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Qu’est-ce que le ta-wîl ? [Extrait – La lettre palmyrienne]

Qu’est-ce que le ta-wîl ? [Extrait – La lettre palmyrienne]

[...]

Dans cet extrait de l’épître première de la Tadmuriyya, Ibn Taymiyya développe sa vision du concept de ta-wil utilisé par les courants « rationalistes » en montrant que ce concept, présent dans le Coran, peut être justifié.

Qu’est-ce que le ta-wîl ?

Allah ordonne de méditer sur le Livre en totalité. Il a dit par ailleurs :

{C’est Lui qui descendit sur toi le Livre, comprenant d’une part des versets explicites [ou distinctifs = muhkamât], qui sont la matrice du Livre, et d’autre part des versets mystérieux [ou homonymiques = mutashâbihât]. Quant à ceux dont les cœurs sont dévoyés, ils suivent les versets mystérieux dans le but de susciter des querelles ou dans le but de l’interpréter (ta-wîl). Mais Seul Allah connait leur interprétation [*] et les hommes versés dans le savoir [*][1] disent « nous avons foi en lui, tout provient de notre seigneur » et seuls les doués d’entendement peuvent se rappeler} (Coran 3.7)

La plupart des anciens comme les contemporains s’accordent à considérer que le verset attribue seulement à Allah l’interprétation des versets mystérieux : « Seul Allah connait leur interprétation ». C’est l’avis privilégié par Ubay Ibn Ka’b, Ibn Mas’ûd, Ibn ‘Abbâs et d’autres. Il est rapporté d’Ibn ‘Abbâs que :

l’exégèse se divise en quatre catégories :

1° l’explication [linguistique] que les Arabes obtiennent grâce à la maitrise de leur langue

2° le sens évident que nul ne peut ignorer

3° l’explication propre aux hommes versés dans le savoir

4° l’explication que Seul Allah connait et que seuls les menteurs prétendent posséder[2]

D’après Mujâhid[3] et d’autres exégètes, les « hommes versés dans le savoir » peuvent connaitre l’explication des versets mystérieux. Mujâhid argumentait en disant : « J’ai présenté le texte coranique à Ibn ‘Abbâs du début jusqu’à la fin, m’arrêtant à chaque verset et l’interrogeant sur leur sens »[4].

En réalité, il n’y a aucune contradiction entre ces deux avis[5], car le mot ta-wîl, du fait qu’il est polysémique, est utilisé selon trois sens différents :

1° Ce terme est utilisé par beaucoup de rationalistes tardifs dans le domaine du droit (fiqh) et de la théorie du droit (usûl). Le ta-wîl, selon eux, consiste à expliquer une formule selon le sens prépondérant (râjih) aux dépends du sens douteux (marjûh) en se fondant sur un indice associé à la phrase. C’est la définition retenue par la majorité des contemporains qui prétendent interpréter allégoriquement ou non les textes sacrés relatifs aux attributs, et la question de savoir si cette interprétation était licite ou non, valable ou non

2° L’interprétation (ta-wîl) peut avoir le sens d’ « exégèse » (tafsîr). C’est le sens que retiennent la plupart des commentateurs du Coran. Ibn Jarîr et les siens disent en parlant des exégètes éminents : « Les experts de l’interprétation (ta-wîl) divergent… ». On dit également au sujet de Mujâhid qu’il est « le prince des exégètes ».

Ath-Thawrî disait : « si tu as accès à l’exégèse (ta-wîl) de Mujâhid, alors contentes-toi en ». C’est en effet à son exégèse du Coran que se référaient ash-Shâfi’î, mais aussi Ahmad ibn Hanbal, al-Bukhârî et bien d’autres. Quand on disait de lui qu’il connaissait l’interprétation (ta-wîl) des versets mystérieux, on soulignait de la sorte qu’il en maitrisait l’exégèse.

3° On entend enfin par « interprétation » (ta-wîl) « la réalisation concrète d’une parole »[6]. Allah dit dans le Coran :

{Qu’attendent-ils, sinon la réalisation [ta-wîl] des prédictions de ce Livre ? Mais le jour où elles se réaliseront, ceux qui l’auront auparavant oublié s’écrieront « Nos prophètes disaient la vérité ! »} (Coran 7.53)

Le Ta-wîl représente donc « la réalisation » des versets du Coran relatifs à l’Au-delà, tels que la résurrection des corps, le jugement et les rétributions, Paradis et Enfer, etc. C’est ce sens-là qui est évoqué dans le récit de Joseph, lorsque son père et ses frères se prosternèrent devant lui :

{Et il dit : « Ô père, voici la “réalisation” [ta-wîl] du rêve que j’ai fait à l’époque». Mon Seigneur l’a rendu réalité ».}[7] (Coran 12.100)

[Joseph] voit ainsi dans des événements concrets et actuels, la réalisation (ta-wîl) d’un rêve prémonitoire[8]. Pour résumer : le deuxième type de ta-wîl correspond à l’exégèse d’un texte. Les expressions sont explicitées afin de rendre son sens compréhensible et d’en connaitre les tenants et aboutissants. Ce troisième type de ta-wil, en revanche, correspond à la réalité matérielle de ce qui existe dans la monde extérieur. C’est à ce ta-wîl que ‘Âisha faisait référence dans le hadith suivant :

   كان النبي صلى الله عليه و سلّم يقول في ركوعه و سجوده: “سبحانك اللهم ربنا و بحمدك اللهم اغفرلي“. يتأوّل القرآ

Le Prophète ( صلى الله عليه و سلم) disait au moment de ses inclinaisons et de ses prosternations : “Gloire à Toi, Allah notre Seigneur, par Ta louange, Seigneur, pardonne nos péchés”. Il réalisait (ta’wwala) ainsi le Coran[9]

Elle faisait allusion au verset suivant[10] :

{Célèbre alors les louanges de ton Seigneur et implore Son pardon} (Coran 110.

Dans le même sens, il y a cette phrase de Sufyân ibn ‘Uyayna[11] : « La Sunna n’est que la réalisation (ta-wîl) des commandements et interdictions ». La mise en pratique d’un commandement religieux constitue en-soi le ta-wîl du commandement, et la réalisation d’une information est le ta-wîl de l’information. Or, la parole est soit informative, soit performative[12].

C’est précisément pour cela qu’Abû ‘Ubayd[13] et d’autres ont affirmé que les juristes (fuqaha) connaissent mieux le ta-wîl que les linguistes[14], comme c’est le cas pour la question de la « tunique sans manche » (as-Sammâa)[15]. En effet, les juristes connaissent parfaitement la mise en pratique des commandements et interdictions car ils connaissent précisément les visées (maqâsid) du Messager (A), de la même manière que les disciples d’Hippocrate et de Sibawayh[16] et autres, comprendront mieux les visées de leurs maitres, que des personnes se bornant à une simple connaissance linguistique[17].

Cependant, la compréhension (ta-wîl) d’un commandement ou d’un interdit nécessite la connaissance [de cet acte], contrairement à la compréhension d’une information[18]. Connaissant tout cela, le ta-wîl des noms et des attributs révélés par Allah au sujet de Son Essence sainte et autosuffisante, constitue précisément la réalité de Son Être sanctifié et de tout ce qu’elle implique d’attributs. De même, pour ce qui est du ta-wîl des promesses et des menaces qu’Allah a exposées [dans le Coran], il s’agit de la « réalisation » de ces mêmes promesses et menaces[19].

C’est pourquoi, de ce que rapporte le Coran et les hadiths, nous mettons en application ce qu’ils ont d’explicite et nous avons foi en ce qu’ils ont de mystérieux. Car les informations qu’Allah nous a révélées, au sujet de Son Essence et du Jour dernier, contiennent des termes homonymiques (mutashâbihât). C’est-à-dire que le sens de ces mots ressemble à ce que nous connaissons dans cette vie : c’est le cas pour la description du Paradis contenant « viande », « lait », « miel », « eau », « vin », etc.

Ce sont des choses qui s’apparentent, au niveau de la lettre comme du sens, à ce qui existe dans la vie terrestre, mais sans leur être ni identiques, ni semblables. De même, les noms et attributs divins, bien que similaires [linguistiquement] à des noms et attributs humains, doivent prioritairement susciter la distinction entre le Créant et le créé ainsi que la distinction entre la réalité [divine] et la réalité [humaine]. Une information sur quelque chose d’absent (ghâ-ib) ne peut-être comprise que grâce à des “noms” (asmâ) dont le sens est connu dans le monde présent[20].

De la sorte, on parvient à connaitre ce qu’il y a dans le monde absent par l’intermédiaire de notre connaissance du monde présent, tout en étant conscient du facteur distinctif et en prenant en compte que les éléments de l’Au-delà décrits par Allah sont incommensurablement plus grands que ce que nous connaissons présentement. Car l’autre-monde renferme des choses que « nul œil n’a vu, nulle oreille n’a entendu et nul esprit n’a même pu concevoir »[21].

Ainsi, lorsqu’Allah nous informe de certains phénomènes inconnus propres au Paradis et à l’Enfer, nous en comprenons le sens, ou plutôt nous comprenons le sens qu’il nous est demandé de comprendre par l’intermédiaire de ce discours, que nous pouvons ensuite expliciter. Quant à la réalité concrète qui est décrite, et qui d’ailleurs n’a pas encore eu lieu puisqu’elle n’adviendra qu’au Jour de la résurrection, il s’agit là de la « réalisation » (ta-wîl) que Seul Allah connait. C’est pour cela que lorsque Mâlik et d’autres anciens (salaf) furent interrogés sur le verset du Très-Haut :

{Le Miséricordieux, sur le Trône s’est installé} (Coran 20.5)

Ils répondirent : « l’installation est connue, la manière dont elle s’est déroulée est inconnue, la foi [en cet événement] est obligatoire mais s’interroger sur le “comment” est une hérésie ! ». C’était également la réponse de Rabî’a, maitre de Mâlik : « L’installation est connue, la façon dont elle s’est déroulée est inconnue, à Allah incombe l’explication et au Messager la transmission [du message] et à nous de croire en ces informations ».

Il affirmait que l’installation [d’Allah sur le Trône] était « connue », mais que sa description était inconnue. Nous trouvons chez les anciens et les grands doctes de nombreuses paroles similaires. Ils rejettent la possibilité pour les humains de connaitre la nature réelle des attributs divins, car seul Allah sait comment est réellement Allah. Le Prophète (ﷺ) disait en invocation :

لا أحصي ثناء عليك, أنت كما أثنيت على نفسك
Je ne peux dénombrer les éloges qui Te reviennent. Tu es tel que Tu T’es Toi-même glorifié [22].

C’est un hadith rapporté par Muslim et d’autres. Il y a aussi cet autre hadith :

اللهم إني أسألك بكل اسم هو لك سميت به نفسك أو أنزلته في كتابك أو علمته أحدا من خلقك أو استأثرت به في علم الغيب عندك
Seigneur, je T’invoque par tous les noms qui te reviennent, que Tu T’es donnés à Toi-même, ou que Tu as révélés dans Ton Livre, ou que Tu as enseignés à l’un de Tes serviteurs ou bien que Tu as gardés secrets auprès de Toi[23].

Ce hadith est rapporté dans le Musnad et le Sahîh d’Abî Hâtim. Il nous apprend que certains noms divins sont gardés secrets auprès de Lui et font partie du « Mystère » (ghayb). De ce fait, personne ne peut connaitre le sens de ces noms qui sont gardés secrets. Allah, qu’Il soit glorifié, nous a informés qu’Il était Savant, Puissant, Oyant et Voyant, Clément et Miséricordieux et bien d’autres noms et attributs.

Nous en comprenons le sens, car nous pouvons distinguer entre les notions de puissance et de savoir, ou entre la miséricorde, l’ouïe et la vue. Mais nous savons aussi que tous ces noms ont en commun de qualifier l’Essence divine, malgré la pluralité des sens qu’ils recouvrent. Ces noms sont donc convergents et synonymes du point de vue de l’Etre, mais distincts et divergents du point de vue des attributs.

Cette règle s’applique également aux noms du Prophète (ﷺ) : Muhammad, Ahmad, l’ « Abrogeant » (al-Mâhî), le « Rassembleur » (al-Hâshir), « l’ultime [prophète] » (al-‘âqib)[24], ou les noms du Coran : al-Qur-ân, « le Discernement » (al-Furqân), la « juste orientation » (al-hudâ), la Lumière (nûr), la Révélation (tanzîl), le Remède (ash-shifâ), etc.[25]

Les hommes se sont querellés au sujet de ces noms : sont-ils des synonymes qui relèvent de l’unité de l’essence, ou sont-ils distincts du fait de la pluralité des attributs ? Ce [dilemme] est valable pour d’autres exemples comme l’« épée », que l’on peut nommer épée (as-Sayf), lame (as-Sârim) ou sabre (muhannid = épée courbe d’Inde). En réalité tous ces mots sont synonymes du point de vue de l’essence et divergents du point de vue de l’apparence.

Extrait du livre “La lettre palmyrienne“, Ibn Taymiyya, Nawa 2016.
Traduit et commenté par A. Soleiman Al-Kaabi

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[1] Ce verset pourrait être qualifié d’ « introductif », puisqu’il introduit le Coran en le présentant comme composé de deux types de versets. Ibn Taymiyya va rappeler ensuite qu’il y a divergence entre les exégètes sur la ponctuation de ce verset au niveau des deux astérisques : cette ponctuation ayant une incidence directe sur le sens du verset. Est-ce que Seul Allah connait l’interprétation des versets mystérieux, ou seuls Allah et les hommes versés dans le savoir ? Ibn Taymiyya donne plus loin un élément de réponse.
[2] Commentaire d’Ibn ‘Abbâs rapporté par Ibn Jarîr at-Tabarî dans son Tafsîr
[3] Mujâhid ou Abû al-Hajjâj Mujâhid ibn Jabar est un Tâbi‘ première génération de disciples des compagnons du Prophète [ﷺ]). Né en 21H et mort en 100H, il vécut principalement à Mekka. Il apprit l’explication du Coran d’Ibn ‘Abbâs et fut considéré comme l’imâm des exégètes de sa génération.
[4] Introduction de l’exégèse de Tabarî
[5] C’est-à-dire qu’il n’y a pas de contradiction entre ceux qui disent que le verset limite la capacité d’interprétation des versets mystérieux à Allah, et ceux qui disent que le verset englobe les « hommes versés dans le savoir ».
[6] Ibn Taymiyya met en exergue ici la racine étymologique du mot arabe ta-wîl, qui constitue le substantif (masdâr) du verbe âla / ya-ûlu « aboutir à » ou « se réaliser ». Ta-wîl peut alors signifier la « réalisation » d’une parole ou même d’un acte.
[7] Au début de la sourate, Joseph voit en songe, onze astres, la lune et le soleil se prosterner devant lui. Quand des années plus tard, sa famille le rejoint en Égypte et se prosterne devant lui, il voit là la « réalisation matérielle » de ce rêve. Dans le verset, c’est le mot ta-wîl qui est utilisé pour traduire cette idée de « réalisation » d’une parole.
[8] On pourrait rajouter d’autres mentions du mot ta-wîl dans le Coran qui confirment la définition d’Ibn Taymiyya. Dans la sourate de la Caverne (18), quand le sage explique à Moïse les raisons qui l’ont poussé à commettre des actes en apparence odieux comme le sabotage d’un bateau, il dit : {Quant au bateau, il appartenait à des pauvres qui travaillent en mer. J’ai voulu le rendre défectueux car il y avait derrière eux un Roi qui s’emparait de tous les bateaux injustement} (Coran 18.79). Plus loin il dit : {Voilà le sens (ta-wîl) de ce que tu ne pouvais pas supporter} (Coran 18.82). C’est-à-dire que le ta-wîl ici est l’aboutissement d’une action, sa conséquence matérielle dans la réalité : en sabotant le bateau à l’avance, il dissuadait ainsi le tyran de s’en emparer. Comme pour le récit de Joseph, il s’agit aussi d’une réalisation dans le futur car Joseph voit la réalisation matérielle de son rêve bien des années après, et le sabotage du bateau permet également d’éviter sa réquisition dans le futur.
[9] Rapporté par al-Bukhârî, n° 484
[10] Dans cet exemple, on voit bien que le mot Ta-wîl pour ‘Aïsha consiste à mettre en application dans le réel, à faire aboutir, une partie du texte révélé. Le ta-wîl constitue donc la relation entre une parole et une action. L’ordre est contenu en parole dans le verset {Célèbre alors les louanges de ton Seigneur…} et le fait de mettre en application cet ordre en prononçant l’invocation « Gloire à Toi, Allah notre Seigneur, par Ta louange… » constitue son Ta-wîl.
[11] Sufyân ibn ‘Ayna ibn Maymûn al-Hilâlî (107-198H) était un expert en hadith.
[12] L’auteur rappelle ici la distinction sur laquelle tout ce livre est fondé. La distinction entre les deux types de parole : informatif ou performatif. En transposant cette typologie bien connue des théoriciens du langage à l’étude de la parole sacrée, il peut ainsi bâtir une réflexion subtile du message religieux qu’il divise en descriptions sur le monde et l’au-delà qui appellent à la « croyance » et en commandements, ordres et interdits qui appellent à l’ « application » et l’ « obéissance ». 
Donc concernant le sujet du ta-wîl en tant que réalisation matérielle d’un texte ou d’une parole : quand il s’agit d’une information, le ta-wîl est l’objet ou l’événement décrit dans le texte (ex : le mot verre du Paradis et la réalité de ce verre). Quand il s’agit du performatif, il s’agit d’un ordre et de l’application de cet ordre (ex : « accomplis la prière » et l’action même d’effectuer la prière).
[13] Il s’agit vraisemblablement d’Abû ‘Ubayd al-Qâsim ibn Salâm qui arguait du fait que certains termes religieux sont mal interprétés par les linguistes qui se basent sur l’étymologie des mots et non sur leur sens usuel. Par exemple le mot salât va être compris par un linguiste arabe comme « invocations », alors que dans le jargon coranique, ce terme désigne la « prière canonique ». C’est la distinction qu’on retrouve dans les ouvrages classiques entre ma’na lughawî (sens linguistique) et ma’na isthilâhî (sens contextuel). Comme le vrai ta-wîl est la réalisation matérielle d’une parole, le sens véritable se trouvera dans l’analyse contextuelle du mot et non dans son étymologie. 
Il est vrai que beaucoup d’exégètes se focalisent sur l’étymologie pour expliquer les termes contenus dans le Coran, alors que leur vrai sens ne peut être compris que par l’étude de la relation d’un mot avec ses synonymes et ses homonymes présents dans le Coran lui-même. Par exemple pour le mot « kufr » (mécréance) ; beaucoup essayent d’expliquer son sens en recourant à son étymologie (cacher, mettre sous terre, dissimuler). Ils définissent alors la mécréance (kufr) comme étant le fait de dissimuler sa vraie nature. En réalité, le sens subtil de ce mot s’obtient par une analyse comparée à l’intérieur du texte coranique, donc de manière contextuelle. 
Le verbe kafara signifie souvent « être ingrat », « ne pas reconnaitre les bienfaits d’un tiers » comme dans ce verset qui mentionne une parole de Salomon (Sulaymân) : {Tels sont les bienfaits dont Allah m’a comblé pour voir si je serai reconnaissant (ashkur) ou si je serai ingrat (akfur)} (Coran 27.40). Et à la deuxième forme verbale kaffara, ce mot signifie « absoudre un péché », « ignorer un méfait » : {peut-être que votre Seigneur vous absoudra [yukaffîr] vos péchés} (Coran 66.8). 
On remarque que malgré des formes verbales et des contextes différents, un sens commun et fondamental de kafara émerge : « le fait de renier, ignorer l’action d’un tiers » qu’il s’agisse d’un ingrat qui ne reconnait pas la générosité d’Allah envers lui, ou d’Allah qui renie les méfaits commis par des hommes pour leur pardonner. Cette analyse contextuelle nous permet de comprendre que le kufr dans le sens de « mécréance » consiste à renier à Allah son action dans le monde, qu’il s’agisse de la création, de ses bienfaits, ou de l’envoi des prophètes et des livres.
[14] Cette remarque est très importante : il veut dire par là que les Fuqaha ou juristes musulmans qui s’occupent de déterminer les actions concrètes que le croyant doit accomplir dans la réalité pour appliquer la religion, sont plus proches du ta-wîl défini comme la réalisation concrète d’un texte, que les exégètes officiels qui demeurent dans l’explication théorique des textes et ne pratiquent pas réellement le ta-wîl selon la troisième définition qui en est donnée ici.
[15] Dans des hadiths rapportés par al-Bukhârî et Muslim, selon Abû Hurayra et Abû Sa’îd al-Khudrî, le Prophète (ﷺ) a interdit le port pendant la prière d’un vêtement que les Arabes appelaient as-Sammâa qui était une longue tunique cousue dans une seule pièce de tissu et comportant aucune manche ni ouverture pour les bras. Abû ‘Ubayd a précisé au sujet de ce hadith que les linguistes ont donné une mauvaise interprétation à cette interdiction. En se bornant à la définition linguistique de l’expression, ils affirmaient que ce vêtement avait été interdit de peur que la personne ne trébuche. Or, ce sont les fuqaha qui, du fait de leur maitrise du concret, ont donné le bon ta-wîl de cet interdit religieux, en précisant qu’il avait été interdit car il dévoilait les parties intimes quand la personne venait à s’asseoir.
[16] ] Hippocrate (né -460JC ; mort -370JC) était un savant grec. Il est considéré comme le père de la médecine. Sibawayh (148-180H) était un savant perse spécialiste de la langue arabe, il est considéré comme le père de la grammaire arabe, par ses efforts de formalisation des règles linguistiques.
[17] Ibn Taymiyya signifie ici que les étudiants en médecine qui étudient Hippocrate, ou les grammairiens qui étudient Sibawayh comprennent mieux leurs textes que des linguistes étrangers à ces disciplines qui analyseraient leurs écrits mot à mot, car les premiers qui maitrisent ces matières savent à quoi correspondent ces instructions dans la réalité. De ce fait, un praticien comprendra naturellement mieux un ouvrage de médecine, qu’un linguiste même s’il maitrise parfaitement le vocabulaire, car le premier connait le contexte d’application de ces principes.
[18] Toujours en se référant à la distinction informatif/performatif, l’auteur énonce la règle suivante : concernant les passages du Coran purement informationnels, comme ceux décrivant l’Au-delà, une connaissance linguistique suffit puisqu’on ne peut connaitre cette réalité. Mais concernant les passages performatifs (ou normatifs) qui impliquent une application rituelle, une connaissance « pratique » est requise, car une définition purement linguistique peut mener à l’erreur. L’exemple de la salât illustre parfaitement cette règle : le linguiste sera trompé par la définition étymologique du mot salât (invocation) et seul le docteur de la Loi pourra expliquer et détailler les gestes rituels de ce pilier de l’Islam (prière canonique).
[19] Conformément à la troisième définition du ta-wîl donnée précédemment et qu’Ibn Taymiyya considère comme étant la vraie définition ; le ta-wîl des noms et attributs divins, ainsi que le ta-wîl de la description du Paradis et de l’Enfer, ne sont rien d’autre que la réalité concrète de ces choses. Il y a distinction entre le mot et l’objet ; l’objet étant le ta-wîl du mot.
[20] Cette règle énoncée par Ibn Taymiyya permet de comprendre l’homonymie entre des objets du Paradis (verre, palais, etc.) et des objets présents en cette vie. Le Coran s’exprimant dans un langage humain, la connaissance qu’il peut nous apporter d’un monde inaccessible à nos sens et à notre connaissance directe (Paradis), ne peut se faire qu’avec des « signes », des mots usités dans notre réalité. Pourtant, cette homonymie n’implique aucune ressemblance ou proximité entre les objets de cette vie et ceux de l’Au-delà. Il en est de même pour Allah et les hommes : le fait que certains noms et attributs s’appliquent simultanément au divin et à l’humain, n’implique nullement de ressemblance entre les deux.
[21] Référence au hadith qudsî rapporté par al-Bukhârî, selon Abû Hurayra
[22] Rapporté par Muslim, selon ‘Aïsha : chapitre de la prière, Ahmad et Abû Daûd.
[23] Rapporté par Ahmad, ibn Hibbân et al-Hâkim, selon ibn Mas’ûd.
[24] Ces noms ont été rapportés dans un hadith rapporté par Muslim, Tirmidhi et d’autres, selon Mut’am, d’après son père. Le Prophète (ﷺ) a dit : « J’ai plusieurs noms, je suis Muhammad, je suis Ahmad, je suis l’Abrogeant car Allah efface par mon intermédiaire la mécréance, je suis le Rassembleur car les gens seront rassemblés autour de moi, et je suis l’ultime [prophète] ».
[25] Ces diverses appellations sont citées en maints passages du Coran : {Nous t’exposons le plus beau des récits de ce que Nous t’avons révélé dans ce Coran} (Coran 12.3) ; {Béni soit Celui qui descendit le Discernement (furqân) à son serviteur} (Coran 25.1) ; {Ô humains, voilà une noble exhortation qui vous parvient de votre Seigneur, ainsi qu’un Remède (shifâ) pour les cœurs, une Juste orientation (hudâ) et une miséricorde pour les croyants.} (Coran 10.57) ; {Ceux qui ont eu foi en lui, qui le soutinrent et lui apportèrent leur assistance, et qui suivirent la Lumière (Nûr) qui fut révélée avec lui, récolteront le succès.} (Coran 7.157) ; {Il s’agit de la Révélation (tanzîl) du Souverain des mondes} (Coran 26.192).

1Commentaires

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    Marie
    Oct 11, 2019

    Merci pour l'info!

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