Todd, psychothérapeute de la société française [1/7]
Todd, psychothérapeute de la société française
Ou Comment guérir de la pathologie laïcité ? [1/7]
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Chacun se souvient des événements du 7 janvier 2015, qui menèrent à la grande manifestation nationale sous forme de messe française du « charlisme », le 11 janvier 2015, dont le « Je suis Charlie » était la profession de foi. Tous ceux qui ne se prêtaient pas à la minute de silence ou au terrorisme intellectuel appliqué par le biais de chantage et de viol mémoriel, étaient immédiatement catalogués et suspectés d’apologie du terrorisme.
La caste politico-médiatique s’est saisie de l’événement pour tenter de nous faire croire à une tentative d’assassinat de l’identité nationale par sa communauté minoritaire, incitant par-là indirectement au meurtre (symbolique) de l’Islam, grand problème de la république qu’il fallait régler au plus vite à en croire les prêtres, rabbins et autres curés du ministère, qui s’exprimaient du bas de leur incompétence. Une affaire qualifiable de « 11 septembre français », qui pour notre clergé gouvernemental et son sacerdoce médiatique serait l’occasion inespérée de renouer avec les valeurs oubliées fondant le culte de la nation, dont la Liberté, et plus particulièrement celle d’expression, par inférence.
Prêcher la religion démocratie n’étant pas une mince affaire en ces temps de scepticisme généralisé, il fallait bien un élément catalyseur afin de ressouder et unifier le peuple autour de quelques principes, et peu importe s’ils furent fantasmés. Le scandale tombait à pic, une fois encore, le mythe franco-français du consensus idéologique, très « voltairien » selon leurs mots, nous fut servi, et gare à ceux qui ne terminaient pas leur assiette. Les Français gobèrent alors chaque bouchée de ces mensonges, l’une après l’autre, sans pouvoir recracher, douter ou critiquer le moins du monde la plus infime parcelle des assertions dont ils étaient forcés de se gaver.
Depuis cinq mois, de nouveaux problèmes se présentèrent pour alimenter la machine de la désinformation et certains pensaient que le radicalisme latent dissimulé derrière le spectre de la laïcité s’était calmé. Que nenni.
Emmanuel Todd ?
Il y a quelques semaines, un livre intitulé « Qui est Charlie ? Sociologie d’une crise religieuse » est sorti. Son auteur, Emmanuel Todd, est un acteur connu des milieux intellectuels français et plus largement impliqué au niveau international. Ce dernier s’est avant tout spécialisé en histoire, démographie et anthropologie. Sa méthode consistant à se baser sur des données démographiques englobant statistiques, graphiques, cartes et autres outils, recoupées à la dimension anthropologique de ses études, donne naissance à des analyses sociologiques intéressantes de par leur qualité et leur pertinence dans un paysage fasciné par les sophismes déconnectés de la réalité.
La force (ainsi que la faiblesse, d’ailleurs) de ses investigations réside dans l’idée qu’il entretient derrière le postulat selon lequel on pourrait expliquer et retracer jusqu’à la formation même des idéologies par l’analyse du contexte social local et des structures familiales.
Idée intéressante, certes, sans aucun doute, et novatrice en ce sens qu’elle apporte un nouveau souffle par l’offre qu’elle se propose d’incarner d’un stock de nouveaux matériaux à insuffler aux sciences humaines et sociales. Il faut cependant préciser ce dont chacun se doute et rester raisonnable : comme toute méthode humaine à la jointure de son utilité elle possède ses limites, et ne peut prétendre tout expliquer. Aux côtés de la reconnaissance de sa valeur et la qualité d’aide à l’objectivation qu’on doit lui reconnaître, il doit donc être rappelé qu’elle reste partielle et partiale, de par la subjectivité qui la lie à son auteur, son parcours ou son engagement.
Ceux qui l’ont lu sauront de quoi je parle, il a d’ailleurs déjà fait ses preuves dans de nombreux ouvrages, s’essayant tour à tour à plusieurs approches, entre analyses démographiques, politiques, sociologiques et autres, dont la multiplicité de ses casquettes donnèrent autant de fil à retordre à ses lecteurs que de grain à moudre à ses détracteurs[1].
Dans son livre « Allah n’y est pour rien » [2011][2], ou « Le rendez-vous des civilisations » [2007][3] pour ne citer que ceux-là, il tient à prendre le contre-pied complet des thèses officielles véhiculées à tort pour démontrer à quel point les révolutions arabes furent un mensonge international, que ceux qui prônaient une révolution du peuple à l’élan libéré de ses chaînes et propulsé ou récupéré par des acteurs religieux, ne furent que des désinformateurs professionnels (puisque c’était un processus prédictible, données à l’appui), ou que le « choc des civilisations » n’est finalement qu’un fantasme somme toute bien pratique à certains acteurs politiques mais sans plus, de même qu’il est et doit être considéré comme une farce plus qu’une erreur involontaire au vu du niveau intellectuel de son concepteur[4]. En deux mots, il s’insurge et dénonce des contre-vérités[5].
Son ouvrage « L’origine des systèmes familiaux » [2011][6] est également fort appréciable, on y dénote une qualité incontestable dans le traitement et la mise en lien de données récoltées et compilées dans un ensemble dont la forme laisse émerger un tout assez homogène. Des concepts pratiques y sont postulés, le lecteur reviendra à l’ouvrage pour s’assurer de la validité des thèses proposées et avancées par l’auteur.
Pourquoi ce livre ?
L’objet de l’intervention qui va suivre est assez simple. Suite à l’embrasement qui fit écho à la « charlification » de notre société[7], Emmanuel Todd prit la décision de démolir l’unanimité prétendument représentée par le « charlisme » autoritaire plus que républicain, et dictatorial sous ses faux-airs démocratiques. Il voulait montrer qu’à l’inverse des prétentions laïcardes et athées de ses ressortissants, ce mouvement incarnait pleinement la France de nos jours, une crise religieuse symbolisant le drame de sa névrose, dans un pays saturé de contradictions.
Les participants imbibés malgré eux d’une foi en une religion nouvelle qu’ils n’assument pas, cachés derrière le masque de la bien-pensance, oubliaient dans leur ignorance, que dans ce nouveau pays sans Dieu ils restaient avant tout des croyants, reflet du pur produit de l’Occident en tant qu’aire d’une civilisation judéo-chrétienne, qualifiant les fils de l’athéisme d’une « étiquette » très simple : une déjection [malheureuse] du christianisme.
C’est pourquoi il parlera de « catholicisme zombie » pour signifier les motifs profonds qui animent inconsciemment une population aux résurgences inquisitrices toujours actives dans son prosélytisme faussement athée malgré sa déchristianisation nuancée officielle. L’athéisme et la laïcité s’installaient par le coup d’État, coup d’éclat d’une croisade réactivée par ce combat, religions du retour à la Religion, plus radicales que celles qui leur donnèrent naissance, car aucune des mouvances chrétiennes toutes tendances confondues, n’alla si loin dans la négation de l’autre et de l’histoire pour assoir son autorité[8].
Le mot de la fin ?
Habitué à lire cet auteur, je ne me doutais pas, lors de sa sortie, qu’il susciterait un tel emballement politique et médiatique. Repensant au livre[9], j’ai même décidé quelques jours après de rédiger un bref commentaire de certains passages sans pour autant m’astreindre à la forme plus classique d’un résumé[10]. Seulement, il se trouve qu’au bout d’une semaine le retour à la réalité fut brutal, on me fit remarquer qu’une tempête médiatique s’était déclenchée autour de la sortie du livre et que l’auteur était l’objet d’un lynchage national avec en prime des attaques ad hominem directement issues des membres du gouvernement, dont le ministre de l’intérieur[11].
Interloqué par un tel traitement je vis après de brèves recherches que l’auteur était lui-même estomaqué de se voir réserver un tel traitement aux relents de pogrom, lui le « judéo-bolchevique » comme il se définit, accusé à la fois d’antisémitisme[12] et autres doux noms d’oiseaux parmi les euphémismes par lesquels on nous somme d’adhérer à cette bonne vieille rengaine de la pensée unique[13]. Je partage donc ici l’essentiel de ce qui constitue l’évocation de certains contenus de cet ouvrage devenu polémique[14], personne n’y verra de contradiction, pendant que « Mein Kampf » se vend librement, « Qui est Charlie ? » est pressenti pour l’autodafé de ce mois-ci…
Je ne doute pas le moins du monde que chacun saura apprécier à sa juste valeur le ridicule de la situation[15].
J’ajouterai peut-être qu’il me paraît évident que la France, les Français, et le gouvernement n’ont rien de plus urgent à traiter dans l’immédiat qu’un livre technique produit par un écrivain représentant un champ de connaissance assez particulier par l’expertise qu’il peut requérir de ses lecteurs en certains endroits des analyses qui fondent ses thèses, et sans vouloir verser dans le procès d’intention, il me semble néanmoins assez malvenu de ceux qui n’arrivent même pas à résoudre les problèmes d’ordre sociaux et économiques au niveau de l’État alors qu’ils en ont la charge, de venir s’autoproclamer « critiques littéraires » du dimanche sans en avoir les compétences, sachant qu’ils pourraient laisser ça à Giesbert[16] qui le fait déjà bien assez mal.
Comprenne qui pourra.
H. C.
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