Les prétextes, à l’épreuve des textes [3/3]
Les prétextes, à l’épreuve des textes [2/3]
[...]
4 – Groupement de références
Ne voyant pas d’intérêt à nous étendre, on se contentera de remarquer que de nombreux ouvrages abordant la question des noms du Prophète (prière d’Allah et paix sur lui) citent cette appellation, que l’on retrouve également dans divers ouvrages spécialisés, plus ou moins volumineux, qui parfois l’expliquent. Notamment lors de chapitres recensant les noms avancés dans les révélations antérieures, où l’on croise discussions et analyses sur le Paraclet et autres titres sujets à débat.
C’est le cas d’Abu Nu’aym Al Asbahani (336-430H), qui y fait allusion dans « Dala-il un Nubuwwa », situant l’origine judaïque de ce nom.[1] Nous avions vu que l’imam Dhahabi (673-748H) distinguait les deux noms dans le « Siyar », rien d’étonnant à retrouver mot pour mot la même phrase dans sa monumentale Somme historique, le « Tarikh ul Islam wa Wafayat al Mashahir wal A’lam ». [2] Shihab ud Din An Nuwayri (733H) dans « Nihaya[t] Al Arab fi Funun Al Adab »,[3] Al Qastallani (851-923H) avec « Al Mawahib Al Laduniyya bil Minah Al Muhammadiyya »,[4] que l’on retrouvera donc logiquement dans le commentaire de cet ouvrage réalisé par Muhammad ibn ‘Abd Al Baqiy Az Zarqani (1055-1122H).[5]
Dans sa Somme dédiée à la biographie du Prophète (prière d’Allah et paix sur lui), « Subul al Huda wa ar Rashad fi Sira Khayr al ‘Ibad »,[6] Muhammad ibn Yusuf As Salihi Ash Shami (942H) nous rapporte les propos d’Ibn Faris sur « Ad Dahuk » qui serait un nom emprunté à la Torah, d’après la citation d’Ibn ‘Abbas lui permettant d’évoquer le sens d’ « Ad Dahuk Al Qattal », puis se concentrer sur le premier nom qu’explique Ibn Faris.[7] Il y reviendra quelques pages plus loin lorsqu’il sera question d’ « Al Qattal ».[8] De plus, lorsqu’il évoque l’épisode de l’envoi de Muhammad ibn Maslama aux juifs de Bani An Nadir, il y est de nouveau fait mention.[9]
5 – Le moment tant attendu, fin des sueurs froides et délivrance
Que le lecteur se rassure, l’appellation n’est pas authentique, les annales qui rapportent ce récit n’ont pas de chaîne permettant de le faire remonter au Prophète (prière d’Allah et paix sur lui). Tout au plus, nous avons des attributions aux Compagnons et leurs disciples, principalement le « athar » d’Ibn ‘Abbas affirmant que c’est l’un des noms prophétiques que l’on trouve au sein de la Torah. Dans l’ouvrage de l’imam Suyuti précédemment cité, la chaîne d’Ibn Faris nous est fournie.
D’après Sa’id ibn Muhammad ibn Nasr, qui le tient de Bakr ibn Sahl Ad Dimyati, qui le tient de ‘Abd Al ‘Aziz ibn Sa’id, d’après Musa ibn ‘Abdurrahman, d’après Ibn Jurayj, d’après ‘Ata, d’après Ibn ‘Abbas.
Premièrement, dans la chaîne originale d’Ibn Faris, il ne s’agit pas de ‘Abd Al ‘Aziz mais ‘Abd Al Ghaniy ibn Sa’id Ath Thaqafi (à ne pas confondre avec le grand Hafiz « Al Azdi »).[10] Ibn Hibban (354H) a beau le mentionner parmi « Ath Thiqat »,[11] ‘Abdurrahman ibn Ahmad ibn Yunus As Sadafi (281-347H) le décrit comme « da’if al hadith »,[12] et après avoir mentionné leurs avis, Ibn Hajar (773-852H) nous dit dans « Lisan Al Mizan », renchérissant sur la récusation d’Ibn Yunus mentionnée par l’imam Dhahabi (673-748H),[13] qu’Ibn Yunus est plus au courant de sa situation (de par sa proximité géographique).[14] D’ailleurs, dans sa Somme historique Dhahabi le qualifiait de « matruk »,[15] et dans « Al Isaba fi Tamyiz As Sahaba », alors qu’il s’apprête à rapporter un récit emprunté à Ibn Mandah (310-395H) d’après ‘Abd Al Ghani, Ibn Hajar nous dit qu’il comptait au nombre des [rapporteurs] récusés (du’afa) et délaissés (matrukin).[16]
Deuxièmement, il y a bien pire à signaler. Dans « Al Majruhin min al Muhaddithin » Ibn Hibban qualifie Musa ibn ‘Abdurrahman de « shaykh dajjal » qui forgeait des hadiths. On lui connaissait des récits qu’il imputait à Ibn Jurayj, d’après ‘Ata, d’après Ibn ‘Abbas, alors qu’ils n’ont pas pris la science les uns des autres.[17] Ibn ‘Adi (365H) n’est pas loin derrière, parlant à son endroit de « munkar al hadith » dans sa notice, qu’il conclura en affirmant que ses hadiths sont invalides (batil).[18] Même Ibn Al Jawzi (597H) y va de son grain de sel, reprenant l’évaluation d’Ibn ‘Adi.[19] Ibn Hajar non plus, ne le considère pas digne de confiance, et rappelle les avis d’Ibn Hibban et Ibn ‘Adi.[20] Avec ce rapporteur qui se rendit célèbre pour faire endosser à Ibn ‘Abbas des récits mensongers, parfois empruntés à Muqatil et Al Kalbi, on évitera de s’emballer, d’autant qu’Ibn ‘Abbas, dans ce récit, renvoie vers les traditions juives, sans rien attribuer au Prophète (prière d’Allah et paix sur lui). Il sera donc inutile de nommer les autres failles de la chaîne.
Nous avons bien la version narrée d’après Muhammad ibn Maslama, rapporté par Al Waqidi (130-207H) dans ses « Maghazi », mais on connait la crédibilité discutable de l’auteur qui, de plus, rapporte ici sans compléter la chaîne, puisqu’il raconte l’évènement en s’épargnant de renseigner les maillons entre lui et le Prophète (prière d’Allah et paix sur lui).[21]
Les chaînes alternatives que nous possédons passent par les recueils où est formalisée la doctrine shiite, tel « Kamal ud Din wa Tamam an Ni’ma »[22] d’Abu Ja’far Muhammad ibn ‘Ali (306-381H), qu’ils surnomment Shaykh As Saduq, relatant la version longue du récit. Plus récemment dans « Mustadrak Safina[t] il Bihar »[23] de ‘Ali An Namazi Ash Shahrudi (1333-1402H), qui reproduit le récit, toujours d’après Ibn ‘Abbas, en tête duquel il annonce :
« Ikmal ud Din », via une chaîne authentique (sahih) […].
On ne sait que trop bien, hélas, le positionnement de nos anciens vis-à-vis des narrations colportées par des sources « Rawafid ».
De plus, qu’ils viennent ensemble ou séparément, les noms sont généralement expliqués isolément, le premier renvoyant justement à la dimension affable du Prophète (prière d’Allah et paix sur lui), le second indiquant qu’à terme, il finirait par avoir le dessus sur ceux lui ayant nui.
- Dans le tumulte du harcèlement, promesse d’un égorgement
On se souviendra aussi du fameux épisode s’étant déroulé à proximité de la Ka’ba, durant lequel le Prophète clôtura le harcèlement subit par un sanglant :
« M’entendez-vous, ô gens de Quraysh ! Par Celui qui détient l’âme de Muhammad en Sa main, je suis venu à vous avec l’égorgement ! »
La version rapportée par Ahmad[24] relate une discussion impliquant les polythéistes mecquois, se plaignant de leur agacement à force de patience face au Prophète, qui vilipendait leur sottise, brocardait leurs ancêtres, rudoyait leur paganisme, créait des scissions en leur sein, satirisait leurs idoles, au point où l’affaire leur semblait gravissime. Sur ces entrefaites, le Prophète arriva en marchant, se mit à entreprendre des rotations autour du Temple, pendant que les idolâtres tournaient en dérision ses supplications, ce qui ne manqua pas de lui porter ostensiblement sur les nerfs, exaspération que son faciès trahissait.
Au fil des persiflages, chemin faisant, lors de son troisième passage le Prophète leur décocha la susdite sentence, qui les choqua profusément. Leur meneur convia ce dernier à cesser, concluant ainsi l’échauffourée. S’étant retiré, le Prophète revint le lendemain, les trouva ruminant leur cuisant échec de la veille, eux, ne surent point résister au plaisir de l’invectiver à nouveau, exigeant des comptes de sa part quant à ses inflexibles vitupérations, accablant leurs si adulées fables et légendes.
Le Messager d’Allah, loin de se débiner, ne se défila pas pour un sou et répondit prestement sur un ton impassible qu’en effet, c’est bien lui qui soutenait semblables offenses. Ce fut la goutte qui fît déborder le vase, subséquemment, l’un d’eux se permit d’empoigner Muhammad (prière d’Allah et paix sur lui) par l’encolure du veston, ou du pagne. Abu Bakr intervint et prit, plein d’émoi, sa défense, déclamant avant de s’éclipser, en compagnie de son bien-aimé :
Oseriez-vous donc tuer un homme, du simple fait qu’il proclame « Mon Seigneur est Allah » !?
On trouve également dans l’authentique d’Al Bukhari,[25] la mention d’un échange entre ‘Urwa ibn Zubayr et ‘Abdullah ibn ‘Amr ibn Al ‘As, dans lequel sont fournis des détails supplémentaires. ‘Uqba ibn Abi Mu’ayt serait venu étrangler le Prophète, après avoir relevé son vêtement, pendant qu’il était en prière. Ce fut en cette occasion qu’Abu Bakr s’interposa, les tançant pour leurs déplorables agissements.
Il y aurait d’autres choses à dire, d’autres textes à dérouler, mais le billet tire déjà fort en longueur, comme à chaque fois, les pages défilent plus vite que prévu ; la sagesse nous impose de déposer la plume avant de rendre le tout indigeste et aller trop loin. La discussion reprendra dans le billet suivant, en espérant ne pas avoir à les démultiplier indéfiniment.
- Conclusion :
Trêve de provocation, nos effronteries volontaires s’achèvent enfin. Notre but n’étant pas de susciter l’effroi, ni révulser le lecteur, mais plutôt de le pousser dans ses retranchements, afin que cesse la comédie, que prenne fin ce simulacre d’adhésion frileuse de façade, tournant symboliquement le dos à un islam qu’au fond on exècre et rejette. Non pas qu’il soit question d’inviter quiconque à revendiquer l’une des casquettes ici dépeintes, car la simple mention à visée pédagogique ne saurait tenir lieu d’explication réelle et contextuelle, en bonne et due forme. L’ensemble de ces textes appelle naturellement exégèse.
Simplement, il semblait pertinent de souligner qu’avant notre ère d’aliénés où l’auto-persuasion joue le rôle de fusible pour mieux se faire accepter dans la grande messe de l’œcuménisme mondial, aucun des poids lourds de l’islam, y compris parmi les plus conciliants et portés sur l’ouverture civilisationnelle, ne se senti assez complexé pour jeter le discrédit sur ces annales, en faire fi, prétendre que leur existence était remise en question, ou sujette à réserve.
Au contraire, chacun d’eux sut les brandir, fièrement, sans honte ni culpabilité aucune, les replaçant dans le domaine adéquat, au moyen de propos savants, parfaitement informés qu’il n’y avait en ces textes nulle matière à rougir, les obligeant à tronquer, amputer, ou trahir notre patrimoine.
A défaut que le geste s’avère salvateur, espérons qu’il soit formateur.
Comprenne qui voudra. A bon entendeur, Salam.
H. C.
_______________________________________________________________________________
Salam bonsoir, votre billet prend d'un air moqueur la position qui vise à être interloqué et gêné par les textes présentés ci-dessus. Or, moralement, au contraire et vous vous en doutez bien je suppose, ne pas être gêné par ces textes demeure le vrai problème, autrement il demeure difficile de faire société avec les personnes que cela ne gênerait pas. Nulle part vous n'abordez la question morale tandis qu'elle est centrale, en fin de compte adopter une morale textuelle et "juridique", voilà qui ne nous mènera pas vers une quelconque interrogation à l'encontre de n'importe quel texte, pour peu qu'il soit textuel, ancré dans le corpus islamique et bien entendu authentique. Il me semble, pardonnez-moi si je me trompe, que vous appelez en fin de compte à assumer tous les éléments de la tradition islamique à l'instar de ces savants de l'époque qui au contraire les "brandissaient fièrement". En fin de compte, n'est-ce pas tout simplement dangereux pour le musulman théorique que vous dépeignez qui risque de passer à la pratique ?Merci, ma3 salama.