[Lettre ouverte] Droit de réponse à la nouvelle islamologie 'Kepelienne'
Lettre ouverte et droit de réponse à la nouvelle islamologie "kepelienne"
Réaction de l'auteur Aïssam Ait-Yahya à l'encontre de l'islamologie kepelienne et de son nouvel acteur Hugo Micheron
Après s'être débarrassés des chercheurs rivaux, après s'être accaparé l'attention médiatique, après avoir obtenu l'oreille des milieux du pouvoir, (après même que leur maître "K" ne soit pas complètement étranger au sort de Tarik Ramadan) , il semblerait que les kepeliens aient une nouvelle fixation et une nouvelle cible.AAY et les éditions Nawa font ainsi l'objet d'une attention particulière dans leurs ouvrages. Notamment celui de Hugo Micheron préfacé par K. Allégations, propos sans preuves, erreurs, diffamations, procès d'intention... L'esprit "scientifique" de ces nouveaux islamologues n'a rien à envier à celui du docteur Frankenstein : capable de vous fabriquer un monstre avec tous les morceaux de cadavres qu'ils peuvent trouver.
Bonjour,
Alerté par des lecteurs de l'existence dans plusieurs de vos publications récentes de propos contenant des allégations grossièrement erronées à mon encontre, j’en ai pris connaissance. Juridiquement, ces allégations sont de l'ordre de la diffamation.
De plus, elles sont de nature à me porter d'importants préjudices puisque vous n’êtes pas censé ignorer que ce type d’allégations sert souvent en France à alimenter à charge un dossier, d'abord médiatique, puis politique et, le cas échéant, judiciaire. Dans un tel climat où l'hystérie l'emporte toujours sur la raison vous comprenez donc que vos dires ne sont pas sans conséquences sur mes libertés et mes droits, voire sur mon intégrité morale et physique.
Que vous présentiez vos allégations comme des faits évidents sans avoir à les justifier, dénote des procédés préoccupants pour un chercheur qui se targue d'une expertise comme la vôtre. Par ce courrier, je tiens donc d’abord à rectifier catégoriquement la longue série d’erreurs factuelles qui parsèment vos écrits, les premières dont j'ai pris connaissance, à savoir:
- Je n'ai jamais habité dans le Sud de la France, ni à Toulouse ;
- Je ne me suis même jamais rendu à Toulouse, et donc dans aucun quartier ou banlieue de cette ville ;
- Je n'ai donc jamais participé à des cours/séminaires, ni n'ai jamais donné de cours/conférences dans cette ville ni dans sa région ;
- Je n'ai jamais rencontré, physiquement ou virtuellement, les différentes figures de la région toulousaine qui ont fait l’actualité.
Par ailleurs, je n'ai pas davantage été le fondateur d'aucune maison d’édition, comme j’ai pu le lire ici et là, ni d'aucune association universitaire ou de collectif d’étudiants en Belgique, en France, au Québec ou ailleurs. Ces erreurs portent directement atteinte à la crédibilité de votre ouvrage : elles prouvent que vous n’avez pas effectué la moindre contre-enquête pour vérifier des ‘‘informations’’ glanées on ne sait où.
Venons-en maintenant à des aspects beaucoup plus importants :
Je suis un auteur, écrivain militant musulman, qui a été sollicité par de nombreuses associations et diverses structures, de différentes sensibilités, depuis 2011, par interviews ou conférences, en milieu universitaire, associations culturelles ou cultuelles, pour présenter et débattre sur mes ouvrages ou sur les thématiques sur lesquelles j’ai écrit. Je l'ai toujours fait dans le respect le plus scrupuleux de la Loi. Je vous invite donc à faire ce que de toute évidence vous n’avez encore jamais fait : lire ces ouvrages, et avant de les dénigrer, à leur appliquer une approche scientifique qui vous permette d’en saisir la teneur.
Vous pourrez par la suite les qualifier d’”islamistes”, d’”islam politique”, de "salafo-fréristes", peu importe les adjectifs et la reductio ad Hitlerum tant que ces appellations ne constituent pas de prétexte à remettre en cause mes Droits et Libertés. Ensuite, après lecture et analyse, critiquez-les, infirmez-les ou réfutez-les ! Engagez-vous franchement dans ce débat d’idées ! Pour l’heure, vous en êtes bien loin et vous m’apparaissez donc davantage comme un “sociologue d’opinion” - qui défend une idéologie et sa (future) politique répressive- qu’un auteur inscrit dans une démarche de recherche scientifique.
Aujourd’hui, le fait que des “revenants” du Jihad syrien lisent certains de mes ouvrages, alors qu’ils disposent de temps, ou même dans une démarche auto-critique, fait de moi, selon vous, un de leurs “alibis intellectuels’’. Vos écrits, vos propos me font apparaître ainsi comme le cerveau d’une vaste ‘‘conspiration’’ réfléchie pour un “après Daesh’’. Pour accréditer en effet l’idée d’un “complot islamique’’ savamment planifié, elles adoptent le registre d’un remake du complotisme anti-musulman que votre gauche n’hésite plus à emprunter à l’extrême-droite, en la banalisant aux yeux du grand public.
Encore une fois, je vous invite très sincèrement à ne pas vous contenter de mentionner les titres de mes ouvrages mais à les lire et à les étudier. En bon “spécialiste de la radicalisation et de l’Islam”, vous aurez tout le loisir d’y découvrir que les sujets qu’ils abordent et les thèses qu’ils défendent, du premier au dernier opus, n’ont ni été influencés ni moindrement affectés de quelque façon que ce soit par l’évolution propre du jihadisme, et en sont même complètement indépendants. Mais bien évidemment, comme vous éprouvez déjà des difficultés à saisir le jihadisme pour ce qu'il est - une réaction violente et limitée dans un champ restreint -, vous éprouverez aussi sûrement des difficultés à comprendre que je vise une réflexion plus apaisée et plus politique, dans un temps plus long et plus historique.
En lecteur serein, vous aurez pourtant tout le loisir de prendre connaissance du fil conducteur logique et cohérent que je poursuis. Celui qui me permet de faire une mise à jour des fondements politiques de la religion musulmane en fonction de l’évolution de la réalité contemporaine et de ses défis, n’hésitant pas, pour ce faire, à remettre en cause une certaine expression de la tradition musulmane elle-même. Je le fais, et sans doute est-ce cela que vous me reprochez, sans me soumettre aux diktats de la pensée occidentale (ou française), et sans hésiter (ne vous en déplaise) à remettre en cause certaines de ses prétentions infondées à l’universalisme.
Vos insinuations sont donc tout aussi diffamatoires que vos autres propos, qui les fondent, sont factuellement erronés. Ils démontrent, en fait, le caractère superficiel de votre approche du problème résultant de l’émergence de l’“État Islamique’’ et son Hyper-terrorisme. Ils révèlent votre manque de recul pour saisir les enjeux de la rupture inédite qu’elle a créée au sein dudit “islam politique'' que vous réduisez d'ailleurs, dans le champ militaire, de manière très primaire, à la seule rivalité entre al Nosra/EI : les choses étant en fait autrement plus complexes que cela.
Votre approche témoigne d’une méconnaissance manifeste du milieu que vous nommez “salafiste-islamiste-frériste’’. Vos propres catégories (Salafistes quiétistes vs jihadistes vs Frères musulmans…) vous hypnotisent et vous induisent en erreur. Pire, elles vous conduisent à occulter l’essentiel… sans doute parce que cet essentiel irait à l’encontre de vos conclusions ou de celles de votre directeur de pensée. Vos notions de passerelles ou d’hybridations entre ces différents courants appartenant au sunnisme, sont non seulement creuses, mais elles vous empêchent manifestement de comprendre le problème dans sa globalité. Car chacune à leur manière, toutes ces tendances réagissent en fait à une identique déstructuration et fragmentation du monde musulman, de l’identité musulmane, face à de multiples défis (internes et externes). Toutes répondent en fait - fut ce différemment - aux mêmes problèmes et enjeux.
L’histoire des sciences humaines et les outils (réels) de la sociologie regorgent pourtant de grilles de lecture et d’analyse pertinentes qui réussissent à expliquer de manière rationnelle (c’est à dire sans dérive culturaliste et essentialiste) la nature des différents types d’engagements activistes et militants de ces jeunes (jeunes en général et, ici, jeunes musulmans) en fonction des contextes particuliers où ils évoluent. Mais là est le dilemme: votre travail consiste justement à toujours vouloir occulter le rôle des conditions sociales et politiques, à innocenter l’influence directe qui est celle de ce contexte (national et international) dans la gestation et dans l’évolution de ces différents engagements, qu’ils soient militants associatifs, politiques ou jihadistes/terroristes.
Même votre définition matérialiste des "conditions sociales" est sommaire, car vous n’acceptez d’y voir que des éléments d’ordre strictement économique et financier, favorisant la marginalisation et l'exclusion : l'incapacité de jouir des plaisirs de la société de consommation expliquerait (évidemment) la haine de cette même société... Heureusement que l'alibi ''emprise salafiste sectaire et extrémiste'' est toujours là pour expliquer les cas ''jhadistes'' issus des classes moyennes supérieures... Et de la même manière, lorsque vous n’écartez pas totalement les causes/motivations politiques de ces engagements, c’est avec une perception encore faussée dans cette définition :
“si les jihadistes sont fortement politisés c’est justement parce qu’ils veulent établir un État, une société islamique (leur projet politique)”
Sans surprise, il s’avère que votre islamologie est directement issue d’une tradition orientaliste coloniale, à la fois paternaliste et ethnocentriste, qui refuse d’écouter et d'entendre réellement ce que vos interviewés vous disent : mieux qu'eux-mêmes, c’est vous, en effet, et vous seul, qui savez de quoi il en retourne ! Et vous êtes là pour nous ''traduire'' ce qu'ils vous disent en bon français (à quoi sert votre ''arabe'' finalement ?)....
Cette lecture vous interdit donc d’accorder à ces différents engagements (aussi critiquables puissent-ils être) une once de rationalité. Car, quand bien même ces engagements vous/nous déplaisent et/ou débouchent sur des modes d’actions condamnables, leur minimum de “rationalité” perçue risquerait de rimer avec légitimité. Et le pire, le plus insupportable pour vous et votre “école”, serait que des non-musulmans, étrangers à l’islam, aient la possibilité d’entrevoir cette part de rationalité dangereusement humaine qu’il y a dans tout engagement de ce type, toute revendication, y compris lorsqu’ils s’opèrent sur le registre du terrorisme jihadiste.
L’insupportable serait que les non musulmans perçoivent les causalités externes qui donnent naissance à ces phénomènes très souvent réactifs. Cela serait effectivement plus simple -et pour tout le monde- s’il n’y avait que des ‘‘fous’’, des ‘‘perdus’’ ou sous “emprise sectaire” du salafisme et consort. Il est évident que vos explications psycho-sociologiques, agrémentées de sophismes sur la responsabilité de tel ou tel courant de l’islam sunnite, préfèrent faire l’économie d’une étude menée sur l’impact réel des environnements et de certaines dérangeantes responsabilités externes. Voilà votre dogmatisme sectaire: à certains le leur, à vous le vôtre.
Niez l'Histoire et niez la Géopolitique ! Votre rejet (apparent) des thèses d'Huntington ne fait pas pour autant de votre école celle des chantres de la Paix mondiale, bien au contraire. Sous le masque de colombes, vous êtes les faucons d'une politique éradicatrice.
Sachez pourtant que personne ne naît jihadiste terroriste, pas plus “l’Islam” que n’importe lequel de ses adeptes. Certes ils peuvent le devenir, le fond déterminant souvent la forme (sans déterminisme ni fatalité), personne ne niera cette réalité. Une lecture de Rousseau aurait dû vous le faire réellement comprendre. Cela a défaut de comprendre (en bon sociologue) l’esprit et la réflexion de ces prisonniers interviewés dont vous prenez plaisir, soit à infantiliser ou à discréditer, soit à déconstruire et à déformer, les propos.
Surtout quand ils commencent à être intelligibles par tous (cela même après les avoir sans doute soigneusement sélectionnés/épurés/réduits). Et qu’il est drôle de vous voir constamment essayer de tailler les causalités politiques qui fleurissent quand même à la racine de tant d’interviews ! Mais votre jardinage ne peut pas aller à l’encontre des lois de la nature. Votre conclusion était donc déjà connue d'avance, puisque assise sur le fondement de l’École képélienne. Mais elle est et sera toujours remise en cause par les descriptions plus objectives des faits les plus tangibles qui ne cesseront de contredire vos affirmations.
Mais bien sûr, pourquoi expliquer simplement quand vous pouvez le faire en inversant les effets et les causes ? En bon premier de la classe, vous refusez de voir que l’une des sources des phénomènes problématiques et ce qui les nourrit en France (premier exportateur occidental de jihadistes sans comprendre l'origine de cette ''production'') est bien autre chose que l’expression d’un « extrémisme/radicalisation » interne à certaines interprétations de l’Islam. Votre croyance vous interdit de remettre en cause (tel un blasphème) la situation politique et sociale française, la politique d'intégration/assimilation française ou plutôt son échec, les dérives liberticides de sa sacro-sainte laïcité, l’insidieux système de discrimination qui se cache très (trop) bien derrière la mythologie égalitariste et universaliste républicaine, et - en résumé - la mutation d'un racisme condamnable à une islamophobie institutionnelle tolérable.
Et ne parlons surtout pas de la politique internationale française (lisez à ce propos l'introduction de mon livre "Qotb et la France"). Tout ceci ne date pas de quelques années. Tout ceci est directement issu de pratiques historiques qui ont largement façonné en profondeur l’État français et ses réflexes socio-politiques à l’égard de certaines de ses populations. Tant que les musulmans étaient en France des immigrés étrangers, sans conscience, ni revendications, déracinés et complexés, pratiquant (ou pas) l’islam traditionnel colonial, tout était paisible et sous contrôle. Sociologiquement et historiquement: il aura simplement fallu l’apparition de la première grande génération de musulmans français, nés en France, et de son arrivée à l’âge adulte (après sa crise d’adolescence des années 90), pour que les failles du modèle français ne résistent pas à leurs critiques ou à leur islam décomplexé.
Vous tentez bien d’habiller d’un vêtement scientifique vos croyances. Votre “étude sociologique” ne vise en réalité qu’à les justifier a posteriori. D’où cette infatigable campagne que votre école mène contre la réalité de ces causalités que vous refusez de voir : plus vous tentez de les obscurcir, plus ces causalités deviennent évidentes. Et malgré l’écrasante superficie médiatique dont vous disposez pour propager vos thèses, vous ne serez jamais capable d’affecter un tant soit peu la réalité de tous ces processus conduisant à cette “radicalisation” (si tant est que l’on puisse encore la définir !) ou à cette tentation terroriste, et encore moins d’y trouver des remèdes plus efficaces que celui du recours à l’appareil répressif de l’État.
Ceci car vous vous obstinez à nier la réalité même de ces mécanismes et de leurs causalités, cette obstination à refuser de prendre en compte ces faits trahissant encore une fois la dimension largement idéologique de votre démarche. Croire et affirmer d’abord, “prouver” ensuite : voici la recette de l’islamologie selon ''Saint Gilles Kepel''. Il est malheureux que vous soyez le prédicateur de ce credo-là. J'ose espérer que ce n'est là que l’œuvre zélée d'un converti de fraîche date, et que comme d’autres vous saurez vous en émanciper.
Car vous aurez beau éliminer le salafisme, les Frères musulmans, tous les autres innombrables "-ismes", les courants/mouvements/organisations/associations que vous désignez comme autant de cibles aux lois ou aux armes, aux bombes ou à l’arsenal législatif des dictatures pro-occidentales, vous vous apercevrez bien assez tôt que vous n’aurez aucunement réussi à éliminer les mobilisations que vous décriez. Poussé dans vos retranchements, que vous restera-t-il, à vous et à cette islamologie képélienne dont les relents néocoloniaux ne tentent même plus depuis longtemps de se cacher sous l’ancienne pseudo bien-pensance de gauche ? Il ne vous restera plus - et vous n’en êtes pas loin -, qu’à rallier les thèses les plus jusqu’au-boutistes de l’extrême droite : fini les salafo-fréristes, fini les jihadisto-terroristes, votre problème, il faudra l’avouer, c’est bel et bien l’islam et le Coran, dans leur plus simple expression ! (“Mais pauvre de nous, direz-vous alors... nous étions demeurés aveuglés”...!)
D'autant plus que, vous l'avez-vous même constaté, tous ces individus dangereux lisent bien plus le Coran et les traditions prophétiques que n'importe quel autre ouvrage ! Alors ne laissez donc pas la frontière du conformisme faussement objectif vous faire peur ! Rejoignez l'axe Onfray-Zemmour : le képélisme (Gauche/Droite) peut devenir leur parfaite caution scientifique, si tant est que ce ne soit pas déjà le cas. Et quoi qu'il en soit, sûrement bien plus que je ne suis l'alibi intellectuel de ces ''revenants''.
Sous l’influence de votre imam, vous semblez croire (malgré vous ?) qu’une révélation salafiste serait descendue du ciel (coté orient) et se serait emparée de nos quartiers en France pour préparer un Jihad national… Comprenez bien pourquoi cette pauvre islamologie vire à un complotisme parfaitement inquiétant, paré d’un vernis sociologique, adoubé par les médias, sur le point d’être adopté comme vérité officielle par l’État lui-même ? Mais à ce moment-là, dans cette fuite en avant : aurez-vous trouvé des solutions et résolu ces problèmes en tous genres qui ne cesseront nullement d’émerger ?
Que de détours inutiles pour finalement en revenir à l’orientalisme savant du XIXe, ethnocentriste et islamophobe (à défaut d’être ouvertement raciste), fustigeant les “fanatiques mahométans” refusant de se soumettre à la civilisation imposée par l’ordre colonial ! En somme : Ernest Renan comme ultime horizon de votre maître Képel ? Aussi républicain laïque (et à Gauche) que lui…Sachez bien que ces pseudo-vérités, dont vous vous faites l'héritier, sont comparables à des totems expliquant les mystères de l'univers aux anciens païens (votre public néophyte terrorisé par les démons djihadistes), et n’en doutez pas, tôt ou tard apparaîtra l’aube d’une sociologie objective et tout aussitôt viendra le crépuscule de vos idoles.
Dés ma lecture des premières pages, je note que votre ouvrage regorge de simplification, d’orientations subjectives, de mise à l’écart ou d’ignorance délibérée, de sur-interprétation ou de sous-interprétation de certains faits, en fonction de choix toujours très opportuns, tout ceci certainement pas au service de l’exactitude scientifique mais à des fins idéologiques adaptables au format médiatique.
Vous vous faites un point d’honneur à marteler à longueur de plateaux télé, encore et toujours, ces présupposés de la thèse de votre prédécesseur : rien en France (ou ailleurs), ni même la sociologie de la banlieue française (ni les interventions/situations néo-coloniales dans le monde musulman) ne peuvent être tenus responsables de problèmes qui sont selon vous parfaitement endogènes et spécifiques à l'Islam tel qu'il est pratiqué et compris par certains musulmans. Et si les politiques françaises ont une responsabilité : c’est bien entendu d’avoir été trop “laxistes et naïves”, de s’être compromises avec les ‘‘islamistes’’ ou de les avoir tolérés !
Votre perception des musulmans interrogés en prison est tout aussi intéressante, et en dit long sur l’état d’esprit qui règne chez vous autres képéliens : tous les interviewés qui font preuve d’intérêt pour la lecture, la culture et les sciences humaines, pire s’ils sont diplômés, deviennent tous aussitôt des ‘‘théoriciens’’ ou des ‘‘idéologues’’ (50 sur 80 ?)…Je comprends, bien mieux alors, votre focalisation sur ma personne ! Si de simples férus de lecture (en prison !) ou des diplômés deviennent autant de “Penseurs” : je n’ose pas imaginer ce que je peux représenter à vos yeux…
Toutes choses égales par ailleurs, cela me rappelle l’hostilité viscérale qu’éprouvait votre maître pour l’islamologie de Tarik Ramadan dont le contre-discours lui était insupportable… Et j’imagine assez bien la jouissance que lui a procuré sa mise à mort médiatique (à laquelle il semble d’ailleurs avoir été étroitement associé). Votre attention toute particulière pour la “salle de musculation et la bibliothèque’’ trahit un malaise à peine dissimulé : non pas une phobie des poids et des livres mais plutôt du poids des livres et de leur culture politique au sein des détenus : une future culture qu'il sera de plus en plus difficile à anathématiser et à réduire en un extrémisme religieux moyenâgeux ?
A vous découvrir dans une ‘‘admiration craintive’’ de l’érudition de certain(e)s, je me demande de quoi avez-vous peur en réalité ? De ne plus avoir le monopole de l'expertise savante et de l'analyse socio-politique des phénomènes que vous prétendez étudier, de voir des musulmans utiliser eux-mêmes les outils de la rationalité scientifique, du savoir et des connaissances empiriques issues de disciplines dont vous pensiez être les seuls détenteurs ? De vous voir profondément contredire ou de votre sentiment de ne plus avoir les armes idéologiques pour ce combat d’idées que vous craigniez tant ?
Votre lecture, vos interprétations, votre méthodologie témoignent de la profonde myopie de cette islamologie médiatico-politique, qui est exactement aux sciences sociales ce que Zemmour est à la science historique. Elle souffre de biais cognitifs et de biais scientifiques adoptés pour servir un programme politique (politicien-électoraliste plutôt !) ; elle trahit des focalisations tendancieuses qui n’hésitent pas à inverser les causalités, à grossir certains points et à en minorer d'autres (à votre guise). En un mot : à transformer la réalité pour toujours en revenir à la ‘‘thèse magistrale’' censée tout décrypter et tout expliquer.
Que retenir finalement de votre ouvrage qui veut absolument faire de la "théorie de l'enclave salafiste" la planète autour de laquelle tout le jihadisme gravite ? Si ce n'est qu'il cherche à confirmer le système ''géocentrique'' képélien ? Que de courage intellectuel et d'objectivité scientifique auriez-vous fait preuve, si vous n'aviez pas (fatalement) orienté vos 80 observations en osant dans cet ouvrage un (petit) " Et pourtant elle tourne..." à la face de votre grand inquisiteur et directeur de thèse ! Finalement, tout ce nombrilisme et ces tropismes, expliquant la volonté de me relier à ce fameux milieu toulousain : l’Alpha et l’Omega de l’apocalypse jihadiste que vous prédisez dans ce nouvel évangile...
Malgré tout ceci, et la vigueur du ton, j’espère que vous témoignerez de votre bonne foi vis-à-vis des erreurs factuelles que vous avez commises (nonobstant d'autres que nous pourrions trouver encore dans vos ouvrages, ceux-ci sont en cours de lecture). Celles que vous avez déjà réalisées sont aisément vérifiables pour autant que vous consultiez des sources (non anonymes) raisonnablement renseignées, ou des sources institutionnelles (ne serait-ce que le Ministère de l'Intérieur) plutôt que ces sources pseudo-documentaires trouvées au hasard de l’Internet.
Que les '“ouï-dire’’ et les vieilles rumeurs aient simplement été transcrits sur des supports virtuels ne leur retire en rien leur nature de ragots dépourvus de toute valeur scientifique aux yeux d’un sociologue digne de ce nom. Dans le cas contraire, quelle serait la différence entre vous (Docteur d’État) et certains de ces jeunes sous-éduqués de vos enclaves qui se construisent une fake culture/savoir sur Internet, sans méthode d’analyse des sources, ni capacité de croiser/classifier les informations, sans recul, ni esprit critique et potentiellement adeptes de complotismes en tous genres ?
Et si eux sont excusables car venant des ''Territoires perdus de la République'', votre responsabilité, à vous, est directement engagée quand vous pénétrez de votre plein gré dans les ''Territoires perdus de la Raison scientifique''.
Mon équipe et moi-même restons joignables pour toutes questions et précisions de votre part (ce qu’un chercheur de terrain, objectif et soucieux de l’exactitude de ses propos aurait dû d’abord s’empresser de faire…).
Cordialement,
Aïssam Aït Yahya
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