La grande consultation des musulmans : Analyse & constat [4/10/2018]
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Vous êtes nombreux à solliciter notre avis, concernant le projet de consultation.
Comme nous l’avions dit dès le départ, en soi ce projet est une bonne chose : l’esprit d’autonomie et d’initiative de la communauté musulmane en France qui est affiché est notre credo depuis notre existence. Chez nous, l’initiative n’est pas une solution de dépit, de l’ordre de la réaction, un plan d’action forcé par l’évolution de la situation en France, non, mais bel et bien, un fondement idéologique, une croyance assumée dès le début de nos analyses (que de temps perdu donc !) mais…
Dans les faits, beaucoup de questions et de prudence de notre part, mis à part l’aspect purement tactique et politicien qui se révèle très vite dans tout le marketing et la communication bien rodée des organisateurs de ce mouvement, de grosses zones d’ombre demeurent concernant cette prétendue ”représentativité”, car loin de représenter tous les courants et sensibilités de notre communauté, cette initiative ne semble être réduite qu’à la posture idéologique de ses organisateurs.
Et c’est ce qui est très gênant: les responsables de ce projet n’ont l’air de n’avoir retenu de leur identité musulmane que l’affiliation ethnique et culturelle, voire éthique et cultuelle. Malgré la prétendue consultation d’imams, de prêcheurs ou de oulamas, nous ne voyons pas encore la réelle valeur ajoutée islamique dans ce projet de consultation et encore moins dans leur organisation.
Si certains de ces dirigeants sont clairement de simples arabo-musulmans totalement sécularisés, les leaders ont l’air eux d’être islamo-conservateurs dans la sphère privée (?) et progressistes libéraux dans la sphère publique. Ils rêvent d’un Macron devenu aussi « muslim-friendly » qu’un Trudeau, et d’un maire musulman à Paris, aussi ”musulman” que ne l’est celui de Londres…
Et quand nous entendons dire qu’il faudrait plus de représentativité au sein de l’Assemblée législative nationale… nous constatons qu’il s’agit du même et éternel discours servi inlassablement par les collabeurs depuis les années 1990… car la demande de plus de représentativité sociale, culturelle et ethnique dans cette enceinte où domine une certaine caste (le mâle blanc de souche de + de 50 ans), peut paraître cohérente avec la foi démocratique…
Mais une représentativité ”musulmane”, ”islamique” ou prétendue comme telle dans ce temple sacré de la République où s’élabore une shari’a laïque… Là, il faudrait davantage d’explications ! Ces quelques révélations concernant la vision globale, nous font comprendre que le projet de représentativité semble être biaisé. De là à penser qu’il existerait une sorte de filtrage idéologique avec une mise à l’écart de ceux qui n’entrent pas dans le moule de cette espèce d’islam libéral que l’on essaie de nous vendre, il n’y a qu’un pas à franchir.
D’autres questions interviennent concernant l’idée et le projet final: on peut légitimement se demander si ce dernier n’avait pas été déjà pensé/préparé bien en amont et la consultation n’aurait dans ce cas servi qu’à lui donner une légitimité et enclencher une dynamique propre qui ne bénéficierait qu’aux auteurs du projet.
En somme, nous serions en face de la même politique et des mêmes méthodes que l’État français lui-même : son plan d’organisation d’un islam de France est déjà prêt, la consultation des organes officiels ne vise qu’à donner l’apparence d’un procédé démocratique pour négocier les futures ”parts/places/positions” dans cette gestion nationale et à « prendre la température » pour évaluer avec qui « on » peut travailler et qui doit être mis de côté…
Ce qui nous préoccupe avant tout est bien la vision idéologique et politique générale des initiateurs de cette vaste consultation, le manque d’analyse à long terme et l’absence de stratégie globale cohérente avec notre identité musulmane et nos valeurs islamiques.
Certains des propos tenus lors de la conférence sont même sidérants et nous confortent dans nos craintes, bien qu’on n’en fera pas l’étalage ici, on peut illustrer le manque de réalisme et de pertinence quand l’un des responsables énonce avec force et vigueur que l’Imam de la Mosquée doit jouer un rôle central, sans même relever le paradoxe: à savoir qu’ils ont déjà un rôle central et primordial dans le dispositif de contrôle étatique du culte musulman !
Les préfets et les maires font en sorte que ces personnalités jouent à la perfection ce rôle clé ! Rôle de contrôleur, d’endormeur public, rôle de diffuseur de la propagande nationale, et de zélateur républicain prompt à faire trembler les minbars… lorsqu’un acte terroriste frappe le territoire national.
Pour des individus prétendants lutter contre des pratiques néo-coloniales, c’est un comble que de vouloir consolider des structures qui appuient déjà le contrôle de l’Etat sans régler le problème majeur qui est la mise sous tutelle des imams qui manquent par ailleurs de considération et de formation. Libérons l’imam, faisons de lui un vrai chef et leader de la communauté mais pour cela…Il faudrait une vraie mesure “RÉVOLUTIONNAIRE” !
Faire en sorte, par exemple, que les fidèles choisissent eux-mêmes les responsables des associations cultuelles – qui gèrent souvent de manière très opaque leurs mosquées – et de choisir eux-mêmes leurs imams conformément à la Sunna prophétique et aux règles islamiques.
Des responsables de mosquée (très souvent étrangers ou naturalisés français mais immigrés nés à l’étranger) qui sont parfois des agents du renseignement ”bénévoles” au milieu des professionnels qu’ils rencontrent régulièrement. La vraie mesure audacieuse serait donc de mettre en place un système de contrôle local et de renouvellement obligatoire des postes ! Ce genre de mesure ”radicale” et terriblement efficace touchant le cœur du problème n’est bizarrement jamais pensée par nos brillants cerveaux…
On pourrait aussi souligner leur grave et fausse interprétation d’un des plus importants résultats de cette consultation: le refus massif d’ingérence de l’Etat français dans la gestion du culte musulman massivement exprimé par les musulmans est pour eux la preuve d’un attachement au principe de Laïcité ! Cette mauvaise interprétation montre encore un complexe inconscient (?) de ces organisateurs qui se prétendent pourtant ”décomplexés” (que dans la communication…)
Il ne s’agit absolument pas de la preuve que les musulmans adhérent au principe de laïcité, mais une preuve d’une certaine maturité politique de ces musulmans qui, intuitivement et par expérience, refusent désormais l’ingérence de l’Etat dans l’organisation de leur culte. Les musulmans, comme leurs aïeux en Algérie jadis, demandent l’application de la stricte laïcité pour libérer le culte musulman de la tutelle de l’Etat.
La laïcité est donc un simple outil stratégique pouvant servir à une émancipation, mais non pas une croyance en laquelle les musulmans adhèrent par conviction ! Le nier ou ne pas oser le dire soulève là encore de profondes questions…
Ces petits exemples, parmi d’autres, sont typiques d’une certaine incongruité des propositions et de l’approche. Tout ceci est certainement voulu et relève d’un choix idéologique assumé. Ainsi, pour nous, c’est toujours le même grand problème : analyse superficielle, vision naïve et décalée, propositions creuses et timides, voire complètement complexées entérinant un rapport de domination de notre communauté envers une élite qui veut voir perdurer des relations de type colonial. Pour nous, les demandes affichées restent terriblement naïves, trop conformistes et souffrent comme toujours d’un manque flagrant de profondeur intellectuelle.
Car tel que nous analysions l’ensemble du projet et de ses acteurs, ainsi que la manière même dont ils analysent leurs propres résultats : tout cela nous montre très clairement que si le Ministère de l’Intérieur manœuvre intelligemment (et vicieusement), il pourra très aisément tirer profit de toute cette démarche en cernant très bien les objectifs affichés par les initiateurs du projets et en répondant à certaines de leurs attentes affichées (ou dissimulées) pour recréer une nouvelle génération de compromission-soumission.
Et dans ce cas: le fait d’avoir réalisé cette conférence à l’Institut du Monde Arabe, ce vecteur de la pensée néo-orientaliste et pseudo scientifique d’un islam indigénisé par la France, serait un symbole annonciateur de la très amère et future déconvenue…
Dans le fond, nous ne voyons (pour l’instant !) que la même méthodologie et les mêmes ficelles que les représentants autoproclamés de l’islam français nous servent depuis 20 ou 30 ans. Auparavant, ils affirmaient que la participation électorale était la solution pour pallier toutes nos difficultés.
Aujourd’hui les choses ont changé, ce discours d’arrière-garde ne peut plus fonctionner, ce qui oblige ces acteurs à l’habiller avec des mots d’ordre plus en phase avec son temps et la nouvelle génération moins naïve et moins complexée. Leurs mesures et idées ont l’air plus émancipatrices, mais elles demeurent engoncées dans le même cadre d’analyse que jadis.
Et nous disons tout ceci principalement en direction de nos frères imams prêcheurs, étudiants en sciences islamiques et professeurs, que nous respectons de manière fraternelle, ceux qui ont plus ou moins participé à cette initiative, de manière directe ou non, et ont été consultés :
Nous comprenons bien que cette nouvelle initiative est très tentante. Surtout que la situation délicate et difficile en France exige mobilisation et action ! Mais elles doivent être de taille et à la mesure du problème, profondément réfléchies et non opportunistes et superficielles. Or ici ces mesures semblent uniquement cosmétiques et destinées à embellir et rajeunir un vieux discours qui cherche à se recycler. Et nous attirons leur attention pour qu’ils réfléchissent sur ces points qui leur ont peut-être échappé.
Finalement, et pour répondre aux lecteurs :
A la question de savoir si nous avons été contactés/consultés/approchés ; la réponse est bien évidemment non. Or quand on s’aperçoit que d’autres structures/acteurs qui jouissent d’un écho bien plus grand que le nôtre (d’après leurs propres résultats) ne l’ont pas été, car sûrement considérés comme trop sulfureux, comment pourrait-on s’en étonner ?
Si certains rapports nous décrivent comme influents, et que la réalité montre bien notre influence, peut-être que certains de ”bonne foi” l’ignorent… Or ici peu nous importe le chemin pris et avec quel compagnon de route, seule la destination finale nous intéresse.
À la question de savoir quelles seront nos potentielles relations avec ce projet et si nous envisageons des contacts avec leurs initiateurs ; la réponse est que nous continuerons notre chemin sur la voie qui est la nôtre, avec deux mots d’ordre: cohérence et pertinence. Cohérence avec notre foi, nos valeurs, nos croyances, notre patrimoine et héritage, pertinence avec notre contexte, notre espace et notre temps. Nous continuerons nos analyses et notre travail de sensibilisation idéologique et politique issue de notre Croyance musulmane.
L’idée de représentation est primordiale, mais elle doit être totale et intégrale, sans chercher à faire des concessions ou donner des garanties ou des gages: la Politique (avec un grand P) est avant tout un rapport de force et non un petit deal ”je te donne tu me donnes” que les as de la com sont déjà prêts à réaliser.
Ceci dit, nous n’avons jamais fermé aucune porte, et si nous échangeons même avec des non-musulmans d’Europe et d’Amérique du Nord, comment ne pourrait-il pas en être avec tous ceux qui s’affilient à l’Islam ici en France ?
Aïssam Ait-Yahya
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