La pratique prophétique dans l’aumône et la zakât [Extrait du livre Pourquoi donner ?]
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Toute la spiritualité est tirée du modèle prophétique dans sa vie, raison pour laquelle nous commençons par cet aspect.
Le modèle prophétique dans l’aumône (sadaqa)
Un très grand nombre de hadiths confirment les grandes qualités du Prophète (صلى الله عليه وسلم) dans sa façon d’être généreux. Ne pouvant tous les citer, nous en livrons quelques-uns.
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Donner de façon indirecte
Jâbir (رضي الله عنه) rapporte qu’il était sorti avec le Prophète (a) lors d’une bataille. Durant le retour, son vieux dromadaire ne pouvait suivre les autres et il s’était rapidement trouvé au bout de la caravane. Le Prophète (صلى الله عليه وسلم) est alors venu à lui en lui demandant le pourquoi de son retard, ce qu’il lui expliqua. Le Prophète donna alors un petit coup de fouet au dromadaire qui se mit à aller nettement plus vite, jusqu’à se retrouver dans le peloton de tête, près du Prophète. L’Envoyé de Dieu (صلى الله عليه وسلم) lui dit :
« Veux-tu me vendre ton dromadaire ? » Je lui répondis tout gêné : « Non ! Prends-le ! » Il me dit : « Non, tu me le vends si tu veux ! » Je lui répondis : « Non ! Prends-le ! » Il me dit : « Non, tu me le vends si tu veux ! » Je lui ai alors dit : « Je dois rembourser un homme d’une once d’or. Je te le vends alors pour ce prix. » Il me dit : « Je l’achète pour ce prix, lorsque nous arriverons à Médine, tu me l’amèneras. » (…)
Lorsque nous sommes arrivés à Médine, le Prophète (صلى الله عليه وسلم) dit à Bilâl : « Donne-lui une once d’or et ajoute-lui en plus. » Je lui ai donné le dromadaire. Il me paya le prix et m’en ajouta davantage. Puis me rendit le dromadaire ! Je me suis dit : « Je vais garder jusqu’à la mort cet ajout d’or. Je l’ai mis alors dans une bourse, qui me fut prise lors de la bataille de la Hurra (près de Médine). [Bukhârî (2309), Muslim (715), version d’Ibn Hibbân (6517)]
Donner, même dans le besoin
Le Prophète (صلى الله عليه وسلم) préférait donner ce qu’il avait même s’il devait rester dans le besoin. Le Compagnon Sahl Ibn Sa‘d rapporte :
« Une dame avait offert au Prophète un long châle (shamla) et lui dit : “Je voudrais te donner ce châle pour que tu le portes.” Le Prophète (صلى الله عليه وسلم) le prit, il en avait bien besoin et s’en couvrit. Un des Compagnons le vit et lui dit : “Ô Prophète, qu’il est beau ce châle ! Peux-tu me le donner afin que je le porte ?” Le Prophète lui dit alors : “Oui !” et le lui donna. Lorsque le Prophète (صلى الله عليه وسلم) quitta l’assemblée, les autres compagnons grondèrent leur pair et lui dirent : “Ce que tu as fait n’était pas bien du tout. Tu as vu que le Prophète (صلى الله عليه وسلم) en avait vraiment besoin lorsqu’il l’accepta. Mais tu le lui as demandé tout en sachant qu’il ne refusait jamais de donner ce qu’il avait !” Il répondit : “En fait, je voulais bénéficier de sa bénédiction en le portant après qu’il l’ait porté, en espérant l’utiliser comme linceul à ma mort !” » [Bukhârî (6036)]
Voici le Compagnon et son intention ! Voilà le Prophète (صلى الله عليه وسلم) et son immense générosité !
Donner, ne serait-ce qu’un enseignement, lorsqu’il n’avait rien
Et si le Prophète (صلى الله عليه وسلم) n’avait rien à donner, il ne laissait partir la personne qu’avec une bonne parole [Tabarânî, Ibn Hibbân]. La bonne parole, ici, a été expliquée par un enseignement prophétique. Le visiteur recevait donc toujours quelque chose de la part du Prophète (صلى الله عليه وسلم), sinon une chose, du moins un enseignement !
Un autre hadith le décrit avec ce don de l’enseignement :
« Les Compagnons entraient chez lui demandant le savoir, et ils n’en sortaient qu’avec des enseignements » [Ibn Hibbân]
Le mot arabe dhawwâq ( ذواق ) veut dire un dessert, sucré de préférence, mais en fait dans ce cas, c’était la connaissance. Le compagnon Jâbir décrit ainsi le Prophète (صلى الله عليه وسلم) :
« Le Prophète (صلى الله عليه وسلم) n’a jamais refusé de donner à chaque fois qu’il lui a été demandé quelque chose. » [Muslim (2311)]
Ne rien laisser chez lui
Le Compagnon ‘Uqba rapporte qu’il avait accompli la prière du ‘asr que le Prophète (صلى الله عليه وسلم) lui-même dirigeait. Une fois la prière accomplie, le Prophète (صلى الله عليه وسلم) s’était levé brusquement, contrairement à son habitude[1], en traversant les rangs pour pénétrer dans ses appartements. Les Compagnons s’inquiétèrent de cette attitude, et en revenant et ayant vu leurs visages interrogateurs, le Prophète leur dit :
« Je me suis rappelé un peu d’or brut chez moi, et je ne voulais que cela occupe mon esprit, j’ai alors voulu le donner. » [Bukhârî (851)]
Il se passait 2 à 3 mois sans qu’il mange quelque chose de chaud, de préparé. Et pourtant il pouvait s’offrir de tout, il n’avait qu’à ordonner, et il se ferait obéir ; mais telle n’était pas sa mission. Notre mère ‘Âïsha disait à son neveu ‘Urwa :
« Il se passait facilement deux mois, c’est-à-dire trois lunaisons, sans que l’on allume, dans la demeure du Prophète (a), de feu [pour préparer à manger]. » Il la questionna : « Mais que mangiez-vous ? » Elle lui répondit : « Les deux noirs, l’eau et les dattes ! Et de temps à temps, des voisins Ansârs nous donnaient du lait de leurs bêtes. » [Bukhârî (6094), Muslim (2970)]
Donner plus que le reçu
Abû Hurayra rapporte qu’un homme était venu reprendre une bête (dromadaire) qu’il avait prêtée au Prophète (صلى الله عليه وسلم), en lui parlant agressivement. Les Compagnons voulurent le corriger, mais le Prophète (صلى الله عليه وسلم) leur dit :
« Laissez-le tranquille, l’ayant droit a droit à la parole. Achetez plutôt une bête et donnez-la-lui. » Ils dirent : « Nous n’avons trouvé que des bêtes meilleures que la sienne. » Il leur dit alors : « Achetez-la et donnez-la-lui ! Le meilleur d’entre vous est celui qui rend sa dette de meilleure façon. » [Bukhârî (2390), Tirmidhî (1317)]
Une générosité légendaire
Sa générosité était légendaire, il déposait ses dons là où il le fallait, pour un pauvre, un nécessiteux, à celui qui était dans le besoin, ou bien pour rapprocher à lui des gens encore hésitants, ou bien en tant qu’enseignement pour ceux qui voulaient le suivre. Sa générosité n’était qu’une facette de son immense personnalité et de ses qualités. Qualités louées par Dieu Lui-même :
« Tu es, certes, d’une moralité élevée. » [Coran 68/4]
Nous avons cité plus haut le hadith :
Ibn ‘Abbâs rapporte que : « Le Prophète (صلى الله عليه وسلم) était le plus prodigue des gens (ajwad), mais il l’était encore plus durant le mois du ramadan lorsqu’il recevait l’archange Gabriel. Ce dernier le rencontrait chaque nuit du ramadan et lui faisait réciter le Coran. L’Envoyé de Dieu (صلى الله عليه وسلم) était encore plus prodigue (ajwad) que le vent [envoyé par Dieu]. » [Bukhârî (6), Muslim (2308)]
Nous avons expliqué, plus haut, la différence entre les deux termes al-jûd et al-karam. Le hadith lie cette générosité et prodigalité du Prophète (صلى الله عليه وسلم) à deux éléments importants : la rencontre de l’archange Gabriel et sa récitation du Coran. La lecture[2] (récitation) de ce dernier avait cette conséquence sur le comportement prophétique : la générosité. Le Prophète (صلى الله عليه وسلم) était « plus prodigue que le vent envoyé » :
- Une prodigalité était sans fin, qui embrassait tous, au-delà du demandeur, comme l’est le vent !
- Une prodigalité plus forte que ne l’est le vent pollinisant (anémogamie), qui transporte le pollen sur de très grandes distances[3] !
- Une prodigalité aussi rapide que le vent, sans attendre ni rechigner.
- Une prodigalité plus intense que les vents qui poussent les nuages de pluie, porteurs de vie !
Cheikh Raysûnî[4] ajoute, en commentant l’expression “tel le vent envoyé ”, que la générosité prophétique était de l’ordre de la puissance du vent et dans le fait que ce dernier étend partout et sans distinction la pluie et le bien qu’il porte. Nous savons que le Prophète (a) n’avait pas de biens, car il vivait pauvrement.
D’où lui venaient alors ces biens qu’il distribuait ? Raysûnî précise qu’ils provenaient de ce que lui donnaient les Compagnons et qu’ils mettaient à sa disposition. Le Prophète distribuait alors ce qu’il recevait avec cette qualité : prodigalité. Ibn Al-Qayyim[5] écrit ces belles lignes :
« Le Prophète (صلى الله عليه وسلم) était la personne qui donnait le plus d’aumônes (sadaqa) de ce qu’il possédait. Il ne considérait pas beaucoup ce qu’il donnait, ni ne considérait avec dédain le peu qu’il donnait. À toute personne qui lui demandait quelque chose, il donnait de ce qu’il possédait, beaucoup ou moins. Il donnait l’impression, en distribuant son aumône, d’une personne qui n’avait pas peur de la pauvreté[6]. Le don et l’aumône étaient parmi les choses qu’il aimait le plus. Son bonheur, lorsqu’il donnait, était plus grand que celui qui recevait ce don. Il était le plus généreux des gens en distribuant le bien, sa main droite[7] était tel le vent fertilisant.
Lorsqu’une personne dans le besoin venait à lui, il la préférait à sa propre personne, parfois en lui donnant son propre repas, son propre habit. Il diversifiait ses dons et ses aumônes, parfois en offrant, parfois en donnant une aumône, parfois un cadeau. Parfois il achetait une chose puis la redonnait au vendeur avec son montant, comme il l’avait fait avec Jâbir et son dromadaire [voir hadith 1 plus haut]. Parfois il empruntait une chose, puis en la rendant, il donnait plus qu’il n’avait emprunté, ou plus grand ou meilleur encore [voir hadith 2 plus haut]. Parfois, il achetait une chose en donnant un montant plus grand que son prix.
Il acceptait les présents et remerciait en en offrant de plus grande valeur ou en plus grand nombre désirant, par ce faire, faire plaisir au donneur et montrer les diverses voies de l’aumône et du mieux-faire (ihsân) avec les moyens disponibles. Son aumône, ses dons, sa générosité se faisaient par ce qu’il possédait, par sa façon de faire plaisir, par sa parole, et de donner de ce qu’il possédait. Il incitait à donner l’aumône, et y exhortait par sa pratique, sa parole. Si un avare le voyait, le comportement prophétique l’impressionnait tellement qu’il le poussait au don et au partage. Et toute personne, qui l’approchait et voyait son exemple, ne pouvait se retenir de donner et d’être ainsi généreux comme le Prophète (صلى الله عليه وسلم) l’était.
La pratique prophétique incitait les gens à la bienfaisance, à l’aumône, pour cela, il était la personne qui avait la poitrine la plus généreuse[8], était la meilleure personne, celle qui avait le coeur le plus riche. Car l’aumône et la bonne oeuvre ont de très belles conséquences sur la personne et la largesse de la poitrine. »
Orientations prophétiques sur la pratique de la zakât
La pratique prophétique concernant la zakât est très instructive à cet égard. Lorsque le Prophète (صلى الله عليه وسلم) savait que telle personne était dans le besoin et entrait dans le cadre des bénéficiaires de la zakât, il lui donnait de cette dernière. Si quelqu’un, qu’il ne connaissait pas ou dont il ne connaissait pas le besoin, se présentait pour percevoir de la zakât, il lui donnait après lui avoir rappelé que la zakât n’est pas destinée aux riches, ni à toute personne pouvant travailler et ainsi vivre avec le fruit de son travail. Il prenait la zakât du redevable et la donnait à celui dans le besoin.
Le Prophète (صلى الله عليه وسلم) distribuait la zakât d’abord dans le pays, la région, la ville dans laquelle elle était collectée. Le surplus était alors dirigé vers un autre pays, une autre région, une autre ville pour y être distribué. Il avait envoyé Mu’âdh Ibn Jabal au Yémen en lui ordonnant de collecter la zakât des riches du pays et de la redistribuer aux pauvres du Yémen[9], mais ne lui a pas ordonné de la ramener à Médine, capitale de l’État musulman.
Mais Mu‘âdh, ayant vu qu’il y avait un surplus de la zakât, envoya ce surplus à Médine, inaugurant par ce faire son application de la finalité de la prescription prophétique. Il proposa aussi aux Yéménites de pouvoir donner la zakât de la nature du bien imposé ou d’en donner l’équivalent en un autre bien, c’est ainsi que certains vont donner des tissus en lieu et place des grains, du bétail…
Il envoyait aussi les collecteurs de la zakât à la campagne mais n’en envoyait pas aux villes. Il n’avait pas pour habitude de prendre les meilleures bêtes des troupeaux –celles aimées par leurs propriétaires le plus souvent– ni des moins bonnes, mais des moyennes, comme il avait ordonné à Mu‘âdh de le faire, afin de ne pas défavoriser le donneur ni le receveur. De même, pour les produits agricoles, il ne s’agit pas de donner des meilleures récoltes, des meilleurs produits, mais des moyennes, sauf si le donneur le stipule, auquel cas, le mérite serait bien plus grand.
Le Prophète (صلى الله عليه وسلم) avait aussi pour habitude de déconseiller à celui qui avait donné des bêtes comme zakât de les racheter (si elles lui tenaient à coeur). Le Prophète (صلى الله عليه وسلم) avait pour habitude, lorsque quelqu’un lui apportait sa zakât, de lui faire des invocations auprès de Dieu en disant notamment[10] :
« Seigneur, bénis-le et bénis ses biens (troupeaux) ! » [Bukhârî (1427)]
Il disait parfois aussi :
Seigneur, prie[11] pour un tel ! » [Bukhârî (6359)]
Nous développons cette pratique prophétique dans le chapitre dédié à l’éthique dans ce livre.
Mostafa Brahami
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