échelle du temps long. Or, cette parenthèse semble maintenant se refermer à mesure que réapparaissent les antagonismes fondamentaux.

C’est cette perspective qui me fait douter de la pertinence de la comparaison entre l’Espagne de l’Inquisition et la France de 2016. Si à court terme, les souffrances des musulmans face à une répression administrative et judiciaire dirigée contre leur religion paraissent similaires, le sens de l’histoire est bien différent. En Espagne, les musulmans étaient arrivés en conquérants et maitres. Leur affaiblissement face aux royaumes chrétiens n’est venu qu’ensuite, du fait des divisions et de leur décadence. Les expulsions et les conversions forcées qu’ils subirent ne furent que le dénouement d’un long processus d’affaiblissement et de déclin. Or en France, c’est le processus inverse que nous connaissons.

Contrairement à ce qu’affirme l’extrême-droite, en France les musulmans actuels ne sont pas des envahisseurs, mais une population arrivée la tête basse, discriminée depuis le début, peu éduquée et ne protestant jamais devant les humiliations et les remontrances. L’évolution actuelle de cette communauté musulmane va dans le sens d’un regain de religiosité, de fierté et d’instruction. C’est ce qui déplait justement à la « France » qui haït cette nouvelle génération de musulmans qui ont l’outrecuidance de ne plus se considérer comme inférieurs et de vouloir simplement pratiquer leur religion. La répression qu’ils subissent n’est donc pas le fruit d’un déclin de l’Islam comme en Espagne, mais à l’inverse une tentative de réaction des autorités françaises face à une montée en puissance de l’Islam.

Si on devait chercher, dans notre histoire, des précédents qui nous permettraient de mieux comprendre les événements actuels, il faudrait revenir à Mekka du temps du Prophète (ﷺ), voire à l’époque des Hébreux en Egypte pharaonique. Je rappelle d’ailleurs dans HPI (vol.1) que l’évocation dans le Coran de l’histoire de Moïse et des Hébreux était le plus souvent mise en regard avec la situation des musulmans face à l’élite païenne. Le premier verset du Coran qui évoquait Moïse dressait un parallèle avec la situation mekkoise :

{Nous vous avons envoyé un Messager comme témoin, comme Nous envoyâmes à Pharaon un Messager}(Coran 73.15-16).

Pour appuyer cette comparaison, le Prophète (ﷺ) dira au sujet d’Abû Jahl, après la bataille de Badr, qu’il était « le pharaon de cette Oumma »[1]. Cette comparaison semble plus judicieuse car, comme l’Etat français, les dirigeants païens mekkois avaient toléré des cultes monothéistes tant qu’ils restaient minoritaires et discrets. Ils réagirent violemment contre l’Islam lorsqu’ils prirent conscience de l’ampleur que prenait cette nouvelle foi.

Concernant la remigration, on constate également que l’Etat français ne cherche pas à expulser, mais au contraire à garder « ses » musulmans sur le sol national, en allant jusqu’à priver certains de leurs passeports ou en les interdisant de quitter le territoire, ce qui rappelle l’attitude ambigüe des dirigeants mekkois vis-à-vis des musulmans.

Abû Jahl et son parti usaient de tous les moyens pour pousser les musulmans à abjurer leur foi et à se plier aux croyances et mœurs dominantes, tout en les empêchant de quitter la Cité, car ils craignaient que les musulmans puissent se constituer en force politique ailleurs. Dans les deux cas, ces élites caressent le même espoir de dompter localement les musulmans, de mettre fin à la pratique de cette religion et surtout de prévenir la constitution dans une terre étrangère d’une puissance musulmane capable de faire contrepoids à leur domination.

Il ne faut pas oublier qu’en plus de réprimer toute « visibilité » de l’Islam sur son sol, la France emploie activement des moyens à l’échelle internationale pour prévenir toute résurgence de l’Islam, que ce soit par des moyens de propagande (« culturels ») ou des moyens militaires notamment dans toute la bande saharienne. Dans les deux cas, c’est l’accentuation des lois antimusulmanes qui poussent progressivement les musulmans pratiquants sur la route de l’exil, plutôt qu’une interdiction formelle de l’Islam et l’expulsion de masse comme il s’en est produit en Espagne.

Ce qui nous amène à une autre différence avec le cas espagnol, et qui est l’existence d’une alternative. Les musulmans espagnols avaient la possibilité, et beaucoup l’ont fait, de trouver refuge dans de vastes terres d’Islam, notamment au Maghreb où il existait des Etats musulmans puissants capables de les accueillir, de les défendre et de leur offrir une nouvelle patrie.

De nos jours, les pays arabo-musulmans se conçoivent comme des Etats-nations fondés sur des appartenances nationales et locales. Ils n’accordent aucune importance à l’Islam comme lien fraternel, sans compter les relations de vassalité qui les lient aux puissances occidentales. Les pays musulmans ne se montrent donc aucunement disposés à accueillir massivement des populations musulmanes en danger, et encore moins à leur offrir des conditions sociales et économiques décentes qui leur permettraient de s’installer à long terme et de s’y épanouir, comme le démontre cruellement le sort des Rohingyas qui ont réclamé l’aide et l’asile auprès de nombreux pays musulmans et qui se sont vus opposer une fin de non-recevoir.

Sur ce point précis, la situation actuelle est bien plus grave qu’à l’époque de la Reconquista, car il n’existe pas encore de « superpuissance musulmane » capable d’offrir aux croyants une alternative à leur détresse locale, de tenir en respect les Etats occidentaux, de protéger les terres d’Islam de toute tutelle extérieure et de se constituer un vrai « sanctuaire » où les musulmans de toutes nationalités pourraient vivre en paix et selon les règles de leur religion.

Ces similitudes avec la situation des premiers croyants à Mekka nous permettent d’être plus optimistes quant à l’issue finale de cette confrontation et nous laissent penser que les musulmans français ne partageront pas le même sort que les morisques en Espagne, car ces injustices forceront les musulmans à se montrer plus unis, plus persévérants et à surmonter ces adversités. Il est important de comprendre que la dégradation de la situation des musulmans à l’intérieur des sociétés occidentales accélérera l’émergence de cette « superpuissance musulmane » à l’extérieur, tandis que les injustices commises se retourneront immanquablement contre leurs auteurs.

Quand je vois les élites françaises, au nom de la lutte contre l’islam, s’acharner à détruire les notions de liberté, liberté religieuse, tolérance et même « Etat de droit »[2] , autant de concepts qui légitimaient leur domination idéologique sur les autres peuples, c’est ce verset du Coran qui me vient à l’esprit :

{Ils démolissent leurs demeures à l’aide des croyants et de leurs propres mains. Méditez cette leçon, vous qui êtes doués d’intelligence}(Coran 59.2).

Comme au premier siècle de l’Hégire, si la France voit un jour un départ massif de ses musulmans du fait d’une répression devenue insupportable, ce sera le signe avant-coureur de sa chute, conformément à cette Sunna qui résonne comme un avertissement dans les oreilles des oppresseurs de toutes les époques : deux ans à peine après le départ des musulmans (Hijra) fuyant la répression, les mekkois subissaient une cuisante défaite à Badr dans laquelle une grande partie de leur élite périt. Nous pouvons donc, dès maintenant, répéter avec beaucoup de confiance les promesses de Moïse aux Hébreux quand ceux-ci subissaient de terribles humiliations :

{Il dit : « peut-être que votre Seigneur détruira votre ennemi et vous fera succéder à lui sur la Terre, afin de voir comment vous agirez »}(Coran 7.129)



A.Soleiman Al-KAABI

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[1] Hadith marfû’ rapporté par Abdullah ibn Mas’ûd. Voir : http://library.islamweb.net/hadith/display_hbook.php?hflag=1&bk_no=1133&pid=864615

[2] Puisque Sarkozy et d’autres figures politiques ont appelé à relativiser l’État de droit afin d’instaurer des méthodes plus répressives

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