L'occident athée est-il chrétien ?
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As Salam alaykum,
L'ex premier ministre Britannique Tony Blair avait déclaré ceci :
«Bien sûr que la religion joue un rôle très important. Il n'est pas possible d'avoir une religion et que cela reste un aspect insignifiant de votre vie.»
Je voudrais savoir si les choix politiques des dirigeants occidentaux sont guidés par des considérations froidement stratégiques et politiques, ou si ces derniers font parfois prévaloir leurs croyances à travers leurs décisions ?
Les occidentaux qui ont érigé la raison comme stade ultime de l'évolution humaine, sont-ils toujours aussi "rationnels" qu'ils le prétendent ? Je vous saurais gré d'apporter votre éclairage sur ce point et vous souhaite bonne continuation pour vos futures publications.
Qu'Allah assiste l'équipe de Nawa éditions
Wa aleikoum salam
Si je reformule vos questions, il s’agit de savoir si l’Occident sécularisé, qui s’est construit dans sa lutte contre les références religieuses chrétiennes, doit être considéré comme une civilisation matérialiste par essence, distincte de l’ancienne chrétienté, ou si elle demeure tributaire de son passé.
L’Occident sécularisé peut être défini de deux manières, tout d'abord comme une civilisation distincte de la civilisation chrétienne qui a connu son apogée au Moyen-Age. Selon cette lecture, les philosophes humanistes, puis le courant dit des « Lumières » ont fondé un projet civilisationnel original en rupture totale avec les références religieuses passées.
Mais on peut aussi interpréter cette civilisation occidentale, même dans sa version séculariste, comme le dernier avatar de la civilisation « judéo-chrétienne », kitâbiyya en référence au concept coranique d’Ahl al-Kitâb : « ceux qui se réfèrent à la Bible ». Il apparaît que, étonnamment, le rejet de la religion, l’athéisme et le rejet de toute souveraineté divine sur le monde était finalement inscrit dans le logiciel judéo-chrétien. Le Coran ne dit-il pas au sujet des Juifs et des Chrétiens :
{Si seulement les gens du Livre étaient croyants, cela aurait été mieux pour eux. Parmi eux, certains ont la foi, mais la majorité d’entre eux sont iniques} (Coran 3.110) ?
Dans plusieurs versets du Coran, il est bien reproché aux populations juives et chrétiennes un penchant pour l’incroyance et l’athéisme. Et concernant l’application de leurs propres Lois religieuses, le Coran leur attribue cette tendance à rejeter toute loi révélée : {Ô Peuples du Livre, vous n’êtes rien tant que vous n’appliquerez pas la Thora et l’Evangile} (Coran 5.66). En effet, les rabbins mêmes les plus conservateurs se vantent aujourd’hui que leurs anciens ont aboli de nombreux préceptes juifs comme les peines contre l’adultère et la pédérastie, la polygamie, etc. contrairement à « ces barbares de musulmans » qui continuent de vouloir appliquer la législation divine.
Quant à l’Evangile, si elle n’est pas un code de Loi en tant que telle, elle appuie et confirme le devoir d’appliquer les commandements mosaïques contenus dans la Thora : « C’est pourquoi celui qui écarte même le plus petit des commandements et enseigne aux autres à faire de même, sera le plus petit dans le Royaume des Cieux » (Matthieu, 5/19). L’application véritable de l’Evangile suppose donc de respecter entièrement la Loi mosaïque.
Malgré le caractère séculariste et très violemment antireligieux de l’Occident moderne, ce rejet de la religion et de la révélation même biblique était inscrit dans cette population et le Coran nous donne la clef de lecture de ces évolutions historiques. L’Occident athée ne serait qu’une métamorphose d’un même creuset civilisationnel et la rupture avec la religion que la suite logique du judéo-christianisme. Et elle est d’une certaine manière « religieuse », malgré son caractère antireligieux.
La question qu’il faut se poser est pourquoi l’athéisme, le matérialisme et le sécularisme se sont développés en terres chrétiennes, devenues « l’Occident », plus que dans les sphères juives et musulmanes ?
1/ Premièrement, la doctrine chrétienne de l’incarnation divine en un homme et la crucifixion de Jésus ont préparé ces populations à la « mort du divin » et donc à l’athéisme, comme l’ont affirmé un grand nombre d’auteurs occidentaux (Voir « De l’Idéologie Islamique Française ». AAY, Nawa Éditions). Cette religion qui proclame que Dieu est devenu homme et que cet homme-dieu a été tué, désacralise le divin et le rend mortel. L’athéisme serait la suite logique de cette conception religieuse.
2/ Deuxièmement, le christianisme est la seule branche de la tradition abrahamique qui ait rejeté la dimension politique de la foi, qui affirme explicitement que la Loi divine est abolie et qu’il ne peut donc exister d’ordre juridique à proprement parler religieux. Pire, depuis Augustin d’Hippone, le christianisme affirme la distinction entre la cité de Dieu et celle des Hommes, et légitime de la sorte des ordres politiques séculiers.
Historiquement, cela explique en grande partie le tournant séculariste que le monde chrétien a pris, car l’espace politique échappant au religieux, toute la réflexion politique était « libre » d’élaborer toutes les théories et les modèles non-religieux. A contrario, en terres d’Islam, même les philosophes dissimulant leur incroyance, étaient contraints de se référer extérieurement à des principes religieux pour légitimer leurs réflexions et modèles.
3/ Troisièmement, comme je l’ai détaillé dans « La voie des Nazaréens » et « Histoire Politique de l’Islam », le judéo-christianisme est fondé sur le principe de « contradiction », c’est-à-dire l’idée qu’il existe une contradiction insoluble entre l’humain et le divin, entre la vie spirituelle et les intérêts matériels, alors que l’Islam est venu réconcilier ces deux plans du cosmos en aménageant la foi pour qu’elle ne nuise pas à l’existence matérielle de l’homme et qu’au contraire l’un et l’autre se consolide mutuellement.
Le principe de contradiction a eu pour conséquence au Moyen-Age européen le rejet de la « vie mondaine », de la matérialité au nom du spirituel, le rejet de la « chair » au nom de l’esprit. Quand cette pression religieuse avec ses abus et ses dérives est devenue insupportable, ces sociétés travaillées par le principe de contradiction ont basculé violemment dans l’autre extrême :
Le rejet de la religion et de toute transcendance et le matérialisme le plus vil, mais toujours au nom du principe de « contradiction » entre ces deux plans, car si les occidentaux rejettent la religion c’est qu’ils considèrent qu’il y a un choix à faire entre le divin et l’humain et que les deux sont incompatibles, contradictoires. De ce point de vue, bien qu’athée, l’Occident est toujours « chrétien » car il est toujours fidèle à ce principe central du christianisme théorisé par Paul de Tarse.
En ce qui concerne les comportements individuels, Emmanuel Todd dans ses études sur la démographie et les orientations politiques/idéologiques, en France notamment, a évoqué le concept de « catholique zombie » pour exprimer le fait qu’une partie des masses françaises en l’occurrence, n’était plus croyantes sur le plan intérieur et doctrinal, se définissait comme athée, mais héritait en filigrane de la culture, des comportements et des représentations issus de la civilisation chrétienne, qu’ils étaient dans une certaine mesure « chrétiens malgré eux ».
Pour toutes ces raisons, les dirigeants occidentaux, même quand ils sont athées, demeurent les héritiers de la civilisation judéo-chrétiennes dans son aversion envers toute législation divine, dans sa désacralisation du divin et surtout dans l’antagonisme qu’elle entretient entre spirituel et temporel. Leur hostilité viscérale envers l’Islam repose sur tout cela, et leur haine de toute idée de « Sharia » plus encore.
A. S. AL-KAABI
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