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Histoire, société et éducation [Extrait – Histoire & Islam]

Histoire, société et éducation [Extrait – Histoire & Islam]

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De l’école primaire à la dernière année du secondaire, la majorité insouciante des musulmans français a toujours cru que l’enseignement de l’Histoire faisait partie d’un socle d’enseignement général. Prétendument neutre et objective, cette matière n’aurait pour autre but que de lui inculquer généreusement savoir et connaissances. Pourtant très peu savent que « dans le système scolaire, une discipline n’est jamais isolée, puisqu’elle s’inscrit nécessairement dans un contexte politique, social et scientifique. » [1]

Or il est évident que l’histoire n’a pas la neutralité et l’objectivité des mathématiques, car si un plus un font deux à n’importe quel endroit de la planète, il n’existe pas ou très peu de faits historiques compris et interprétés de la même manière à n’importe quel endroit du monde. Ou du moins pas encore, et c’est peut-être la raison pour laquelle l’une des tâches du mondialisme est d’écrire une seule Histoire commune et officielle à toute l’humanité.

L’enseignement de l’histoire permet souvent d’apporter les réponses avant même que les questions ne se posent et ne germent, or telle qu’elle est enseignée en France (mais aussi ailleurs), c’est vouloir créer et imposer d’emblée le mythe d’une histoire absolument commune, et donc fatalement, celui d’une destiné collective commune pour tous les membres du corps social, aussi différents soient-ils. Tout ceci étant surtout destiné aux individus et/ou groupes de populations porteurs de « marqueurs de différences » dont l’existence même est perçue comme une menace potentielle au « vivre-ensemble », tel que l’esprit républicain français le comprend.

C’est la volonté de créer un socle commun si lourd qu’aucune particularité, quelle qu’elle soit, ne sera capable de s’élever au-dessus de lui. Or, le commun est arbitrairement décidé, nul n’a le choix de s’y soustraire car c’est un impératif quasi religieux en France. Ce qui est commun est public et ce qui est public appartient en réalité à l’État[2], et les modalités de l’enseignement en France telles que l’État les impose montrent encore une fois l’origine pré-totalitaire de ses fondements idéologiques :

« L’institution scolaire se situe au cœur de l’identité française : “l’école primaire laïque, gratuite et obligatoire résume à elle seule une sorte d’idéal français d’acculturation complète” qui ajoute au rationalisme allemand un sens très aigu des exigences de la citoyenneté »[3]

Donc, rien d’extraordinaire quand on mesure le formidable potentiel de négation de la différence et de formatage des esprits par ce système d’éducation. C’est non seulement l’État qui enseigne l’histoire mais en finalité c’est lui même qui l’écrit car pour l’idéologie conformiste à la base de ce système « il n’y a pas de consensus possible dans une société si l’on ne commence pas par admettre qu’il y a des affirmations fausses et d’autres qui sont exactes et si l’on n’apprend pas à distinguer les unes des autres », et nul besoin de dire que c’est encore l’État qui dit où se trouve la vérité et où se trouve le mensonge…

Il n’est pas dans notre but, ici, de mettre en garde contre le système scolaire français dans son ensemble : il a ses forces, ses qualités, ses faiblesses, sa part de propagande et sa part de médiocrité comme tous les autres systèmes contemporains. Il s’agit simplement de rappeler que l’école, à l’heure de la mondialisation triomphante, n’a plus la seule vocation d’instruire ou d’éduquer, mais de modeler, de former et avant cela, de transformer.

D’ailleurs, historiquement le changement de dénomination est très révélateur en France : en moins d’un siècle nous sommes passés du Ministère de l’Instruction Publique à celui de l’Éducation Nationale. La première dénomination manifestait une part de neutralité car nous étions dans une simple logique de transmission passive du savoir (mais incompatible et paradoxale avec les bases idéologiques progressistes de la 3e république).

Or, avec la seconde, il y a désormais la volonté affichée et active de prendre en charge totalement l’individu par un État tutélaire, celui de la mère-patrie[4] qui cherche à se substituer à la famille, au groupe d’appartenance ou à la communauté pour en faire un éternel enfant-citoyen qui même une fois adulte n’a pas le droit de s’émanciper de sa tutelle, et qui d’ailleurs ne le souhaite pas.

C’est pourquoi on peut dire que :

« L’école ignore de nos jours des savoirs de l’esprit qui donnent l’intégrité, la volonté, la force et la persévérance. L’indépendance est rarement de mise à l’école ; l’indépendance acceptable est une indépendance canalisée en fonction des canons qui assurent la reproduction d’un certain modèle de société »[5].

Mais il s’agit aussi de rappeler qu’avec un État d’une nature très particulière tel que la France, certaines disciplines enseignées ont un objectif clairement théologique.

C’est-à-dire, que la ou les religions séculières (laïcité, humanisme, démocratie, rationalisme…), qui ont créé l’État moderne français, ont donné à certaines disciplines une fonction religieuse : transmettre à tous les citoyens le même mythe des origines, le même dogme et la même foi. Comme nous l’avons déjà dit précédemment, c’est bien l’Histoire qui est la base élémentaire dans l’élaboration de cette culture nationale française. Or comme disait le philosophe Alain : « Culture et culte sont des mots de la même famille » ainsi la culture nationale renvoie directement à l’idée de culte national ou tout simplement à l’idée de religion nationale.

Dès lors, on ne s’étonnera pas que pour Jules Ferry l’école doit enseigner la « religion de la patrie », et l’histoire telle qu’elle est comprise et inculquée par le clergé de la république française est donc ici comparable au Livre de la Genèse dans la Bible pour les religions judéo-chrétiennes : un récit religieux.

En France sûrement plus qu’ailleurs, les manuels scolaires d’histoire ont donc toujours eu un but prosélyte : convertir. Encore une fois, on ne prêche pas un converti, mais on cherche avant tout à convertir les autres, les nouveaux arrivés, les différents, les étrangers aux mœurs, traditions et croyances tout aussi étrangères, en d’autres mots : les païens de la république laïque, qu’ils soient nés en France ou non, qu’ils soient étrangers ou même Français de souche[6].

Prenons par exemple, le plus célèbre des manuels d’Histoire français jamais rédigés, intitulé « Le petit Lavisse »[7]. Ce manuel, réédité près de 50 fois de 1876 jusqu’au début des années 50, a eu le temps de former plusieurs générations d’élèves et de professeurs. Dès les premières pages, le ton est donné :

« Dans ce livre tu apprendras l’histoire de la France. Tu dois aimer la France parce que la nature l’a faite belle, et parce que son histoire l’a faite grande »[8].

On le voit bien, l’injonction est ici clairement assimilable à un ordre religieux tels les commandements de la Bible, et il ne s’agit là que de l’un de ses nombreux commandements. Il n’est donc pas étonnant que certains aient appelé Le petit Lavisse : « l’Évangile de la République ».

Il est évident que ce genre de manuel d’histoire, vu aujourd’hui comme une caricature par les historiens eux-mêmes, n’existe plus en France. L’enseignement de l’histoire n’est plus aussi explicitement « religieux » dans les messages qu’ils véhiculent, car il y a été tout simplement « modernisé », il utilise des méthodes beaucoup plus subtiles pour arriver aux mêmes objectifs.

Histoire et politique

Toute cette vision et cette idéologie sur la place de l’histoire est d’une importance capitale pour notre réflexion car nous savons qu’elle a de nombreuses incidences sur la vie politique et sociale actuelle. Avec tout ceci, c’est pouvoir comprendre que la France se caractérise une fois de plus dans le monde occidental par la quasi-institutionnalisation d’une histoire officielle.

La démocratie française, sûrement la plus totalitaire de toutes les démocraties occidentales, a toujours su masquer cette réalité par des apparences subtiles, surtout lors de la rédaction de lois mémorielles, sanctifiant une prétendue vérité historique et interdisant sa remise en cause comme hérésie condamnable (loi Gayssot, loi Taubira, Loi sur la reconnaissance du génocide arménien, etc.).

Dès lors, un des moyens de comprendre la situation politico-sociale des musulmans en France particulièrement (et en Occident en général) peut se faire doublement au moyen de l’Histoire :

  - L’étude objective des relations historiques entre la France (ou l’Europe), l’islam et les musulmans.

  - Comprendre l’interprétation de cette histoire par le pouvoir politique et les conséquences qui en découlent.

Le deuxième point nous intéresse plus particulièrement, puisque nous avions déjà posé les balises permettant de traiter le premier ailleurs.

Cette dimension quasi-religieuse de l’enseignement de l’histoire en France implique donc forcément de jeter l’anathème sur toute approche critique de cette histoire, tel que l’a si bien avoué Nicolas Sarkozy : « Il n’y a qu’une histoire de France et non pas deux, parce qu’il n’y a qu’une seule France »[9]. Mais aussi et surtout, elle met au ban toutes les autres histoires considérées comme inutiles et superficielles sinon dangereuses car concurrentes.

Jules Michelet, l’apôtre de l’Histoire pendant la Troisième République ne disait-il justement pas que : « Toute autre histoire est mutilée, la notre seule est complète, avec elle vous sauvez le monde » ?[10] Cette vision totalitaire de l’histoire de France n’appartient malheureusement pas au passé.

Certes la fameuse loi du 23 février 2005 sur le rôle positif de la colonisation a été supprimée. Rappelons-nous qu’un de ses articles a osé stipuler :

« La nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l’œuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d’Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française ».

Ce projet de loi n’avait été abandonné qu’en raison des vives émotions et des polémiques qu’elle suscitait. Ce n’était donc pas une provocation politicienne calculée mais le produit d’une idéologie républicaine radicale et immuable en France depuis plus de deux cent ans maintenant.

Dès lors, si nous méditions sur ces quelques éléments nous pourrions affirmer que les musulmans français sont victimes à trois niveaux de ces tentatives d’acculturation massive qui les plongent dans l’ignorance :

  - En tant que citoyens français (et donc ignorance partagée par tous), l’incapacité de comprendre la réalité de l’histoire nationale française, au-delà de la propagande historique officielle, des mythes et de la mythologie conformiste véhiculés par le système.

  - En tant que musulmans français, l’ignorance et l’incapacité de comprendre en toute objectivité l’histoire et la nature des relations France/Islam.

  - En tant que musulman, l’ignorance de l’Histoire réelle de l’Islam et de sa civilisation selon une perspective purement islamique, et non pas à travers ce que lui en apprend le système dominant.

Ainsi lorsque la plupart des musulmans français entendent celui qui a eu le mérite de faire tomber tous les masques de l’hypocrisie dire :

« Le rêve européen a besoin du rêve méditerranéen. Il s’est rétréci quand s’est brisé le rêve qui jeta jadis les chevaliers de toute l’Europe sur les routes de l’Orient (…) le rêve qui fut le rêve de Bonaparte en Égypte, de Napoléon III en Algérie, de Lyautey au Maroc. Ce rêve ne fut pas tant un rêve de conquête qu’un rêve de civilisation. »[11]

Combien d’entre eux sont capables d’expliquer que civiliser, dans la doxa française, veut justement dire conquérir et avant cela détruire ? Combien sont ceux qui arrivent à comprendre qu’ils subissent encore aujourd’hui les effets de ce rêve sous différentes formes ? Ou bien qu’ils sont eux-mêmes les acteurs inconscients de ce rêve ?

Ainsi tous ceux qui cherchent à séparer la Politique de l’Histoire sont au mieux des naïfs, et au pire des manipulateurs en puissance. Car elles ne peuvent pas être séparées : toute politique est le résultat d’une histoire et deviendra elle-même Histoire. C’est l’histoire via le système de socialisation et d’éducation qui donne sa légitimité à tout ordre politique.

A ce sujet, les musulmans devraient, en méditant sur leurs situations actuelles, comprendre pourquoi en 1941 ce sont parfois avec leurs professeurs d’histoire que des dizaines de milliers de petits écoliers français étaient partis à l’exposition intitulée « Comment reconnaître un juif ? » Car aujourd’hui, encore plus qu’hier, l’histoire « est devenue un réservoir d’arguments que les acteurs de la vie publique mobilisent pour défendre leurs intérêts et légitimer leurs pouvoirs. »[12]

Aïssam Aït-Yahya
Extrait du livre “Histoire & Islam“, p.6 à la p.12

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[1] Colloque “Apprendre l’histoire géographie à l’école”, Paris, Décembre 2002.
[2] En France, l’espace public n’est donc pas le lieu d’expression des opinions et croyances privées malgré ce qu’indiquent les articles 10 et 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.
[3] Identité nationale et histoire, Otilia Calidere, thèse de doctorat Université Montesquieu Bordeaux IV, 2010.
[4] Patrie vient du latin Pater signifiant Père : la mère-patrie peut-être alors comprise comme la fusion symbolique de la mère et du père dans une seule et même entité artificielle, devant recevoir l’unique et absolue piété filiale…
[5] “L’école actuelle face au changement : instruire, éduquer ou socialiser” Ouvrage collectif, Presse universitaire du Québec, 2006.
[6] Tel était le but des historiens de la IIIe République : éradiquer les particularismes régionaux, leurs cultures et histoires, en les réduisant à des folklores soumis à l’histoire officielle française écrite à Paris.
[7] Du nom de l’historien français Ernest Lavisse (1842-1926), directeur de publication et rédacteur de manuel scolaire pour le ministère de l’instruction publique. Il a supervisé la rédaction de dizaines de manuels d’histoire et géographie.
[8] HONTONDJI, Paulin. La rationalité : une ou plurielle ?, 2006.
[9] Discours de Saint-Quentin, 2007.
[10] SURRE GARCIA, Alain. Théocratie républicaine : les avatars du sacré, L’Harmattan, 2010, p. 30. Si cette pensée d’un historien français de la IIIe République est -idéologiquement parlant- typiquement française, en étant le fruit de son histoire, on peut aussi la retrouver chez le grand historien grec de l’époque classique : Thucydide. Malik Bennabi expliquait d’ailleurs que Thucydide « annulait tout le passé de l’humanité en déclarant qu’avant son époque “aucun événement important ne s’était produit dans l’univers”.
C’est ainsi que l’on crée la culture d’empire, celle qui entretien les mythes de la race dominante et du colonialisme civilisateur ». [Vocation de l’Islam, Edition Anep, p. 22]. En nuançant cela, car l’impérialisme grec (athénien) n’a eu pour victime première que d’autres cités grecques, ayant la même culture hellénique : alors que l’impérialisme français et son universalisme messianique s’en sont pris à des cultures totalement différentes, et le “choc colonial” en fut beaucoup plus dévastateur…
[11] Nicolas Sarkozy, Discours de Toulon, 7 février 2007.
[12] NOIRIEL, Gérard. A quoi sert l’identité nationale. Edition Agone, 2007. Notre focalisation dans cet avant-propos sur le cas français s’explique par son modèle politique et social très particulier. Mais cette analyse est aisément reproductible à des échelles et à des niveaux différents pour d’autres pays occidentaux et notamment la Belgique ou même l’Allemagne. Les pays scandinaves et anglo-saxons sont -de manière générale- dans une perspective beaucoup moins coercitive d’un point de vue culturel pour les musulmans, puisque l’accent chez eux est porté davantage sur le respect et la défense des libertés individuelles.

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