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L'Islam, les musulmans et la France des Gilets Jaunes

L'Islam, les musulmans et la France des Gilets Jaunes

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Une partie de ce texte était destinée à être publiée dans un magazine spécialisé (bimensuel Religion-Philosophie). Après moult discussions, aucun accord n'a été trouvé avec la Direction de la Publication, étant donné le nombre très limité de caractères que ces derniers me proposaient... alors qu’il s’agissait de répondre à des questions fondamentales.

Ce point illustrant le fait que les médias ne sont toujours pas prêts à accorder un temps ou un espace de parole décisif aux musulmans français, ce qu'ils accordent toujours très largement aux personnalités connues pour débiter leurs propos habituels. Ne pouvant pas avoir accès à cet espace, d'un commun accord, j'ai finalement refusé de me plier à un exercice qui aurait plus ressemblé à de la contorsion intellectuelle qu'à un réel et sérieux débat d'idées, honnête et équilibré.

Je refuse donc de faire de la simple figuration ou d'être présenté comme l’« islamiste radical de service » dont l’expression est limitée dans un système inégalitaire. Et je laisse finalement cette petite place vacante à d'autres qui seront enchantés et flattés d’écrire quelques lignes, aussi vides et inconsistantes peuvent-elles être.

Malgré tout, l'exercice était quand même stimulant, il s'agissait pour moi d'expliquer à un lectorat majoritairement non-musulman, d'un niveau sensiblement plus élevé que la moyenne (puisqu'ils lisent un magazine spécialisé), la psyché d'un musulman français, sa lecture idéologique de la société dans laquelle nous vivons tous et de ses problèmes et les projections quant aux défis à relever. Il s'agissait aussi de répondre aux éternelles questions sur la réforme de l'Islam, de sa gestion en France et des peurs que la présence de musulmans en France peut susciter.

A y regarder de plus près, le désir de réforme de l'Islam est un rêve bien français : désir si ardent que certains sont désormais prêts à réformer la sacro-sainte Laïcité pour y parvenir. Si certains musulmans pouvaient massivement croire au discours officiel sur la laïcité et ses vertus, cela jusque très récemment encore, les choses sont devenues très différentes.

Cela même si l'Histoire coloniale française nous rappelait déjà que ce désir de réforme existait déjà pour les indigènes musulmans vivant en terre d'Islam bien avant que ne leur soit permis l'entrée en Métropole...Ou que la laïcité ne s’était jamais appliquée après 1905 en Algérie française justement pour faciliter le contrôle des musulmans.

Sauf que depuis 1989, la pratique juridique d'une laïcité débordant de son cadre initial, son utilisation politicienne, sa transformation médiatique et les discriminations qu'elle suscite, ont durablement ébranlé les musulmans français et les croyances que le catéchisme républicain leur professait sur les bancs de son école laïque.

Les excuses de circonstance (hier ''civiliser'' aujourd'hui ''vivre ensemble''), ne cacheront pas que le contrôle politique d'une seule et même population (indigènes devenant citoyens) reste une motivation centrale dans ce désir de réformer l'Islam.

A vrai dire, si l'Islam n’était qu'une religion, il y aurait bien longtemps qu'elle aurait été réformée. Beaucoup dans le monde arabo-musulman n'auraient pas eu la patience d'attendre ce fameux « Génie français » issu des Lumières pour amorcer cette réforme : l'histoire est pleine de tyrans zélés ou de charlatans illuminés qui se sont épuisés à rendre l'Islam compatible avec leurs visions, intérêts ou projets : ils n'ont réussi qu'à faire émerger une puissante tradition orthodoxe en retour.

Aujourd'hui, nos philosophes adeptes d'un islam ''éclairé'' pensent encore pouvoir réaliser l'irréalisable, eux dont l'influence sur les musulmans français est inversement proportionnelle à leur médiatisation ''mainstream'', comme le rappelle de manière cinglante un dernier rapport. Ici, l'archaïque dogmatisme français aurait tant à apprendre du redoutable mais efficace pragmatisme anglo-saxon, qui sait parfaitement libéraliser et séculariser le musulman sans même s’intéresser à la réforme de l'Islam...

Gagnons du temps et allons droit au but, laissons de côté ce projet de réforme utopique et intéressons-nous aux musulmans français en posant les bonnes équations.

Il est évident qu'il faut définir les contours d'un contrat social permettant la satisfaction d'un intérêt général viable pour tous dans ce pays. Non pas l'idée d'un concordat biaisé par avance, celui entre représentants de l’État et prétendus responsables musulmans dont l’écrasante majorité ne fait pas partie de cette génération de musulmans français nés et socialisés en France ; complexés et redevables, ils ne font que reproduire l'antique rapport colonial dominé-dominant pour la plus grande satisfaction des politiques et d'une partie de l'opinion certes, mais ils aggravent la problématique et la renvoie aux générations futures.

C'est d'ailleurs pourquoi l’éternelle question de l'Islam refait surface à chaque nouveau mandat présidentiel, des artifices de solutions n'existent que pour temporiser sans rien régler. Or à chaque nouveau cycle, l'on se rend compte que la taille du problème a considérablement augmenté. C'est qu'il faut avouer aussi que les autorités sont très souvent aveuglées : à la fois nourries d'illusions savamment véhiculées par des islamologues de plus en plus politisés (et de moins en moins compétents), en plus d’être entourés d'une cour de béni-oui-oui serviles qui répètent le discours officiel et reproduisent ce qui leur est demandé. Aucune valeur ajoutée et aucune pertinence pour solutionner réellement les problèmes.

Les autorités doivent urgemment sortir de leur aveuglement avant le divorce définitif avec une partie de la communauté nationale qui nous mènera vers un futur improbable pour tous.

Ainsi, il faut par exemple avoir le courage et l’honnêteté de comprendre qu'une grande part de la radicalité légitime (simple réflexe d'autodéfense intellectuelle et idéologique), mais pire, de cet extrémisme générant un terrorisme anarchique faisant peser des menaces sur la sécurité intérieure et pouvant prendre toute la population pour cible sans aucune distinction, est malgré tout d'ordre purement réactionnaire.

Il faut cesser de sous-estimer la maturité et la conscience des musulmans français, leur capacité à mobiliser à l’intérieur de l'Islam, le contextualisable, l'adaptable, le prioritaire et le pratique, en face de tous les principes théoriques civilisationnels de l'Islam qui sont justement en opposition avec le modèle républicain laïc, et plus largement, avec celui proposé par l'Occident au Monde.

Il faut cesser de sous-estimer leur intégration, leurs capacités de mobilisation citoyenne à ne plus transiger avec leurs espaces de droits et de libertés par lequel ils vivent leur religion.

Il faut cesser de sous-estimer leurs capacités à nuancer et à relativiser des convictions idéologiques politiques ou philosophiques, qui, si elles peuvent déranger la pensée conformiste dans ce pays et ses évolutions, n'en reste pas moins protégée par la liberté de conscience. Ceci tant que leurs manifestations ne troublent pas l'ordre public (même si sa définition juridique inexistante facilite toutes les dérives administratives possibles dans notre ''État de droit'' modèle...).

Mais pour certains, il faut donc encore et toujours légiférer, dans une fuite en avant sans fin, pour réussir à limiter cette visibilité, voire plus. Mais ce faisant, c'est la République laïque qui sape elle-même les fondements de la Démocratie (envers laquelle ils prétendent croire mais acceptent de profaner) ; de plus, c'est confirmer l’éternelle contradiction des valeurs françaises avec la réalité de sa politique à ''géométrie variable'', surtout quand l'Islam ou les musulmans en sont le sujet.

Depuis 30 ans, nous sommes dans ce cercle vicieux : l'émergence et la visibilité de l'Islam et des musulmans français font naître des crispations au sein de l’État et de l’élite politique, intellectuelle et médiatique dans ce pays. Ces crispations sont traduites par une série de mesures ciblées de plus en plus restrictives qui dérogent aux règles générales du Droit et de l'esprit des Lois, celles qui favorisent paradoxalement ce ''repli communautaire'' qui fait trembler une élite elle-même repliée dans son propre univers parisianiste.

La gravité de cette relation est décuplée, voire même amplifiée, par les problèmes socio-économiques des ghettos urbains cumulant toutes les tares d'une société en crise (échec scolaire, chômage, drogue et violence).

Sans oublier le grain de sel d'une actualité internationale très chargée qui expose une politique étrangère française, plus cynique qu'ambiguë, envers le Sud de la Méditerranée. Rappelant encore que le passif de l'Histoire est bien loin d’être soldé par l'ex-puissance coloniale, et qu'à cela s'ajoutent les crédits du présent et leurs futurs intérêts...

C'est tout ceci qui crée un immense bouillon de culture de frustration, d'animosité et de ressentiment d'autant plus préoccupants qu'ils sont vastes et profonds.

Nous n’évoquerons pas ici le rôle particulièrement nocif des médias et le jeu dangereux dans lequel ils entraînent l'opinion publique dont une partie se radicalise aussi. Chauffée à blanc, elle développe une hystérie collective sur l'ensemble de ces thématiques.

La perception des autorités sur l'ensemble de ces sujets, ainsi que leur approche sont à revoir de fond en comble : car il n'y a pas et il n'y aura pas d'Islam de France, mais uniquement des musulmans français. A cet égard, rappelons-nous la phrase du député révolutionnaire Clermont-Tonerre prononcée en 1789 :

« Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et tout accorder aux Juifs comme individus ».

Aujourd'hui c'est exactement l'inverse que certains aimeraient réaliser : faire émerger au plan national un islam républicain devenu une norme publique régulatrice pour n'accorder finalement aucune autonomie privée aux musulmans. C'est donc ni plus ni moins reproduire l'exact politique coloniale française en Algérie qui a abouti aux résultats que l'on connaît : un échec lamentable (cela à comparer avec la décolonisation britannique). Les injustices, les frustrations, les révoltes, entraînant répressions, insurrections puis guerre civile/ d'indépendance.

L'arrivée providentielle et in extremis d'un De Gaulle (trop tardive pour sauver la situation, même si ses projets de réforme pour l'Algérie française étaient importants avec seulement 50 ans de retard...) a permis néanmoins de sauver les meubles et de remettre tout le système en état de fonctionner jusqu'à maintenant.

Tout le monde l'aura bien compris : si l’échec de cette politique coloniale historique était finalement et malgré tout tolérable (car ne débouchant ''que'' sur l'Indépendance de l'Algérie), nous sommes aujourd'hui en France, tous citoyens français sur le même et unique territoire national : que voudra donc dire échec dans ce cas-là ?

Dans la configuration actuelle, il est très peu probable que la solution vienne des hommes politiques et des partis. Le système Médias-Opinions-Élections enfermera facilement tous ces professionnels de la politique, aussi raisonnables et perspicaces puissent-ils être, dans le grand dilemme de la Démocratie.

Les intérêts privés, ceux d'une carrière balisée par des échéances électorales, guideront par pragmatisme toutes orientations et choix politiques, qui ne pourront pas et qui ne voudront pas heurter de plein fouet des opinions publiques formatées et profondément ancrées. Surtout celles qui peuvent facilement assurer un succès électoral... Et même pire, il se peut qu'ils penseront que l’intérêt supérieur de la Nation exigera que l'on sacrifie Droit et Liberté des musulmans français sur l'autel du ''Vivre ensemble'', l’Islam étant un ciment négatif de l'unité nationale.

Il faut donc des hommes au-dessus des Partis, des clivages, des sensibilités pour avoir une vision apaisée et sereine sur le long terme. Des hommes capables de viser l’intérêt général tout en s'opposant courageusement à la volonté de la majorité (l'équation insoluble de la démocratie).

Historiquement (nous l'avons vu plus haut), c'est le type de crise que nous vivons actuellement qui a vu émerger de tels hommes. Si celle-ci s'amplifie et si certaines couches sociales déterminantes convergent toutes ensembles pour la chute d'un régime (même si tout peut les opposer), alors tout pourrait être remis à plat, certains hommes pourront remettre le logiciel France à Zéro, pour le meilleur ou pour le pire.

Si le meilleur n'est pas encore prévisible c'est qu'il n'est même pas encore envisageable, car c'est bien le pire qui fait figure de vraie hypothèse pour l'instant, tant l'horizon s'annonce incertain. En effet, certains des plus actifs parmi les contestataires ont le point commun avec ces médias mainstream qu'ils haïssent tant, de très facilement se décharger sur leurs concitoyens musulmans (racailles, jeunes de banlieue dans leurs discours) et l'Islam de manière générale.

L'islamophobie hystérique (qui cache souvent un vieux racisme) et les dernières fake news, montrent l'alliance subjective de certains Gilets Jaunes focalisés sur le Pacte de Marrakech (qu'ils n'ont pas lu) avec certaines éditions télé relayant l'ubuesque complot des Frères musulmans et son rôle dans les casses de Paris... Immigration d'un côté et Islam de l'autre ? Mettons tout le monde d'accord.

Plusieurs estimations et études démographiques confirment qu'il y a aujourd'hui plusieurs millions de citoyens français ayant un lien identitaire avec l'Islam et la culture musulmane et c'est une population majoritairement jeune amenée encore à se développer (certes tous ne sont pas des musulmans effectifs, pratiquants ou personnellement attachés à l'Islam, même si j'ai longuement expliqué que paradoxalement le Système français pousser à affirmer et à confirmer son identité religieuse).

Ce rappel pour préciser qu’interdire de manière ciblée l'immigration extra-européenne et même mettre en place la réémigration forcée tant rêvée à droite de l’Extrême-droite, ne réglera pas le problème de l'Islam en France. Cela fait déjà bien longtemps que l'Islam n'est plus une question d'immigration et qu'il est devenu une question intérieure franco-française.

Pourtant la situation actuelle laisse apparaître des musulmans politiquement en sursis. Pris en tenaille de part et d'autres, entre le haut formant le pouvoir, son élite politique et médiatique prête à toutes les manipulations pour sauver sa tête et son système, et le bas formé d’un prolétariat rural, dont la psychologie de foule peut parfois mener à des ratonnades tant leurs consciences ont été trop longtemps exposées à la propagande médiatique.

Cela alors même que les musulmans vivant majoritairement en zone urbaine dégradée et marginalisée, connaissent depuis longtemps la précarité économique et sociale dont se prévalent aujourd’hui ces mêmes Gilets Jaunes pour manifester leur colère. Mais la colère des uns et des autres n’est jamais assimilable, échelle de valeur en fonction des origines et des couleurs ! L'absence de convergence entre les couches actives déterminantes de la société (ultradroite, ultragauche, jeunesse des quartiers populaires en zone urbaine et partie significative des ruraux) est d'ailleurs un frein non négligeable au déclenchement d'une vraie insurrection révolutionnaire dans ce pays.

Et c'est là tout le génie du système pyramidal actuel: si les couches socio-économiques restent échelonnées de bas en haut de la pyramide, celles-ci sont parfaitement segmentées et fragmentées empêchant toute cohésion horizontale, très dangereuse pour la structure. Il est donc assez facile, pour le pouvoir politico-médiatique de jouer de l'un des segments contre l'autre, de les neutraliser en réorientant leurs objectifs vers d'autres problématiques.

On a d'ailleurs longtemps ergoté sur l'absence ou la présence citoyenne et spontanée des musulmans à ce mouvement : la démographie et les lois de la statistique font que la question de leur présence, là où ils sont présents (aires urbaines) est irréfutable, que cela soit parmi les gilets-jaunes pacifiques, insurgés ou simples casseurs opportunistes.

Mais les responsables autoproclamés de l'Islam de France (ou désigné par Place Beauvau), les grands philosophes de l'islam des Lumières sont eux toujours et inévitablement absent des grands débats et des grands combats d'idées qui déterminent pourtant l'avenir des vrais musulmans français dans ce pays, ne serait-ce que pour réagir lorsqu’Islam et Musulmans sont encore mis en cause de façon grotesque dans un mouvement d'origine sociale.

Actifs dans la collaboration et dans l'appel au calme lors des émeutes de la France urbaine hier (2005), passifs et spectateurs devant la révolte et l'exaspération de la France rurale aujourd'hui... Cela comme si la télécommande qui contrôlait leurs mouvements était soigneusement gardée à l’Élysée et à Matignon, confirmant que les seuls intérêts qu'ils défendent sont ceux du système actuellement en place.

Il est donc évident que l'Islam ne représente pas un danger pour l’État français, mais que l’État, lui, en représente un pour l'Islam et les musulmans en France...

Et rien que pour cela, l'insurrection qui vient est très tentante, même si les expériences passées nous ont appris à rester en équilibre et nous obligent à faire le difficile grand écart. Et cela personne ne pourra dire jusqu'à quand, tant l’équilibre est précaire. L'histoire est en marche, elle n’attend pas, si les musulmans français ne l’écrivent pas, d'autres le feront à leur place, aujourd'hui ou demain, non pas pour leurs intérêts cela est évident, mais sûrement aussi en mettant en péril l’intérêt général et national.



Aïssam Aït-Yahya

1Commentaires

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    #GiletsJaunes
    Dec 12, 2018

    Une très bonne analyse.Merci AAY.

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