Todd, psychothérapeute de la société française [3/7]
Todd, psychothérapeute de la société française
Ou Comment guérir de la pathologie laïcité ? [3/7]
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/ De la xénophobie scolaire à l’islamophobie politique, tout un programme religieux
Une analyse des facteurs de réussite scolaire et des liens entretenus avec le soutien aux partis politiques à l’instar du FN ouvre la troisième partie du livre. Les résurgences de ce que l’auteur nomme le « catholicisme zombie »[1] (ou sa variante « protestantisme zombie ») permet de suivre son analyse globale qui se réduit à l’Europe puis à la France en tenant compte des luttes internes entre les différents mouvements de classes qui reflètent leurs origines plus ou moins conscientisées. A cette échelle, c’est le facteur égalité/égalitarisme qui est en jeu par opposition à son contraire qui agit pour comprendre les interactions à de multiples niveaux en décryptant les relations que les peuples entretiennent à la fois entre eux et leur rapport à la religion.
« Un examen global de l’espace européen met en évidence un catholicisme zombie d’échelle continentale qui se combine à l’action des valeurs familiales. Dynamismes flamand, vénétien, irlandais, autrichien, polonais renvoient à des chutes de pratique religieuse dans des régions qui comptèrent parmi les plus sûrs bastions de l’Église. En Allemagne même, la Bavière et le Bade-Wurtemberg, majoritairement catholiques, l’emportent par les taux de croissance sur le Nord protestant.
La reconversion de la Ruhr a toutefois freiné l’ascension de la Rhénanie catholique. La Slovénie et la Croatie, si elles réussissent leurs adaptations économiques, pourraient rejoindre le groupe catholique zombie. La variété des structures familiales sous-jacentes dans ces régions n’empêche pas le partage d’un trait commun : l’absence du principe d’égalité.
Il existe donc, dans l’espace européen comme dans l’Hexagone, une constellation de régions catholiques zombies, non égalitaires, dont une large majorité relève de la zone euro. Dans la mesure où ce type anthropo-religieux est le seul à être vraiment commun à plusieurs nations, on peut avancer l’hypothèse qu’il constitue l’armature réelle de la monnaie unique. Rien d’extraordinaire dans cette proposition, qui se contente d’ajouter la déchristianisation récente au lieu commun d’une construction européenne fille de la démocratie-chrétienne.
Vidée de sa croyance en Dieu, la culture catholique a inventé l’euro. Libérée des obligations de compassion et de charité, sa conception hiérarchique de la vie sociale s’affirme et se durcit. Jour après jour, cet idéal inégalitaire organise un peu plus la vie interne des sociétés et les relations des peuples européens entre eux. »
Une fois l’objectif ramené vers nous et braqué sur le rapport France-Allemagne nous pourrons assister au classement des tendances islamophobes au travail actuellement.
Dans le cas de la France, rien ne met mieux en évidence l’inversion de l’idéologie dominante que l’évolution du rapport aux deux peuples qui, dans l’histoire du XXe siècle, lui ont posé des problèmes : les Allemands et les Arabes. Sous de Gaulle prédominait un idéal d’égalité entre les nations et les peuples. La règle s’appliquait indépendamment d’un sentiment d’infériorité vis-à-vis de l’Allemagne (militairement ou économiquement victorieuse) et d’un sentiment de supériorité vis-à-vis du monde arabe (nos colonies). Les politiques allemande et arabe du Général étaient, en esprit, pareillement universalistes.
L’a priori idéologique a évolué, insensiblement, jusqu’à ce que l’on atteigne l’actuelle mise en hiérarchie. L’Allemagne est redéfinie comme supérieure et doit être imitée ou obéie. Le monde arabe est perçu comme inférieur et doit être modernisé ou relégué. Ce double mouvement n’en est qu’un, élément de la réorganisation inégalitaire du système mental de l’élite au pouvoir. Il s’inscrit dans une continuité plutôt « vichyste » que « républicaine ».
Cette tendance en combat une autre, plus égalitaire, qui consiste à détester tous les peuples également, et que l’on pourrait nommer « xénophobie universaliste », en vertu de quoi on peut être germanophobe, islamophobe et russophobe en même temps. Je tenterai d’expliquer plus loin le sens et la détermination anthropologique de ces deux xénophobies concurrentes, l’une égalitaire et l’autre hiérarchisante. Au stade actuel, en France, ces xénophobies se superposent ou s’évitent en une sarabande infernale. L’élite est russophobe de manière presque homogène. Le PS, officiellement, aime tout le monde, sauf les Russes. L’UMP est européenne et islamophobe, mais moins stricte dans sa russophobie. Le Front national est europhobe, islamophobe mais russophile.
L’évolution propre de l’Allemagne et des pays du Nord amorce une mise en ordre. L’islamophobie, de plus en plus, semble l’horizon de l’Europe et les partis politiques français vont devoir choisir. Soumission de Michel Houellebecq[2] fut un succès de librairie, non seulement en France mais aussi en Italie et en Allemagne. N’imaginons surtout pas Paris en capitale des idées nouvelles. Notre balance commerciale est, à la ligne islamophobie comme à tant d’autres, nettement déficitaire.
Ce sera l’occasion de mettre en parallèle ce que personne ne voulait voir, que les tentatives « éclairées » constatées sur le sol français ne sont en fait que de purs plagiats récupérés de nos voisins germaniques et remaniées à la sauce gauloise. Ainsi en est-il du livre « Le suicide français » [2014] de Zemmour qui faisait écho à son équivalent publié quatre ans auparavant outre-Rhin (« L’Allemagne se supprime elle-même » ou « L’Allemagne disparaît » de Thilo Sarrazin) ou les caricatures de Charlie Hebdo qui copiait le quotidien danois Jyllands Posten qui ouvrait la voie des attaques du prophète de l’Islam dès 2005 (y compris sur l’assimilation et les mariages mixtes qui nous sont hérités de la posture Allemande face aux Turcs). Les créations de partis ou de formations plus militants et extrémistes les uns que les autres jusqu’aux débats sur la circoncision[3] (ou les minarets), grande préoccupation des pays de l’Est avant de devenir la nôtre, s’abreuvent à la même source[4].
Plus que la xénophobie, c’est le facteur islamophobe qui sortira grand vainqueur de ce rapport concurrentiel. De plus, le cirque politique intenable de l’Europe permet de contraster et d’identifier les combinaisons de valeurs supposées expliquer les jeux de force.
La Russie est bien la quatrième case du jeu des familles européennes. La France centrale combine la liberté à l’égalité, l’Angleterre la liberté à l’absence d’égalité, l’Allemagne l’autorité à l’inégalité. La Russie joint l’égalité à l’autorité. (…)L’autoritarisme éloigne la Russie de la France, certainement, comme bientôt l’autoritarisme de l’Allemagne la dissociera de sa partenaire française. Mais la France de Charles de Gaulle aurait immédiatement perçu dans la Russie de Vladimir Poutine une sœur en égalité, capable comme elle de soutenir la vision d’un monde de nations égales.
La Russie demeure faiblement libérale en interne, mais sa perception égalitaire des frères, des hommes et des peuples la désigne au rôle de défenseur mondial du concept gaulliste de « nations libres et égales (…) La néo-République française de François Hollande, où la valeur d’égalité vient de perdre le pouvoir, ne saurait aimer la Russie de Poutine. En raison de la détestation que portent à Moscou les élites occidentales, la relégation de Lavrov dans les profondeurs de la marche néo-républicaine était logique.
C’est pourquoi l’auteur partira du concept de « mémoire des lieux » pour justifier la domination d’une « xénophobie universaliste » (qu’il oppose à la « xénophobie différentialiste ») en France. C’est le rejet de l’autre qui pousse celui qui aurait pu s’assimiler à la différence imposée :
Le concept de mémoire des lieux est libérateur. Il permet d’accepter la permanence des cultures régionales et des cultures nationales sans enfermer l’homme dans une essence immuable. De même que la Picardie, la Bretagne et la Provence peuvent se perpétuer sans qu’il existe des types d’hommes picards, bretons et provençaux violemment séparés par des valeurs fortes imprimées dans l’enfance, l’Angleterre, la Suède et l’Allemagne peuvent être autant de pays vraiment solides sans que l’on ait à faire l’hypothèse d’un Anglais, d’un Suédois ou d’un Allemand caricatural, coupé du monde par son éducation.
Un raisonnement par l’absurde nous permet de comprendre qu’à l’inverse, des valeurs familiales fortement imprimées dans les esprits aboutiraient, avec des niveaux élevés de migration, à une désintégration des territoires et à l’impossibilité que se perpétue tout système familial. Si les valeurs familiales étaient, en conformité avec un modèle « psychanalytique », logées en profondeur dans le cerveau des enfants, les migrations porteraient au cœur des sociétés d’accueil des familles imperméables à l’assimilation.
La multiplication des immigrés aboutirait à la création d’îlots divergeant sans cesse davantage de la culture originelle du lieu. Ces îlots peuvent donner l’illusion d’exister un instant, mais Little Italy ou Chinatown ne furent que des pistes d’atterrissage, des sas d’adaptation pour la première génération arrivée, secouée par le transfert d’une culture dans une autre. Les immigrés, toujours et partout, ont pour destin, si la société d’accueil ne le leur interdit pas, de devenir des citoyens du lieu.
Au-delà du discours multiculturaliste sur le respect de la différence, la vérité est que tout homme, là où il se trouve, et même s’il veut rester fidèle autant qu’il le peut à ce qui lui vient de sa famille, aspire par-dessus tout à devenir un homme parmi les hommes. Le mécanisme est particulièrement puissant chez les enfants et les adolescents. La lutte éducative de certaines familles contre l’école ou le quartier est le plus souvent un combat perdu d’avance. Les cultures doivent être séparées en territoires pour durer.
À cet égard, la situation actuelle de la France n’apparaît pas fondamentalement différente de celle des autres pays, mais on doit tenir compte dans son cas des difficultés entraînées par une gestion économique absurde, ou perverse, ségrégative en tout cas dans ses effets. Nous devons être bien conscients de ce que l’échec de l’assimilation, s’il a lieu, est toujours le fait de la société d’accueil, jamais du groupe immigré : si le refus de s’assimiler est invraisemblable, le rejet par la population d’accueil est toujours possible.
Tout indique qu’à Paris les mécanismes mimétiques d’assimilation sont à l’œuvre, mais de manière fragmentée et sans que l’on puisse exclure l’hypothèse de mutations des valeurs dans les couches sociales supérieures qui y constituent plus du quart de la population.
La liberté n’a guère de raison d’être entamée à Paris par le contexte historique et sociologique. Elle est hystérisée plutôt. L’hyperindividualisme contemporain, la « culture du narcissisme », pour reprendre l’expression de Christopher Lasch, induit l’atomisation de la société, l’incertitude sur les fins dernières de l’existence. L’individu est-il vraiment plus libre dans cette ambiance qui évoque l’anomie et l’absence de repères collectifs plutôt que l’épanouissement ? C’est difficile à dire. Ce qui est sûr, c’est que l’isolement des consciences et les besoins émotionnels qui en découlent ont largement contribué à la fusion de masse du 11 janvier 2015. Trop d’individu, parfois, tue l’individu. Mais nous sommes ici dans le registre d’une éventuelle pathologie de la liberté, non dans celui d’une mutation autoritaire du système de valeurs. »
Il résume lui-même la crise en quatre temps pour conclure cette partie :
« Les éléments principaux du drame ayant été analysés, nous pouvons maintenant résumer par un schéma assez simple le basculement de l’idéologie en France, du principe d’égalité vers son contraire :
1) Au départ existent, dans des classes supérieures étroites et dans les bastions du catholicisme, des points d’ancrage stables de la valeur d’inégalité.
2) La déchristianisation ultime produit une montée en puissance du tiers catholique zombie de la périphérie et de son substrat inégalitaire.
3) Les classes supérieures, catholiques zombies ou non, gonflées par le développement de l’éducation, étendent par capillarité vers le bas la domination, si ce n’est de la valeur d’inégalité, du moins d’un ensemble mal défini de sentiments inégalitaires.
4) Le mécanisme européen, dont le centre de gravité glisse vers le Nord et vers le principe d’inégalité, devient un point d’appui capital pour les forces de l’inégalité en France. Inversement, le tiers inégalitaire des provinces françaises et une partie mal définie de ses classes moyennes deviennent les relais d’un principe d’inégalité qui se déploie à l’échelle européenne sous leadership allemand. »
Du FN au PS : l’inefficacité incarnée
La partie IV de cet ouvrage s’intéresse essentiellement au FN et plus particulièrement au rapport de complémentarité qu’il entretient avec le PS malgré leurs différences, aboutissant à un racisme à double variation, avant d’évoquer pour finir, le cas Mélenchon.
« Consciente, assumée, revendiquée, la xénophobie des électeurs du FN relève de la « xénophobie subjective ». La xénophobie du PS, révélée par un comportement économique, mais niée par la doctrine, peut être désignée par l’expression « xénophobie objective ».
Résumons.
Le PS est objectivement xénophobe. Ancré dans des structures anthropologiques inégalitaires, il est différentialiste et ne désire pas vraiment l’entrée de tous les enfants d’immigrés dans la nation.
L’électorat du FN est subjectivement xénophobe. Produit de structures anthropologiques égalitaires, il ne supporte pas l’existence d’une différence immigrée concrète.
Du point de vue de la logique scientifique et du principe de symétrie, le monde est désormais en ordre. Pour ce qui est de la vie des Français, c’est une autre affaire. La xénophobie objective de la politique économique maintient l’immigré, et surtout ses enfants, dans une différence visible. Elle nourrit donc sans relâche la xénophobie subjective de l’électeur du Front national, exaspéré par la « différence », par le « refus de s’assimiler » de l’étranger.
Nous sommes ici confrontés – comme dans le cas de la poussée antisémite de la fin du XIXe siècle mais d’une autre manière – à l’une de ces combinaisons idéologiques complexes que permet la diversité anthropologique française. Motivation différentialiste de la périphérie et motivation universaliste du centre collaborent à l’émergence d’une forme, certes mixte, mais très menaçante, de racisme. L’image qui vient à l’esprit est celle d’un virus particulièrement nocif résultant de la recombinaison de deux rubans distincts d’ADN.
Une étude du Front national dans l’espace anthropologique français serait incomplète sans un examen du parti qui voudrait le supplanter mais n’y parvient pas, le Front de gauche. La même méthode d’analyse, appliquée cette fois au vote pour Jean-Luc Mélenchon en 2012, contribue à l’explication.»
Le non-sens provoqué par la constatation d’acteurs politiques aux si faibles engagements concrets, sans réelle capacité de changement aucun à l’échelle nationale, exige la participation d’un acteur extérieur, qui mobilisera l’énergie de chacun. Il s’agit, évidemment, des musulmans.
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