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Comprendre et appliquer l’arme du Boycott [2/2] :
L'exemple du boycott économique chez le shaykh ‘Abd ur-Rahman As-Sa'di



Le boycott est une arme sous-estimée par les musulmans et un moyen très peu utilisé. Or, quand il est actif, volontaire et dynamique, il peut à lui seul réduire bon nombre de problèmes, sans demander de grands efforts, mis à part d'avoir une conscience et une cohésion, une unité de corps et d'esprit propre(s) aux musulmans.

Le boycott peut prendre plusieurs formes et a plusieurs avantages, mais il doit être compris et on doit en être convaincu. S'il est bien appliqué, en comptant sur leurs poids et nombres, il peut avoir des effets dévastateurs contre ce vers quoi il est tourné. Quelques exemples de son utilité et de sa pratique :


Nous avons vu, précédemment, comment le boycott religieux visant certaines catégories de personnes était clairement présent dans le Livre d'Allah, et comment l’imam Shaykh Ahmad Shakir, en son temps déjà, le préconisait en Egypte contre certains « zanadiq »[1] qui pensaient être protégés par une pseudo-affiliation à l'Islam. Les appels au boycott sont réguliers, et malheureusement peu suivis, si ce n’est hâtivement discrédités[2].

Notamment lorsqu'il s'agit de l'appliquer dans les domaines économiques et commerciaux, incarnant pourtant le nerf vital, pour ne pas dire la colonne vertébrale, de la Mondialisation occidentale.


Précision contextuelle

Ce projet visant à traduire deux avis religieux emblématiques sur le concept de boycott, avait germé dans notre esprit bien avant la situation que traverse présentement la France. Alors que le gouvernement était en plein débat sur le séparatisme et ses futures lois d’exception, profitant d’une actualité aussi dramatique que tombant à pic, c’est tout l’appareil d’Etat qui décida ensuite de prendre délibérément pour cible un pan entier de sa population, s’abattant sur des musulmans, des associations, des mosquées, jusqu’à surenchérir avec les caricatures du Prophète (prière d’Allah et paix sur lui).

Depuis, les appels au boycott de produits français ce sont très largement répandus dans le monde arabo-musulman. Soulignons que ce type d’appel n’est nullement issu de dirigeants politico-religieux représentant officiellement une nation arabo-musulmane, quand bien même quelques responsables surent, en leur nom ou au nom de leurs institutions, relayer le boycott, comme certains parlementaires au Koweït.

Il s’agit donc d’un mouvement arborant une coloration populaire, empruntant au peuple et sa base la vigueur d’où cet élan provient, initié notamment par des lanceurs d’alerte, sensibilisés par la situation des musulmans en France. Remontant déjà à deux semaines en arrière, dans le monde arabe, on retrouve la trace de cet appel directement lié aux perquisitions en France : donc bien avant le meurtre du professeur d’Histoire et l’enchaînement des événements autour des caricatures.

Ledit boycott ne fut massivement repris qu’ensuite, et ce pour diverses raisons, en témoignent les représailles masquées de certains cercles émiratis, visant à faire payer au gouvernement français ses divergences sur la politique libyenne. Autrement dit, absolument pas motivés en cela par l’amour du Prophète (prière d’Allah et paix sur lui), encore moins par solidarité envers les musulmans de France. Quoi qu’il en soit, cet appel est désormais planétaire.

Le second point à ne pas oublier, au vu du poids qu’il revêt dans l’analyse, est que la majorité des appareils d’État arabes sont, au fond et de manière structurelle, hostiles à ce boycott. De fait, si cela peut sembler paradoxal vu ce que nous venions d’expliquer auparavant, il n’en est rien, puisqu’au Maroc, en Égypte ou en Arabie Saoudite, des signaux clairs sont apparus démontrant cette hostilité et la façon dont ils essaient d’en dissuader leurs populations (suppression de page Facebook ou compte Twitter, pressions, etc.), avançant au besoin X ou Y arguties.

L’exercice n’est pas aisé : s’il est facile pour eux de prétendre que « les affaires des musulmans en France ne nous concernent pas », il est plus dur, dans leur attitude vicieuse et anti-fraternelle, d’affirmer la même chose sur la figure prophétique sans exposer leur hypocrisie (nifaq). D’où leur mobilisation précipitée d’imams fonctionnaires, prédicateurs officiels, savants adoubés, pour déblatérer un torrent d’inepties semi-religieuses et demi-politiques, afin d’appuyer les décisions desdits gouvernants, à commencer par leur choix de soumission servile aux intérêts non-musulmans.

Pour ces derniers, les liens économiques avec la France sont bien plus importants que tout le reste : plus importants que la situation des musulmans dans ce pays, plus importants que la sacralité de la figure prophétique et, en réalité, beaucoup plus importants que le bien-être de leur propre population ou le développement viable de leur société et économie.

Ceci alors que le boycott des produits français – qui empêche souvent le développement de la production locale réelle (et non une simple délocalisation profitant du dumping social), tout en détruisant l’indépendance alimentaire de ces pays – aurait dû être l’occasion pour eux de s’affranchir de cette dépendance, ou limiter des sorties inutiles de devises dans les dépenses de luxe. Regrettablement, les intérêts privés des classes dirigeantes ne sont ni des intérêts islamiques, ni l’intérêt général des masses musulmanes.

Plus grave, face à l’outrage, osons l’indignation ! Comment ne pas réagir à l’inertie de nos imams « collabeurs » et autres « prédic-acteurs », ou bien aux déclarations du Conseil Français du Couscous et de la Merguez (CFCM) qui s’emploie frénétiquement à exceller et se surpasser en matière d’à-plat-ventrisme, de pseudo-patriotisme, en dénonçant cet élan de solidarité mondiale, au moment-même où nous essuyons une répression hors-norme, sous la férule d’un pouvoir qui désire simplement « nous faire passer un message » dans le but que « la peur change de camp »… ?!

Comment oser parler ainsi dans un pareil moment ?! Certes, nous ne sommes pas en position de pouvoir boycotter les produits français, cela dit, en admettant que ce boycott nous dérangerait ou bien nous mettrait dans une situation délicate, la moindre des choses, le minimum imposé par la décence et la foi, au vu de notre état actuel et notre avenir incertain dans ce pays, serait de se taire...

Le boycott fait partie des actions de résistance civile légitime, mais c’est aussi un libre choix, une action faisant partie des affaires de la vie quotidienne (mu’amalat dunyawiyya) : chacun a le droit d’acheter ou de consommer les produits de son choix et de s’en interdire d’autres. D’autant qu’en islam : « Les actions ne valent que par les intentions qui les motivent, chacun n’ayant pour lui que ce qu’il eut réellement l’intention de faire ».

Autre temps, autres mœurs

Nous avons ici une fatwa importante, tant par son contenu que par l'analyse que l'on peut en faire. Le savant érudit Cheikh ‘Abd ur-Rahman As-Sa'adi parle expressément du boycott comme d'une arme économique et commerciale qu'il assimile même à un effort digne de la lutte dans le sentier d’Allah. Nous sommes en 1953/1954 et Saoud Ibn Abdelaziz, roi d'Arabie Saoudite, avait utilisé pour la première fois de son histoire, le pétrole contre l'Occident, principalement contre la France et le Royaume-Uni, qui soutenait Israël et menaçait alors l’Égypte.

Le cheikh As-Sa'di explique ici l'intérêt de ce type de boycott et appelle, fort justement, à sévir contre tous ceux qui usent d'arguments faussement éclairés et pragmatiques pour en limiter l'utilisation, prétextant par exemple, que cela pourrait nuire aux intérêts nationaux, sans se soucier des intérêts majeurs de l'Islam et des Musulmans dans le monde.

Sa démonstration expose, d’une manière brève mais précise, en quoi l’intérêt supérieur de l’islam, ainsi que la « maslaha » générale des musulmans pris dans leur globalité, prévalent et l’emportent sur les dérisoires intérêts mondains et privés d’une quelconque minorité : l’intérêt de la « Umma » dépasse et supplante le moindre intérêt dit « national », d’importance aussi relative que secondaire. Bien évidemment, le cheikh As-Sa'di, qu'Allah lui fasse miséricorde, était bien loin d'imaginer que 60 ans plus tard, ce sont les futurs dirigeants du monde musulman qu'il faudrait eux-mêmes punir, exactement pour les raisons qu'il décrit ici à l’identique, voire pire encore.

S’il fallait ne citer qu’un unique exemple, illustrant à merveille nos propos et trouvant écho dans l’immédiate actualité, sans surprise aucune, pour ce qui touche très précisément au cas du boycott des produits français, nul ne s’étonnera en prenant connaissance de la position officielle saoudienne, consistant à défendre les intérêts de « Carrefour et ses produits » (parfois non halal[3]) dans ledit « Royaume du Tawhid » : solidarité avec les musulmans de France ou Caricatures du Prophète (prière d’Allah et paix sur lui) ne valent pas grand-chose dans la balance monétaire[4]

A l'heure où toutes sortes de décrets (fatwa) et « muftis » faussaires s’acharnent à jouer les sous-fifres[5], il est intéressant d’avoir en mémoire la manière dont nos illustres prédécesseurs, plus particulièrement ceux d’une époque pas si lointaine, affranchis de nocives allégeances et faisant fi des pressions politiques, avaient compris et imaginé la question du boycott, via son versant économique ou commercial. Mais trêve de digressions, laissons place au calame du shaykh

« Le boycott économique est l'un des piliers de la Lutte »
Par le cheikh ‘Abdurrahman As-Sa’di[6]

« Mes frères ! Sachez que [les formes que prend] le combat évoluent suivant le développement des conditions du contexte, que tous les efforts et l’ensemble des actions dans lesquels il y a du bien pour les musulmans, dans lesquels il y a pour eux bénéfice et gloire, sont assimilables au combat. Tous les efforts et actes dans lesquels il s'agit de repousser le mal qui vise les musulmans et de le retourner contre ses ennemis non-croyants découlent de cet affrontement, et toute aide financière aux combattants relève de la lutte.

Celui qui a équipé un conquérant a combattu, et celui qui a pris en charge sa famille (du combattant, s’entend) pendant son absence, il a combattu, et pour une seule flèche tirée, Allah accorde le paradis à trois individus : le fabriquant de la flèche, qui attend la récompense d'Allah ; celui qui aide les combattants avec ; celui qui accomplit le combat avec.[7] L'un des combats les plus importants et les plus bénéfiques consiste à fluidifier et renforcer l’économie des musulmans afin d'augmenter leurs capitaux (ou subsistance) dans les secteurs dédiés et le développement, d'accroître et étendre leurs gains, leur commerce, leur travail et leurs actifs.

Plus encore, parmi les plus bénéfiques et les plus importants aspects du combat se trouve le boycott des ennemis dans les exportations et les importations, de sorte que leurs importations et leur commerce ne soient pas autorisés, que les marchés musulmans ne leur soient pas ouverts et qu’ils ne soient pas en mesure de les apporter vers les pays musulmans.

Au contraire, les musulmans doivent se contenter de ce qu'ils ont comme produits locaux, et n’importer qu’uniquement ce dont ils ont besoin à partir de pays pacifiques [envers eux]. Ni les produits, ni les marchandises des pays musulmans, ne doivent être exportés chez eux [pays hostiles/en guerre], surtout lorsqu’il s’agit de [ressources] qui renforcent les ennemis : tel le pétrole, il faut empêcher son exportation vers leurs [territoires].

D'ailleurs, comment serait-il possible pour les pays musulmans d’exporter ce dont ils (leurs adversaires) se servent pour les combattre ?! L'exporter vers les agresseurs est un grand mal, s'y opposer relève de la lutte suprême, et son bénéfice est, de toute évidence, majeur.

En effet, la lutte contre les ennemis par le boycott général est l'un des plus éminents combats de ce temps, car les rois musulmans et leurs dirigeants - louange à Dieu – ont une part et responsabilité considérable dans ceci, Dieu les ayant grandement avantagés par ce boycott. Le boycott a nui aux ennemis, a affaibli leurs économies, au point où ils se retrouvèrent sous pression, obligés de garantir aux musulmans beaucoup de leurs droits qu'ils ne leur auraient pas accordés sans ce boycott. Par cela, Dieu a préservé l'honneur et la dignité des musulmans.

L'une des plus grandes formes de trahison et d'animosité flagrante, est que des gens avides et cupides, qui ne se soucient pas de la religion ou de l'honneur des musulmans, ni du renforcement des ennemis, donnent accès à l'argent, aux biens et aux produits du pays aux nations ennemis ! C'est l'un des plus grands crimes et des trahisons les plus horribles, et celui qui œuvre ainsi n'a ni droit ni espoir d’obtenir le moindre bien auprès de Dieu.

Le devoir des dirigeants est de sanctionner ces traîtres et de les terroriser, car ils ont clairement aidé les ennemis de l'Islam et ont cherché à nuire aux musulmans jusqu’à profiter à leurs ennemis incrédules. Ce sont des gens corrompus qui méritent le plus grande sévérité. Ce que cela signifie, c'est que boycotter les ennemis avec l'économie, le commerce, les affaires, etc., est un grand pilier de la lutte, comportant un immense bénéfice : à la fois celui d'un combat pacifique et offensif.

Que Dieu accorde le succès aux musulmans pour tout le bien, rassemble leurs paroles, rassemble leurs cœurs, en fasse des frères aimants et solidaires entre eux, les soutienne par Son aide et Son succès, les aide par Son pouvoir et Sa rectitude, car Il est Le Généreux, Le Compatissant et Le Miséricordieux. ».



Aïssam Aït-Yahya

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[1] Selon l’usage et l’acception : hypocrite, athée ou apostat, connotation de perfidie ou déloyauté induite.
[2] Pour rappel, au début des années 2000, avec la seconde Intifada en Palestine occupée, puis l’invasion de l’Irak, des appels massifs et mondiaux au boycott d’entreprises et produits américains se firent entendre, et commencèrent à inquiéter certains intérêts. Cependant, peu après, bon nombre de « fatawas » anti-boycott surgirent, visant expressément le public musulman, provenant comme toujours de personnalités bien connues pour n’avoir aucune autre conscience politique et religieuse que celle de se soumettre aux désirs des rois, de leurs maîtres.
Certains d’entre eux, accessoirement « salafis » saoudiens ou pro-saoudiens, avaient interdit le boycott, alléguant que cette pratique était une « innovation », allant à l’encontre de la voie prophétique, sur base de syllogismes frauduleux, décrets se déversant sur les ondes ou le papier sans vergogne ni discontinuer. Imposteurs à la tête desquels trône l’Arabie Saoudite, pays dont il semble opportun de justement rappeler que l’économie, le commerce et la consommation intérieure de certains produits, sont quasiment aux mains de grandes firmes et multinationales américaines.
Dès lors, tombe sous le sens que le Secrétaire d’Etat US dévolu au Commerce extérieur n’avait et n’eut qu’un coup de fil à passer à son ambassadeur de Riyad, pour lui demander d’assurer la pérennité des intérêts commerciaux américains dans le royaume ; ce dernier contactant directement les ministres concernés, ne leur restait plus qu’à faire en sorte que cette demande « se transforme en fatwa »  
[3] A lire, pour le croire : https://www.al-kanz.org/2012/07/24/ramadan-doux-non-halal-carrefour/
[4] https://www.financialafrik.com/2020/10/28/boycott-des-produits-francais-dans-le-monde-arabe-la-position-surprise-de-larabie-saoudite/
[5] Préciser cet exemple n’implique absolument pas qu’il s’agisse d’un cas isolé, mais nous l’avons fait primer afin de coller à l’actualité. Sans quoi, le drame de ces constats et des mesures à prendre sont légion, et se démultiplieraient quasiment à l’infini. En outre, des informations sérieuses nous indiquent que l’Arabie Saoudite profiterait du commerce d’organes « halal » de nos frères ouïghours organisé par la Chine, pays dont Mohammed Ben Salman a défendu le droit de régler comme elle l’entend ce problème. Les appels au boycott se sont multipliés (CNEWS, le Parisien ou, justement, la Chine) pour défendre l’intégrité physique et morale des musulmans, en France ou à l’étranger.
[6] Nous nous sommes référés à l’édition des « Œuvres complètes » du shaykh As Sa’di, publiée par le Ministère des Awqaf et des Affaires Islamiques du Qatar, supervisée par une équipe de vérificateurs comprenant les enfants du shaykh, en vingt-trois volumes. La traduction que nous proposons est extraite d’une épître originellement composée par l’imam Sa’di, où il traite plus globalement du sujet. Voir vol.23, p.106-107. Pour ceux que cela intéresse, nous les invitons à consulter également l’édition de « Sabil ur Rashad fi Hadi khayr il ‘Ibad » du savantissime (al ‘allama) Taqiy ud Din Al Hilali, publiée par Dar Al Athariyya, vérifiée par Mash-hur ibn Hasan Ali Salman, en quatre volumes. Voir vol.1, p.503-505. Lors des citations exégétiques du chapitre tournant autour du verset 117 de la sourate 9, les commentaires du vérificateur évoquent le sujet via un renvoi vers un décret d’Ibn Baz, avant d’emprunter les propos d’un article rédigé par Muhib ud Din Al Khatib, intitulé « المقاطعة أمضى سلاح بأيدي عرب فلسطين », publié dans la revue « Al Fath » en 1348H (1929H), puis est élogieusement dépeinte et reproduite la « fatwa » du shaykh Ibn Nasir As Sa’di, pour conclure sur une cassette de la « Silsila[t] ul Huda wan Nur » d’Al Albani que l’ancien élève de ce dernier incite à aller écouter. Cette abondance d’intervenants souligne à quel point la question fut claire de tout temps.

[7] Tel que rapporté par Abu Dawud (2513) et An Nasa-i (3578).

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