Pourquoi la fiscalité française concerne toute la Oumma
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Alors que les images des soulèvements des Gilets Jaunes font le tour du monde et sidèrent les étrangers incrédules devant les revendications d’un peuple qu’on croyait riche et repu, ceux qui ne connaissaient pas la réalité de ce pays prennent là, conscience que la situation de la France intérieure n’est pas cohérente avec les ambitions que caresse son régime à l’international, et que les dépenses que ce régime doit faire chaque année pour financer ses guerres incessantes, quasiment toutes dans le monde musulman, ses ingérences diverses et sa machine de propagande, se sont faites aux dépens de sa propre population, l’une des plus ponctionnée et taxée au monde.
J’ai déjà eu l’occasion de montrer que les civilisations française et musulmane sont liées l’une à l’autre depuis leurs origines, liées le plus souvent par les antagonismes mais également par des points de convergence forts. Les perturbations qui secouent actuellement la France ne dérogent pas à cette règle et concernent les musulmans pour au moins trois raisons :
1 /Les masques tombent
Premièrement, parce que ces évènements font éclater aux yeux de tous le mensonge d’une propagande distillée par les élites politiques et médiatico-intellectuelles depuis 20 ans, selon laquelle les populations occidentales n’ont qu’un seul ennemi : l’Islam et les musulmans, qui seraient la source de tous leurs maux et de tous leurs malaises puisqu’ils seraient des facteurs d’insécurité permanente à travers la figure du méchant terroriste bien sûr, mais aussi de la simple dame voilée menaçant la laïcité au consommateur de viande Halal comme agent d’islamisation, en passant par le délinquant, associé malgré lui à l’Islam, les menaçant dans leur vie de tous les jours. Cette propagande avait pour but en grande partie de souder ces populations autour de leurs Etats, mais aussi de faire « diversion » en faisant abstraction des véritables injustices induites par leur modèle de gouvernance. Obnubilés par l’Islam, les Français étaient censés oublier les questions socio-économiques qui travaillent leur pays depuis le tournant ultra-libéral des années 1980.
Aujourd’hui, ces événements montrent que le Français des classes moyennes et populaires n’est pas par principe islamophobe ou en proie à un sentiment d’ « insécurité civilisationnelle ou identitaire » comme le prouve le fait que seul 30% du corps électoral français vote pour l’extrême droite. La majorité des « blancs de province » souhaitent simplement vivre sous une gouvernance juste où on « prendrait de vos riches pour distribuer à vos pauvres » (hadith de la Zakât) et non l’inverse. Ils n’appartiennent pas d’emblée, parce que prétendument « blancs », au camp des islamophobes comme voudraient les y faire entrer de force les Zemmour, Menard et autres agitateurs publics du même acabit.
Ces masses ont en réalité commencé depuis plusieurs années une résistance silencieuse envers leur régime par un abstentionnisme massif et le rejet de tous les partis et expressions politiques participant au jeu démocratique, au moment même où, précisons-le, les membres du Sanhédrin musulman appelaient les musulmans à voter pour prouver leur allégeance inconditionnelle à un système qui les traitait plus bas que terre et que Aïssam Aït-Yahya prêchait à l’inverse l’abstentionnisme comme moyen d’affirmation communautaire[1].
Aujourd’hui, la masse du peuple français est passée de l’abstentionnisme électoral à l’activisme politique de nature insurrectionnelle et ironiquement, le degré de tension actuelle est en partie le fruit de cette propagande anti-Islam entretenue par les élites françaises depuis 20 ans. En exagérant la gravité du terrorisme et en mettant ce thème au cœur de leur actualité, elles ont plongé leurs propres populations dans un état de stress et d’instabilité émotionnelle. Les paisibles français des années 1990 convaincus de vivre dans le meilleur des mondes, ont laissé place à des personnes travaillées par un malaise profond, promptes à se rebeller.
Maintenant qu’il est avéré pour eux que les promesses de prospérité étaient vaines, espérons que le peuple français passera de la simple critique d’un régime politique au rejet de toute l’idéologie mortifère sur laquelle l’Etat français a été fondé.
2 /L’activisme français dans le monde musulman
Deuxièmement, parce que la situation fiscale de la France est en partie liée à la politique étrangère très ambitieuse de ses élites, notamment dans le monde musulman. Les fondateurs de l’actuelle Ve République ont décrété que la France ne pouvait accepter un rôle de second plan dans le jeu mondial à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. Depuis De Gaulle, les dirigeants français ont toujours conservé, dans une morgue inimitable, des ambitions démesurées par rapport aux capacités réelles du pays. La France, selon eux, ne peut se contenter comme tous les autres pays européens d’être une simple démocratie de copropriété, une petite nation prospère à l’ombre des USA. La France doit selon eux conserver une influence mondiale en diffusant « ses valeurs » prétendument universelles, c’est-à-dire l’extrémisme athée et la dépravation.
Mais tout cela a un prix, car faire la guerre depuis 2013 à quelques centaines de combattants dans le Sahel, financer au Maghreb des médias, des associations, des colloques, des événements et j’en passe pour promouvoir le LGBTisme ou dénigrer l’Islam, maintenir des bases militaires dans le monde musulman (Djibouti, EAU, etc.), lancer des expéditions militaires au Levant, piloter des mouvements rebelles (Haftar en Libye) ou s’ingérer dans les intrigues familiales des régimes du Golfe pour porter au pouvoir les personnages les plus hostiles envers l’Islam (Sissi, MBS, MBZ), mener une intense campagne de lobbying pour orienter la politique des régimes arabes et extirper de leurs législations les dernières traces de Sharia (ex : héritage), … Tout cela nécessite des moyens considérables qui proviennent bien sûr des impôts et des taxes versés par la population française.
La politique fiscale de la France concerne donc bien toute la Oumma car cet argent sert aussi à soutenir une guerre globale contre l’Islam. La chute de l'actuel régime français sous le poids de ses injustices, ou même son simple affaiblissement, soulagerait le monde musulman d’un poids insoutenable et laisserait espérer des changements positifs. Nous ne pouvons donc que le souhaiter.
3 /L’Islam : un contre-modèle politique et économique
Troisièmement enfin, parce que l’Islam en tant que religion, morale, philosophie et projet de civilisation a son mot à dire dans cette affaire. La question des impôts et des taxes a, depuis les origines, été au cœur de l’antagonisme entre Islam et judéo-christianisme, comme il m’a déjà été donné l’occasion de l’écrire. Dans un article consacré à l’impôt en Islam[2], je rappelais que le Coran fustigeait le détournement par les élites religieuses juives et chrétiennes de la dîme[3], impôt religieux institué par la Thora à l’époque de Moïse :
{Ô croyants, sachez que nombre de prélats et de scribes s’accaparent injustement les biens des gens et barrent le sentier de Dieu. Ils thésaurisent or et argent au lieu de les distribuer sur le sentier de Dieu} (Coran 9-34) [4]
Dans l’Europe féodale, les dignitaires religieux qui devaient initialement prélever cet impôt pour le redistribuer immédiatement aux pauvres, en ont fait progressivement une source d’enrichissement pour leurs institutions. D’ailleurs, ces lourds impôts imposés par l’Eglise au tiers état furent l’une des causes directes du déclenchement de la Révolution de 1789 car déjà, les pauvres enrichissaient les élites et non l’inverse.
L’Islam ne se contente pas de dénoncer l’accaparement des richesses par les institutions ecclésiastiques aux dépens des couches défavorisées, mais propose un modèle de gouvernance alternatif. La Sharia a fait revivre le principe de charité, mais en lui donnant cette fois-ci une traduction institutionnelle et politique, à travers la Zakât bien sûr, mais surtout à travers le Waqf et les autres types d’administration collective des donations permettant le financement d’un réseau d’infrastructures dans le domaine du caritatif (orphelinat, aides aux démunis, etc.), de la santé (hôpitaux, dispensaires), de l’éducation et de tous les services destinés au bien-être général et à la lutte contre la pauvreté.
Plus tard, au moment des conquêtes islamiques, la question des impôts fut de nouveau au centre de l’affrontement entre Islam et chrétienté. La politique fiscale promue par la Sharia fut l’un des deux leviers qui permit aux musulmans de conquérir « les cœurs et les esprits » des populations locales et vaincre ainsi militairement les Byzantins. Comme je l’expliquais dans mon livre « La conquête de l’Egypte »[5], les musulmans étaient parvenus à obtenir l’appui des populations chrétiennes contre leurs coreligionnaires à la tête de l’Empire byzantin, en partie grâce à la question fiscale. La population égyptienne croulait sous les multiples impôts imposés par Byzance et accueillit avec soulagement la gouvernance musulmane car la Jizya imposée aux hommes en état de se battre paraissait dérisoire en comparaison. La supériorité du modèle de gouvernance islamique, en particulier dans le domaine fiscal, fut donc décisive dans les conquêtes, sans quoi, la petite armée de 8000 hommes commandée par le compagnon ‘Amr ibn al-‘Âs n’aurait jamais pu vaincre l’imposante armée byzantine forte de plusieurs dizaines de milliers de soldats.
Alors oui, les musulmans ont un rôle à jouer dans la crise actuelle qui voit la remise en cause par les peuples de la gouvernance capitaliste : non pas en dressant des barricades ou en essayant, comme à leur accoutumée, de se mettre à la remorque d’une tendance ou d’un mouvement, mais en anticipant le coup d’après. Les manifestations des Gilets Jaunes ne sont que l’une des expressions de ce rejet massif par les populations occidentales de leurs élites politiques. Ils ont pris conscience que leur modèle de gouvernance est inopérant et injuste, mais au-delà de la critique, ils n’ont pas de véritable contre-modèle viable à défendre.
Les musulmans doivent se faire les fiers apologistes de la Sharia et cela commence avec une prise de conscience de la supériorité de la gouvernance islamique, comprendre que la Sharia au sens large, c’est-à-dire dans ses dimensions politiques, économiques et financières, et non pas seulement pénales, offre les outils pour une gouvernance de nature non-étatique et non-capitaliste qui permettrait de conserver les acquis positifs de l’ère industrielle en termes d’innovation et de croissance, sans les moyens pervers pour y parvenir…
A. S. Al-Kaabî
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[1] "De l'idéologie islamique française", Aïssam Aït-Yahya, 3e édition (2015) - disponible : ici
[2] "Taxes et impôts dans la gouvernance musulmane", A. S. Al-Kaabî
[3]« Toute dîme de la terre, soit des récoltes de la terre, soit du fruit des arbres, appartient à l'Éternel ; c'est une chose consacrée à l'Éternel […] Tels sont les commandements que l'Éternel donna à Moïse pour les enfants d'Israël, sur la montagne de Sinaï. » (Nombres, 27.30-34)
[4]http://quran.ksu.edu.sa/tafseer/tabary/sura9-aya34.html
[5] "La conquête de l'Egypte", A. S. Al-Kaabî, 2e édition (2015) - disponible : ici
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