Todd, psychothérapeute de la société française [4/7]
Todd, psychothérapeute de la société française
Ou Comment guérir de la pathologie laïcité ? [4/7]
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L’ « Islam Zombie » ; le projet visant à créer des musulmans sécularisés
Dès le début de la partie V, Todd montre qu’il a parfaitement compris la différence entre « se dire musulman » et « être musulman », surtout dans un environnement où le simple fait d’être basané fait de toi un musulman potentiel. Il remarque d’ailleurs le parallèle avec les juifs qui pour les musulmans n’a rien de valable qui soit constatable sur le terrain. En effet, puisque la majorité desdits musulmans ont abandonné la pratique de l’islam, tout en continuant à se croire musulmans, nous ne possédons donc pas de moyens de vérifier les taux.
Alors que chez les juifs le schéma est dépassé puisqu’en ayant intégré leur sécularisation ils peuvent dissocier l’identité de leur foi (qu’ils n’ont plus, bien souvent), chose que les auteurs occidentaux ont encore du mal à faire et à comprendre avec le lourd passé paulinien qu’ils se traînent, par lequel la séparation de la pratique et de la foi fut justifiée (et avec lequel ils nous bassinent de par leur incompétence à saisir les nuances pourtant très nettes et marquées du sujet)[1].
Même s’il loue l’égalitarisme dont l’islam peut faire preuve et qui pourrait être utile à la régénérescence du corps social français à la longue, il réclame pour équilibrer la donne un « islam zombie » (entendre un « islam sécularisé ») dont l’augmentation incessante des mariages mixtes lui donne bon espoir. C’est qu’il part du principe que l’islam étant à caractère antiféministe par nature ne peut pas à lui seul être la solution. Il se loue d’ailleurs de constater que ces musulmans sécularisés sont plus proches de la tradition française que de nombreux autres Français.
En regard de l’égalité, la famille arabe et son islam sont plus proches de la tradition française centrale que ne le sont les provinces catholiques zombies ou l’idéologie néo-républicaine. Nous l’avons senti dans le fort vote d’extrême gauche des Français d’origine musulmane, tellement dans la continuité du vote communiste de la banlieue rouge. L’anthropologue se doit donc de souligner que, dans la mesure où elle garde une partie de sa force et de sa spécificité, la culture arabe et musulmane transformée pourrait bel et bien contribuer au rétablissement d’un véritable républicanisme en France. Cette conclusion optimiste est évidemment de la plus haute importance, mais nous devons néanmoins aller jusqu’au bout du raisonnement, sans laisser en chemin les éléments éventuellement dangereux de la culture égalitaire, que celle-ci soit musulmane ou républicaine.
Partant de ce constat, il explique l’antisémitisme des jeunes de banlieue comparativement aux motivations du FN comme suit :
Il existe toutefois une différence structurelle entre l’arabophobie de l’électorat du Front national et l’antisémitisme des banlieues. Le vote FN résulte aussi d’un mécanisme de stratification éducative qui conduit les milieux populaires à chercher dans la hiérarchie sociale, au-dessous d’eux, un bouc émissaire. Dans le cas de l’antisémitisme des banlieues, les jeunes ne peuvent percevoir les juifs pratiquants comme socialement inférieurs. Leur petit nombre en fait, certes, des boucs émissaires idéaux mais, dans le contexte d’une atomisation du milieu social environnant, on imagine plutôt les juifs pratiquants enviés. Leur communautarisation les met à l’abri du vide qui s’étend sur la périphérie de la société française.
Avant de conclure ce chapitre :
Reste qu’au-delà des différences trop évidentes entre le vote FN et l’antisémitisme des banlieues, nous sommes confrontés dans les deux cas au mécanisme effarant d’un universalisme que son incapacité temporaire à assimiler ou à se fondre rend raciste. Plus haut dans la structure sociale, Charlie, porté par la montée de l’inégalité, peut tranquillement manifester, au nom de ses valeurs supérieures, et condamner les deux groupes populaires, égalitaires et égarés : électeurs du FN perçus comme racistes et beurs comme antisémites. Mais c’est pourtant bien cette classe moyenne confite de bonne conscience qui a, par son égoïsme et son mépris, autorisé le pourrissement au bas de la société française et qui persiste, jour après jour, à condamner des catégories entières à la relégation sociale dans laquelle elles auront tout loisir de recuire leur frustration et leur rage.
Au-delà des professions de foi antiracistes, au-delà des engagements solennels et répétés du gouvernement à lutter contre l’antisémitisme, la vérité est que Charlie a réussi, au terme d’une gigantesque partie de billard sociologique, à mettre en danger les Français juifs en maltraitant les Français musulmans. Et que, sous l’effet d’une politique économique insensible et cruelle, il va continuer de s’y employer.
On le voit apparaître ici, chez Todd, ce lien de causalité entre une islamophobie impulsée par des critères déraisonnables, conduisant inévitablement au renforcement d’un antisémitisme patent, laisse entrevoir une forme de substrat édulcoré de la problématique à partir duquel agglomérer le reste de ses observations polémiques qui passeront mieux pour la promotion de son ouvrage par les diacres autoproclamés de « l’église médiatique ».
Les raccourcis un peu simplistes qui vont suivre, qui contrastent avec le brio de l’auteur, ne devront pas perturber le lecteur, mais plutôt l’inviter à aiguiser son esprit critique en l’exerçant sur tout support disponible, aussi vraisemblables qu’en demeurent les thèses de n’importe quel analyste de qualité. Il faut pénétrer la pensée de l’auteur pour saisir les motivations profondes qui l’amènent à postuler la promotion d’un « islam zombie » à travers sa volonté avouée de sécularisation, et à limiter la corrélation entre les conflits en cours au Moyen-Orient (et ailleurs) avec le ras-le-bol émotionnel et égocentrique partagé par trop de « gosses de banlieue » sous-cultivés qui s’emballent puis finissent par décoller pour rejoindre les groupes armés en Syrie.
Est-il encore besoin de rappeler que s’il est vrai qu’une majorité de ceux qui s’affilient à ces mouvements djihadistes et cultivent une certaine forme d’antisémitisme larvé, largement incompris par ceux-là mêmes qui y adhèrent, il ne faut pas non plus en oublier les évidences revendiquées par ces derniers que trop aiment bien souvent passer sous silence. Ce n’est pas tant le peuple juif qui est visé par cette haine mal canalisée issue d’une jeunesse révoltée par trop d’injustices banalisées au quotidien, puisque l’Histoire de l’Islam suffit en elle-même à réfuter la présence d’une quelconque composante antisémite.
Selon cette Histoire que trop semblent avoir oubliée, les Juifs trouvèrent leur compte bien plus souvent du côté « musulman » que dans le camp « Occident » qui s’arroge un pseudo-humanisme dont il n’a jusqu’ici produit que de discutables théories auxquelles s’appose voire s’oppose sa pratique des génocides et de l’injustice très marquée durant l’ère médiévale dont la conclusion hitlérienne étendue au régime de collaboration que la France fait mine d’oublier, représente le modèle plutôt fébrile qu’ils se proposent d’exprimer. Ils ne font généralement que reprendre ces thèmes douloureux du siècle dernier pour imposer le traumatisme collectif d’un crime dont ils essaient de se laver les mains. Seul hic de l’opération, ils pensent ôter les traces et résidus hématiques de leurs doigts en y déversant encore plus de sang par-dessus… Cherchez l’erreur ! Et voilà qu’un nouveau fascisme était né.[2]
La vraie cause de l’hostilité aux juifs chez les musulmans est leur solidarité avec Israël et les atrocités commises par cet Etat à l’endroit des musulmans, ainsi que l’engagement des personnalités juives symboliques (BHL, Finkie, Zemmour…) dans le discours islamophobe et leurs efforts pour monter les occidentaux contre les musulmans. Ce qui nous intéresse relève plus des stratégies de masquage communes aux artistes et affiliés dépendant de la manne médiatique, auteurs et autres cohortes aux productions entachées par une dissimulation de leur pensée propre afin de ne pas s’exposer à la censure au risque de leur carrière. Inutile de citer des noms, chacun doit à coup sûr en connaître, Marc-Edouard Nabe proposa le néologisme suivant pour en dénoncer certains : les collabeurs.
Dans une interview[3], en parlant de son identité juive pour répondre à une question, Todd se définit comme un « marrane », en référence aux crypto-juifs convertis de force par l’Occident tout en dissimulant leur foi, et qui à force de se dissimuler finirent par ne plus vraiment savoir qui ils sont, ou ce qu’ils sont. Toute cette gesticulation aux teintes d’inquiétude compassionnelle envers un peuple juif soulève donc la question légitime :
Comment se fait-il qu’un ex-communiste toujours gauchisant sans aucune attache sauf génétique au patrimoine mosaïque (qu’il vient tout juste de se découvrir et de ressentir en tant qu’identité), et sans crédo spécialement inspiré des traditions judéo-chrétiennes, insiste pour souligner un fond du problème (à l’en croire) antisémite dans une France dont c’est l’obsession, alors qu’il dénonce lui-même que ce faux problème dénote en pointillé une pathologie profonde caractérisée par une islamophobie pseudo-laïcisée ?
Un gage de bien-pensance dans un espace médiatique français qu’il sait très susceptible (?), l’espoir d’échapper à la censure qui n’hésite pas à marginaliser tous ceux qui sortent ou s’écartent des passages cloutés idéologiques malgré ses thèses considérées anticonformistes (?), tout ceci potentiellement dans une intention bassement matérialiste de voir écouler ses livres (?),… Nous n’osons pas penser de telles choses de Todd et préférons, au risque de tomber dans la spéculation, laisser la question en suspens.
Il faut tout de même rappeler le positionnement global de Todd dans ce chapitre concernant le djihadisme. La base de son raisonnement tient à ceci près que l’ordre moral dépravé que nous connaissons actuellement, induit par des organisations économiques inconscientes des réalités et des retombées du long terme par ce culte de l’immédiateté et de la jouissance éphémère, produit auprès des jeunes une gêne virant à la colère face à cet état d’injustice généralisé. Nourris en parallèle par les idéaux de réussite inatteignables de par leur condition et leur statut, ils s’élancent à l’aventure comme en Syrie, pour pouvoir enfin prétendre à un bonheur fondé sur une justice redorant à la fois leur blason et leur ego, tout en faisant d’eux les héros auxquels reviennent les offrandes et les récompenses promises mensongèrement initialement par l’Occident.
On ne saurait, pour autant, réduire l’oppression des jeunes à sa dimension économique. Au-delà du jeunisme de Canal +, nous pouvons voir sur nos écrans défiler l’après-midi des publicités traitant de baignoires sécurisées, de fuites urinaires et d’assurances obsèques. Nous vivons dans un monde idéologiquement dominé par l’âge, dans lequel les jeunes sont incités à se préoccuper de leur retraite avant même d’avoir trouvé un emploi. Bien loin d’avoir des vieux qui restent jeunes d’esprit, les sociétés les plus avancées fabriquent des jeunes programmés pour le vieillissement, qui veulent par exemple le plus vite possible acheter un logement – c’est un complément de retraite – et contribuent ainsi, en faisant monter les prix, à la diminution de leur propre surface habitable. Pour compléter le tableau, « l’État social des classes moyennes et des vieux » n’investit plus vraiment dans la construction de logements.
Et si les jeunes ne sont pas contents, qu’ils s’en aillent : en Amérique, en Australie, ailleurs en tout cas. L’horizon du voyage et de l’émigration des jeunes est l’un des thèmes de prédilection de nos médias, particulièrement de ceux qui sont achetés et lus par des vieux. Étudiant ou cuisinier aux États-Unis, barman à Londres, humanitaire en Afrique de l’Ouest : toute aventure est bonne à prendre. Alors, pourquoi pas djihadiste en Syrie pour les jeunes de banlieue englués dans le chômage et la petite délinquance ? Je ne plaisante pas. On peut, sans rire, prétendre que le mirage de l’État islamique n’est qu’une adaptation de l’idéal de l’émigration des jeunes si chaudement recommandé par nos magazines. Selon l’IFOP, en mars 2014, 49 % des lecteurs de L’Express, 56 % des lecteurs du Point, et 57 % des lecteurs du Nouvel Observateur avaient plus de 50 ans.
Sans sombrer dans un moralisme de type religieux rétrograde, nous devons quand même constater que l’horizon social et moral qui est proposé aux jeunes des sociétés les plus avancées est franchement insuffisant, en dépit d’un progrès technologique qui demeure stupéfiant, exaltant même. Mais l’horizon, au-delà de l’adolescence, en France aujourd’hui, ce n’est pas seulement le jeu vidéo, le réseau social et une sexualité libérée. C’est aussi le spectacle, moralement dégradant, de la hausse des inégalités et de 10 % de chômage acceptés, c’est le cinéma permanent des politiciens qui font semblant de s’opposer les uns aux autres et d’un Parlement réduit à une scène de théâtre, c’est l’insensibilité des classes moyennes protégées dont la télévision continue de nous vanter la vie.
Pendant ce temps, on l’a vu, les prisons se remplissent, de jeunes nécessairement, et bien sûr avec une surreprésentation de ceux qui sont d’origine immigrée récente. En France, d’ailleurs, l’État se refuse à investir l’argent indispensable à un accueil décent des prisonniers et la surpopulation ajoute ses effets à l’ambiance délétère du milieu carcéral. La prison radicalise tout : la délinquance qui, de légère y devient dure, l’islam qui, de traditionnel y devient terroriste. Nous commençons à comprendre par quels mécanismes un islam fantasmé, déformé, devient la raison de vivre et de mourir de tant de jeunes, musulmans ou non, passés ou non par la prison. N’oublions pas pourtant que l’aliénation de la jeunesse, et son exaspération, peuvent trouver d’autres exutoires ailleurs en Occident
Bien que nous ne puissions que reconnaître qu’une partie de ceux qui rejoignent des causes d’apparence noble ne font que masquer leur besoin de se défouler et de libérer une violence intérieure trop longtemps contenue, génératrice d’une frustration énorme aux retombées névrotiques, il n’en demeure pas moins que réduire les enjeux géopolitiques du monde actuel en l’expliquant par des crises émotionnelles immatures et juvéniles par « effet papillon » semble un peu réducteur, surtout provenant d’un auteur capable d’esprit de synthèse comme Todd. Sachant que ce genre d’erreur est récupéré et ne peut que ravir ses adversaires[4].
Certains critiques pernicieux voudraient montrer que malgré la disparité des types de population qui ont pris position lors de l’affaire Charlie, si certaines régions ou villes ont moins participé que d’autres ce serait surtout dû au manque d’éducation. Les villes au plus fort taux de présence seraient celles où l’on trouve des pourcentages plus élevés de diplômés d’études supérieures, élites intellectuelles et autres représentants de la « noblesse idéologique » contemporaine, a contrario des « petites gens », les « sans-dents » tels que les appelle le président de la République, qui eux se seraient abstenus aux côtés de leurs compagnons inattendus, les partisans du FN.
On ne se posera pas la question, comme le rappelle Todd, de la raison pour laquelle les sous-classes ouvrières ne purent massivement participer à une manifestation durant laquelle elles auraient dû parader comme les pratiquants de la « gay-pride » alors que contrairement aux classes aisées, elles avaient peut-être d’autres problèmes plus immédiats et personnels, comme leur travail, qui requerraient d’eux leur attention les détournant au passage des considérations supérieures des affaires d’Etat laissées à une oligarchie aristocratique.
Tout ceci pour laisser croire en le justifiant au passage, qu’au final peu importe la quantité de participants à la manifestation, puisque ce furent avant tout des gens éclairés, et c’est tout ce qui compte. Nous comprendrons implicitement le message subliminal, seuls les abrutis sous-éduqués incultes peuvent être capables de s’abstenir de rejoindre le mouvement messianique du charlisme, car seuls les « sans-dents » et l’extrême droite refusent de se laisser adouber en pratiquant le sacro-saint baptême lors de la messe prononcée au nom de Charlie. On se croirait à la foire aux approximations. Tout un passage qui parle de lui-même :
Sortir de la phobie du religieux
Nous devons à ce stade faire l’effort d’essayer de comprendre pourquoi l’islam, religion introduite en France (et ailleurs) par des groupes minoritaires et dans l’ensemble plutôt défavorisés, peu prestigieux, séduit des jeunes dont certains s’engagent dans ce qui apparaît comme un retour à leur religion d’origine, et d’autres, venus d’une tradition catholique ou laïque, comme une conversion pure et simple.
La négation hystérique de la valeur du religieux ne nous fera pas avancer. Ce qui fait précisément le plus défaut à la France, pays en crise métaphysique, c’est une capacité minimale à réfléchir sereinement sur ce que la religion peut donner aux gens. Au risque d’exaspérer Charlie, qui associe désormais l’identité nationale française au droit de blasphémer Mahomet, nous devons réfléchir à ce que l’islam peut apporter à certains Français. Il ne s’agit au fond que d’élargir à d’autres systèmes religieux l’analyse proposée plus haut du catholicisme zombie, qui admettait non seulement le rôle négatif de l’Église dans bien des domaines mais aussi le rôle positif joué par la morale de coopération issue du catholicisme. Il faut appliquer Polanyi à l’islam autant qu’au catholicisme, non pas à l’islam en général mais à ce qu’il est en France, porté par des groupes spécifiques, dotés d’un niveau de pratique beaucoup plus faible qu’on le croit généralement.
Rien ne justifie non plus l’imputation à toutes les religions, et à tout moment, qu’elles s’opposent au progrès. Ce que montrent au contraire les cas du protestantisme et du judaïsme, deux religions du Livre qui ont engendré des peuples de très haut niveau culturel, c’est que dans le développement des sociétés, la foi a précédé l’éducation de masse. Les pays protestants, scandinaves notamment, en avance depuis la Réforme, conservent un niveau éducatif très élevé, tout comme l’État d’Israël.
La présence de la Finlande en tête du palmarès des enquêtes scolaires du type PISA, qui mesurent les performances des élèves du second degré, doit beaucoup à Luther, très peu à son gouvernement – et rien au capitalisme avancé. Elle est l’illustration la plus haute du protestantisme zombie. L’histoire a été très différente en France, où l’Église du catholicisme tardif, rétrograde, avait freiné l’alphabétisation. C’est sans doute la raison (non consciente) pour laquelle la majorité des Français, prisonniers de leur propre histoire, demeurent aujourd’hui incapables de percevoir positivement la religion.
Tout à fait indépendamment de la question indécidable de l’existence de Dieu et de la vraisemblance des conditions d’accès à la vie éternelle, l’existence d’un idéal combinant morale individuelle, projet collectif et beauté possible de l’avenir peut aider les hommes dans leur effort pour devenir autre chose que de fragiles animaux lâchés dans un monde dépourvu de sens. C’est pour cela que nous devons envisager la possibilité que l’islam contribue positivement, dans certaines circonstances et dans certaines de ses variétés, à l’équilibre psychologique des individus, à leurs bons résultats scolaires et à leur intégration réussie dans la société française.
Il ne s’agit pas d’imaginer une restructuration des banlieues par l’islam ! Mais nous devons être bien conscients que l’anomie, beaucoup plus que le communautarisme, menace aujourd’hui les quartiers. L’assimilation des valeurs familiales et idéologiques françaises y est beaucoup trop avancée. Ce que l’on peut imaginer, c’est une contribution à la marge de la croyance musulmane, importante pour certaines familles engagées dans un effort de promotion intellectuelle, scolaire et sociale. Il suffirait de les laisser tranquilles, mieux, de les protéger contre les insultes et les agressions venues de l’athéisme militant, contre cette nouvelle menace à la liberté de croyance qu’est désormais le laïcisme radical. Cette foi d’un genre nouveau doit, tout autant que le catholicisme, le protestantisme, le judaïsme et l’islam, être tenue à l’extérieur des écoles publiques.
L’islam et l’égalité
La vraie question posée par l’islam à la société française n’est pas principalement que, culte ancien dans un monde métaphysiquement vide, il s’offre comme substitut. Il n’en a déjà plus la force. Les populations qui le portaient à l’origine sont en cours de sécularisation, comme les autres, avec un léger retard. Mais l’islam, comme le catholicisme ou le protestantisme, est capable de transmettre des valeurs à une population devenue incroyante et de rester actif après sa disparition en tant que foi vivante. Nous avons dû admettre l’existence d’un catholicisme zombie, puis celle d’un protestantisme zombie. Nous devons être capables de postuler l’existence d’un islam zombie.
Or ce que l’islam contient de spécifique est une puissante valeur d’égalité des hommes. La famille arabe classique définit les frères comme égaux, tout comme les règles d’héritage idéales exposées dans le Coran. Je parlerai plus bas de la question du « désavantage féminin ». La faible autorité du père se combine à cette égalité des frères pour produire le trait central de l’organisation familiale arabe, largement horizontale, la solidarité des frères.
Une partie de la puissance d’expansion de l’islam vient d’ailleurs précisément de ce qu’il est, dans les textes comme dans les structures familiales qui lui ont servi de point d’appui, fondamentalement égalitaire. Dans le cas de la France, l’égalitarisme de l’islam, perçu comme une menace aujourd’hui, pourrait devenir une véritable chance.
Le comportement politique des populations d’origine musulmane en France témoigne d’une forte prédisposition à voter à gauche. Compte tenu de sa composition de classe et des agressions idéologiques dont ils sont l’objet depuis des années, il est évidemment normal que les électeurs d’origine musulmane votent de ce côté de l’échiquier politique, même si la gauche française actuelle est plus que suspecte (on l’a vu), quant à ses valeurs profondes. Reste que la force de cette orientation à gauche, mesurée par les enquêtes de l’IFOP, laisse supposer une dynamique idéologique intrinsèque. C’est que 80 % des « Français musulmans » choisissent la gauche de manière stable.
Si l’on tient à part la période d’« urgence » antisarkozyste de 2007, la puissance du vote pour l’extrême gauche est particulièrement remarquable. Si tous les ouvriers français étaient musulmans, Jean-Luc Mélenchon serait une puissance politique…Comment qualifier d’égalitaires, cependant, une religion et une organisation familiale qui placent si bas le statut de la femme ? interrogent certains. Une telle question résulte d’une vision naïve et antihistorique de la notion d’égalité, tout particulièrement quand il est question d’égalité dans les structures familiales. »
Tout en voulant rassurer le public français en le sortant de sa psychose paranoïde, Todd abat ses dernières cartes. Le conditionnement antireligieux subi par les Français au fil des décennies ne leur permet plus d’entrevoir les opportunités que peuvent offrir les valeurs des religions[5] en général, dont le principe commun d’égalité de l’Islam en particulier (qui doit lui plaire en lui rappelant le communisme). Il devient donc envisageable de récupérer certains matériaux au socle biblique et coranique pour embellir le vivre-ensemble dans nos sociétés, ceci, à la nuance près que ce doit rester des emprunts, qui doivent abonder dans le sens de la conservation d’un monde que les anciennes religions ont déserté, remplacées par la nouvelle plus féroce que jamais et que Todd veut pacifier et conserver : l’athéisme.
Ce n’est donc pas un élan désintéressé de réconciliation mais de sécularisation qui doit s’opérer, il faut effacer les différences en les noyant dans un « bien commun » adossé aux valeurs laïques, dés-islamiser les populations sans les combattre, mais au contraire en les aidant et les accompagnant à chaque étape de leur intégration et assimilation. L’idée est de donner un intérêt concret aux musulmans qui les motive assez à abandonner l’orthodoxie en leur proposant un cadre de paix serein et supérieur à ce qu’ils vivaient jusqu’à présent en ayant conservé leurs pratiques.
Le stade ultime à atteindre serait un « marranisme » dont il se veut le représentant, un « melting-pot » idéologique de communautés interconfessionnelles qui ne partagent plus qu’un cercle d’idéaux communs, sans plus aucune réelle attache à un référentiel ancien qui permettrait, dans la pratique ou les convictions, de différencier un athée d’un juif ou d’un musulman, avec des mélanges confus dont on doit encourager le caractère abstrait, permettant la naissance par exemple de bouddhistes chrétiens.
L’inverse est aussi vrai, pour s’assurer la réussite d’un tel projet il faut rassurer les athées en leur montrant que les croyants n’ont rien de menaçant puisqu’ils ont au fur et à mesure abandonné ce qui pouvait les caractériser et les identifier en société. Une seule identité noyée dans des milliers. Projet intéressant à plus d’un titre, certes, mais se rendant coupable des mêmes délits que ceux qu’il pensait combattre et résoudre. Nous comprenons les motivations de Todd mais ne pouvons dans la réalité effective concrètement et complètement les rejoindre, au vu des contradictions internes qui semblent illustrer sa conclusion.
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