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Quel substitut islamique à la démocratie ? (Question Lecteur)

Quel substitut islamique à la démocratie ? (Question Lecteur)

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Question d'un lecteur: 

Avant tout, qu'Allah récompense votre effort de réflexion et qu'Il fasse de vous une cause de renouveau islamique. Après lecture d'une part des textes de votre édition, notamment de monsieur Aissam Ait Yahya, sur la démocratie, je me posais la question de la mise en pratique du système de gouvernance islamique. La désignation d'un homme, sur des critères de piété, par ses semblables n'est-elle pas semblable, toute proportion gardée, à la démocratie? Comment de nos jours, avec une raréfaction des hautes valeurs morales, peut-on imaginer qu'un homme bon soit désigné pour diriger ?



Réponse d'A.S Al-Kaabi

Wa aleikoum salam, J’apporte des éléments de réponse à cette question, dans le livre TP1 en commentaire des textes d’Ibn Taymiyya sur la gouvernance dans le chapitre intitulé "Quel droit constitutionnel islamique" dont voici un passage :


"(...) L’islam n’interdit pas l’institutionnalisation de l’exercice politique ; le personnalisme ne fait qu’affirmer que la légitimité d’un système politique et son degré de moralité ne dépendent pas du type d’institutions, mais de la qualité individuelle de ceux qui détiennent le pouvoir. Pour autant, cela ne contredit pas le fait qu’un degré élevé d’institutionnalisation de la vie politique est plus efficace pour faire durer un régime dans le temps et le rendre stable, organiser son fonctionnement de manière optimale et le renforcer face à ses rivaux. Mais contrairement à la philosophie occidentale, l’islam ne dit pas que les bénéfices des institutions sont de nature morale, mais purement pratique, comme le souligne d’ailleurs le hadith rapporté par ‘Abdullah ibn ‘Amr ibn al-’Âs, où le Prophète (sws) comptait, parmi les raisons de la force et du nombre des « occidentaux » (Rûm) à la fin des temps, leur « capacité à se prémunir contre les abus de leurs dirigeants ». Des institutions politiques bonnes et solides permettent effectivement à un Etat de se maintenir dans le temps en prévoyant notamment les règles de nomination des souverains et en réduisant au maximum la marge d’incertitude dans le fonctionnement de la vie politique. Cependant, jamais les institutions politiques n’ont pu garantir à elles seules la vertu d’un régime.

Le renouveau de la civilisation islamique passera donc par une récupération des bons aspects des innovations politiques occidentales, ce qui implique un tri entre institutions et institutionnalisme. Ce nouveau modèle islamique doit rejeter l’institutionnalisme et ses dérives idéologiques en donnant la primauté à la qualité morale des dirigeants, tout en s’inspirant de certaines procédures institutionnalistes.

Pour cela, il est urgent que les musulmans concentrent leur réflexion sur les ‘ulûm sultâniyya qui ont été si négligées depuis des siècles, en orientant une partie des intellectuels musulmans dans cette branche, avec l’objectif de développer et codifier un véritable « droit constitutionnel islamique ». La théorisation des futures institutions politiques permettra de préparer l’avènement d’un vrai ordre politique islamique capable de faire face aux nouvelles conditions mondiales : une population humaine bien plus importante qu’il y a 14 siècles, une concentration de ces populations dans de grands centres urbains, l’élévation générale du niveau d’instruction ou la sophistication des moyens de communication.

Quelques pistes de réflexion…

Prenons l’exemple des « mandats » et la question de la « désignation des gouvernants ». Il a déjà été évoqué dans la préface que le système de suffrage universel pour élire les présidents, n’est pas compatible avec Islam puisque la compétition électorale favorise automatiquement des personnes ambitieuses dont le tempérament est contraire à l’éthique que l’islam exige des détenteurs de l’autorité publique, ou parce que le suffrage universel implique la participation des masses de personnes incompétentes et non motivées par la réalisation de l’intérêt général. A ce titre, les critiques développées contre la démocratie par les auteurs grecs de l’antiquité suffisent déjà à décrédibiliser totalement le système démocratique, qui soumet forcément aux passions des foules incultes et égoïstes le choix des dirigeants.

Cela étant dit, il faut aussi admettre que l’absence d’institution et de règles fixes pour la désignation des gouvernants est aussi une source de problèmes. Elle a suscité, dans l’histoire musulmane, des instabilités politiques et d’interminables rivalités personnelles pour l’accès au pouvoir qui ont débouchés souvent sur des guerres civiles. La conséquence de ces instabilités fut la victoire du système dynastique qui s’est finalement imposé à partir de la fin du règne de Mu’âwiya, quand celui-ci décida de désigner son fils Yazîd, comme « dauphin » pour lui succéder après sa mort. Ce système héréditaire contrevenait à l’islam, mais il permit d’offrir une certaine régularité et stabilité au pouvoir en désignant à l’avance le futur dirigeant et en limitant les ambitions d’autres prétendants.

Cependant, il y a eu avant cela, des tentatives d’institutionnalisation pour réguler les successions, mais qui sont restées sans suite. Sur son lit de mort, le calife ‘Umar ibn al-Khattâb a créé un conseil de six personnes sur la base de leur ancienneté dans l’islam et de leurs qualités morales et intellectuelles reconnues de tous (‘Alî, ‘Uthmân, Abdur-Rahmân ibn ‘Awf, Sa’d ibn Abî Waqqâs, az-Zubayr ibn al-’Awwâm et Talha ibn ‘Ubaydullah). Il désigna également un arbitre neutre non-éligible (Abdullah ibn ‘Umar) pour désigner le nouveau calife et deux assistants chargés de contrôler les délibérations (al-Miqdâd ibn al-Aswad et Abû Talha al-Ansârî). Il ordonna aux six hommes de s’entendre pour désigner parmi eux le futur calife et limita ces délibérations à quatre jours1 . Dès qu’un des six membres obtiendrait le soutien d’au moins quatre autres, il serait élu. Si les six hommes se divisaient en deux groupes : trois soutenant un candidat et les trois autres un autre candidat, ce serait à l’arbitre d’apporter sa septième voix pour trancher.

Cet ijtihâd initié par ‘Umar ibn al-Khattâb nous permet de concevoir un nouveau système de succession adapté aux contraintes actuelles. Il suffirait de reprendre cette expérience, mais imaginer un mode de fonctionnement plus stable en s’inspirant des innovations occidentales dans le domaine institutionnel et procédural. Il sera alors possible de concevoir un système islamique pour gérer la désignation et la succession des dirigeants :

Par exemple, au lieu d’organiser spontanément un conseil de six membres dans un moment d’urgence comme à l’époque de ‘Umar, il faudrait créer un Conseil (califal) supérieur permanent composé de six membres reconnus pour leur ancienneté, leurs qualités morales et leurs compétences. En temps normal, ils seraient chargés de conseiller l’émir et de le suppléer pour des missions d’importance. Et en cas de vacance du pouvoir, ce serait parmi ces six hommes que serait désigné le nouveau calife ou émir.

Toujours sur le modèle de ‘Umar, il faudrait créer de surcroit une instance d’arbitrage, qui serait chargée, en temps normal, de superviser la régularité, le respect et l’amélioration des institutions, sur le modèle des conseils constitutionnels dans certains pays occidentaux. Les membres de cette instance seraient recrutés parmi les grands oulémas spécialisés dans les ahkâm sultâniyya, et ne seraient pas éligibles au postes de calife, d’émir ou toute autre fonction dirigeante afin de garantir leur parfaite objectivité, ainsi que l’avait fait ‘Umar. Et au moment de désigner un nouveau souverain, ce serait ces juges qui seraient chargés d’encadrer la procédure de désignation en invitant les six membres du Conseil à désigner, chacun, deux autres hommes de ce conseil dans un ordre de priorité. L’instance d’arbitrage recueillerait anonymement les voix de chacun. Si un nom s’impose en premier choix, il est désigné ; si deux noms apparaissent à égalité, l’arbitre prendra en conséquence le deuxième choix pour trancher. Si une nouvelle fois, deux noms recueillent autant de voix, le chef de l’instance d’arbitrage apportera sa propre voix pour faire peser le vote et désigner le nouveau calife ou émir.

Il faudrait également imaginer des mandats limités dans le temps (une dizaine d’année), pour parer aux aléas de la santé du souverain et soumettre l’exercice du pouvoir à des échéances connues et prévisibles. Toutes ces mesures amèneraient à fixer ces grandes règles dans des textes « constitutionnels », rédigés et amendés par la haute instance d’arbitrage mentionnée plus haut. Et pourquoi pas, pour encore stabiliser davantage la vie politique islamique, revenir à un système de cursus honorum que pratiquaient les Romains ? Les hautes fonctions politiques étaient attribuées selon l’âge et le parcours des aspirants, ce qui garantissait l’expérience et l’aptitude des dirigeants et magistrats.


1 ‘Alî as-Sallâbi. Fasl al-Khitâb fî sîra ibn al-Khattâb. p626-628.

Extrait de "Textes Politiques, Tome 1 : La notion de pouvoir, Califat et Royauté" Ibn Taymiyya, Nawa 2016.

https://editions-nawa.com/home/30-textes-politiques-tome-1.html

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