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[Courrier des lecteurs] La crucifixion est-elle un fait historique ?

[Courrier des lecteurs] La crucifixion est-elle un fait historique ?

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Certains musulmans accréditent la mort de Jésus sur la croix. Quelle est la position que les textes islamiques et les sources historiques favorisent ?

Que les Chrétiens donnent du crédit à l’épisode de la crucifixion tel que décrit dans leurs textes est cohérent avec leur doctrine qui affirme que ces textes sont infaillibles et que les 4 évangiles canoniques aient été « inspirées » par le Saint-Esprit.

En revanche, comment un musulman peut prétendre trancher des questions dogmatiques en se basant sur leurs évangiles alors que ce texte ne se présente pas comme une révélation transmise par des personnes de confiance, mais un simple document, une source parmi d’autres soumise à toutes les contingences propres aux témoignages historiques de cette nature, c’est-à-dire la probabilité de mensonge de la part du ou des rédacteurs à fins d’embellissement de tels personnage ou fait, ou au contraire de diffamation et de propagande, ou bien encore d’erreur, d’oubli, etc.

Cela est d’autant plus vrai pour ce qui est de l’épisode de la crucifixion puisque les versets du Coran affirment justement que ces événements sont entourés de mystères, et que les protagonistes et les contemporains étaient eux-mêmes plongés dans la confusion et l’incertitude quant au sort exact de Jésus à partir de son arrestation présumée, du jugement, de la peine, etc. C'est précisément ce que dit ce verset :

{Les Juifs ont dit : « nous avons tué Jésus, messager de Dieu ». Or, ils ne l’ont pas tué, ni crucifié, ce fut là un faux-semblant. Ceux qui divergèrent à son propos sont eux-mêmes dans l’incertitude/le doute (Shakk). Ils ne détiennent à ce sujet nul savoir, ils ne font que suivre des conjectures/hypothèses et ils ne l’ont pas tué avec certitude.} (Coran 4.157)

Observons attentivement ce que nous dit ce verset du Coran :

- En premier lieu, le verset rappelle l’implication des Juifs dans les tentatives répétées d’assassinat de Jésus. Les membres du clergé juif ont effectivement cherché à le tuer plusieurs fois, en vain :

Alors les principaux sacrificateurs et les anciens du peuple se réunirent dans la cour du souverain sacrificateur, appelé Caïphe et ils délibérèrent sur les moyens d'arrêter Jésus par ruse, et de le faire mourir. (Matthieu, 26.4-5)

Puis à le faire condamner pour blasphème et rébellion et le faire exécuter par les autorités romaines :

Ils se levèrent tous, et ils conduisirent Jésus devant Pilate. Ils se mirent à l'accuser, disant : Nous avons trouvé cet homme excitant notre nation à la révolte, empêchant de payer le tribut à César, et se disant lui-même Christ, roi. (Luc 23.1-2)

- Deuxièmement, le verset décrit les divergences entre les personnes contemporaines de ces événements : « Ceux qui divergèrent à son propos sont eux-mêmes dans l’incertitude/le doute (Shakk) »

Or, c'est aussi ce que rapportent les évangiles chrétiens qui témoignent de cette ambiance de grande incrédulité et de confusion parmi les partisans de Jésus pendant et après l’épisode de la crucifixion, entre ceux qui le croyaient mort, certains qui s’étaient empressés de quitter le mouvement, et d’autres qui le croyait ressuscité :

Quand ils entendirent qu'il vivait, et qu'elle l'avait vu, ils ne le crurent point. Après cela, il apparut, sous une autre forme, à deux d'entre eux qui étaient en chemin pour aller à la campagne. Ils revinrent l'annoncer aux autres, qui ne les crurent pas non plus. Enfin, il apparut aux onze, pendant qu'ils étaient à table ; et il leur reprocha leur incrédulité et la dureté de leur coeur, parce qu'ils n'avaient pas cru ceux qui l'avaient vu ressuscité. (Marc 16.12-14)

L’évangile de Luc rapporte que les disciples et même sa proche famille étaient dans l’incertitude quant à son sort : la plupart le croyaient mort, puis il fut aperçu :

Elles trouvèrent que la pierre avait été roulée de devant le sépulcre ; et, étant entrées, elles ne trouvèrent pas le corps du Seigneur Jésus. Comme elles ne savaient que penser de cela, voici, deux hommes leur apparurent, en habits resplendissants. (Luc 24.3-4)

Cette confusion et ces divergences se retrouvent même dans les incohérences entre les 4 Évangiles chrétiennes : celle de Matthieu évoquant un ange venu avertir de la « résurrection », Marc décrivant un homme dans le sépulcre, Luc parlant de deux hommes.

Il faut ajouter à cela un autre type de confusions : le fait que ces textes évoquent en plusieurs endroits la « transfiguration » de Jésus et sa capacité à « changer d’apparence ». Après sa prétendue « résurrection », il apparait sous une autre forme à des passants et des disciples. Il reste avec eux toute une journée à discuter et c’est le soir qu’il reprend son « apparence normale » et qu’ils le reconnaissent. Mais il disparait aussitôt :

Pendant qu'il était à table avec eux, il prit le pain ; et, après avoir rendu grâces, il le rompit, et le leur donna. Alors leurs yeux s'ouvrirent, et ils le reconnurent ; mais il disparut de devant eux. (Luc 24.30-31)

Le lendemain il réapparaît miraculeusement au milieu de ses disciples qui, saisis de frayeur, pensent voir un fantôme :

Tandis qu'ils parlaient de la sorte, lui-même se présenta au milieu d'eux, et leur dit : La paix soit avec vous ! Saisis de frayeur et d'épouvante, ils croyaient voir un esprit. (Luc 24.37-38)

Si Jésus avait cette capacité à changer d’apparence, disparaître et réapparaitre aussi facilement, il est aisé de comprendre pourquoi le Coran parle de confusion et d’apparence trompeuse dans l’enchaînement de ces événements et du fait qu’un « faux-semblant » fut crucifié à sa place car il était très facile pour lui de se soustraire par divers moyens à ses agresseurs.

- Troisièmement, le verset nous dit qu’ils « ne détiennent aucun savoir et ne font que suivre des conjectures/hypothèses ».

C’est effectivement le cas puisqu’il faut ajouter que la confusion et l'incertitude autour de ces évènements sont maintenues par l'absence de sources historiques fiables et incontestables. La crucifixion de Jésus (et tout ce qu’elle implique dans la doctrine chrétienne) relève uniquement de la croyance, de conjectures, et non de faits historiques établis par des sources crédibles.

Seuls les textes chrétiens (« Evangiles », Actes de Apôtres) évoquent les faits. Nous n'avons aucune autre source qui évoque la crucifixion (hormis des textes talmudiques qui rapportent une autre vision de Jésus et parle de son exécution sur un gibet). Quant aux sources historiques utilisées habituellement pour cette période en terre sainte (Flavius Josephe), elles sont tout simplement muettes sur la vie de Jésus.

L'unique source chrétienne à notre disposition se compose de textes irrecevables d'un point de vue académique, que ce soit selon les critères "occidentaux" actuels en sciences historiques ou selon les critères, bien plus exigeants, du 'ilm ul-hadith et ce, pour plusieurs raisons :

 1. Les rédacteurs de ces textes sont parties prenantes dans un conflit idéologique avec d’autres courants chrétiens de cette époque, puisque ce sont des disciples de Paul de Tarse qui utilisent le récit de la vie de Jésus comme un vecteur de leur propre doctrine qui, à l'époque, ne faisait absolument pas l'unanimité parmi les "Chrétiens" au sens large. On peut légitimement douter de la parfaite neutralité de ces rédacteurs à un moment où ils doivent encore convaincre de leur interprétation anomique du message christique. Or, les textes des courants chrétiens rivaux, comme la fameuse Evangile des Hébreux, qui auraient pu nous apporter d’autres versions, ont disparu.

 2. L’identité exacte de ces rédacteurs n'est pas établie avec certitude. Ces rédacteurs, qui sont certainement des rapporteurs et non des témoins directs, ni des contemporains des événements, ne citent pas leurs sources. A titre de comparaison, les évangiles chrétiens sont comme un hadith sans rapporteur (râwî), ni chaine de transmission (sanad) et émanant de partisans d’un courant hétérodoxe qui aurait tout intérêt à imposer cette version des événements pour appuyer leur doctrine : ce hadith serait totalement rejeté et ne serait jamais considéré comme une source fiable par les musulmans.

 3. Enfin, l’épisode consacré à la crucifixion, tel que décrit dans les 4 évangiles chrétiennes, contient des incohérences narratives qui rendent le récit peu crédible :

En effet, le début des évangiles rapporte succinctement les faits et paroles de Jésus depuis le début de sa mission prophétique ; on le voit constituer un noyau de fidèles, les apôtres, arpenter les villages israélites pour appeler la population à suivre son message. On le voit se confronter à divers courants juifs… Jusque-là, il était toujours suivi et entouré de ses partisans. On suppose donc que ces informations ont été rapportées par les témoins directs, certainement les apôtres. Ces informations auraient ensuite circulé et auraient été mises à l’écrit par les rédacteurs des évangiles chrétiennes quelques décennies plus tard.

Cependant, en ce qui concerne le récit évangélique à partir de la nuit lors de laquelle Jésus fut arrêté, le texte pose problème car le rédacteur rapporte des faits sans qu’il soit possible qu’il y ait de témoin fiable.

Par exemple, le rédacteur décrit avec beaucoup de détail les prières de Jésus alors qu’il est seul et que tous ses apôtres sont endormis à plusieurs dizaines de mètres de lui. Si Jésus qui est, par définition, le seul témoin de cette scène a été arrêté juste après, d’où le rédacteur tient toutes ses informations détaillées jusqu’aux paroles prononcées pendant sa prière :

Puis il s'éloigna d'eux à la distance d'environ un jet de pierre, et, s'étant mis à genoux, il pria, disant : Père, si tu voulais éloigner de moi cette coupe ! Toutefois, que ma volonté ne se fasse pas, mais la tienne. Alors un ange lui apparut du ciel, pour le fortifier. Étant en agonie, il priait plus instamment, et sa sueur devint comme des grumeaux de sang, qui tombaient à terre. Après avoir prié, il se leva, et vint vers les disciples, qu'il trouva endormis de tristesse. (Luc 22.42-44)

Il affirme ensuite qu’au moment où les gardes arrivent pour se saisir de Jésus, tous ses apôtres prennent la fuite. A partir de ce moment et après, dans le tribunal où il est censé être amené, il n’y a plus de témoin direct appartenant à ses apôtres, ni à ses disciples proches :

Alors tous les disciples l'abandonnèrent, et prirent la fuite. (Matthieu, 26.56)

Néanmoins, selon le rédacteur, Pierre s’est introduit secrètement dans le tribunal (Matthieu 26.58), mais quelques versets plus loin, il est dehors dans la cour et s’enfuit quand il est reconnu par une servante :

Cependant, Pierre était assis dehors dans la cour. Une servante s'approcha de lui, et dit : Toi aussi, tu étais avec Jésus le Galiléen. Mais il le nia devant tous, disant : Je ne sais ce que tu veux dire. […] Alors il se mit à faire des imprécations et à jurer : Je ne connais pas cet homme. Aussitôt le coq chanta. Et Pierre se souvint de la parole que Jésus avait dite : Avant que le coq chante, tu me renieras trois fois. Et étant sorti, il pleura amèrement. (Matthieu 26.69-75)

Selon l’évangile de Luc, Pierre « suivait de loin » Jésus après son arrestation et fut dénoncé rapidement. Si c’est Pierre qui rapporte les faits, est-il cohérent qu’il parle de lui à la troisième personne, et surtout qu’il se décrive en si mauvaise posture, à renier son Maitre par trois fois et à être expulsé :

Et étant sorti, il [Pierre] pleura amèrement. Les hommes qui tenaient Jésus se moquaient de lui, et le frappaient. Ils lui voilèrent le visage, et ils l'interrogeaient, en disant : Devine qui t'a frappé. Et ils proféraient contre lui beaucoup d'autres injures (Luc 22.62-65)

On voit ici que le récit se poursuit après le départ de Pierre en affirmant que Jésus est roué de coups et d’insultes avant d’être emmené au matin auprès de Ponce Pilate… D’où viennent ces informations ?

Prudence et modestie

Pour conclure, je ne pense pas qu’on puisse admettre tous les avis et toutes les interprétations sur ces versets du Coran et que chacun serait libre d’opter pour la vision qui lui plait.

Au contraire, je dirais que la position à adopter sur ce sujet, comme sur d’autres aspects de la vie des Prophètes au sujet desquels nous ne disposons pas de détails précis, c’est la modestie. Admettre qu’on ne connait que peu de choses sur le déroulé de ces événements et qu’on doit parfois se contenter d’informations générales et parcellaires.

Vous avez raison de rappeler que d’autres événements dans la vie des Prophètes sont également mystérieux et contiennent des parts d’ombre qu’il est difficile, et dans certains cas impossible, d’élucider comme par exemple le récit sur le fils de Noé.

Mais prenons un autre exemple lié à l’histoire chrétienne et à notre sujet : les « gens de la caverne » dans la Sourate 18. Le Coran rappelle la divergence qui existait au sujet du nombre de dormeurs et l’attitude à adopter : admettre que notre savoir est limité, que ces informations sont détenues par Dieu seul, qu’il est inutile de se quereller (avec les Chrétiens ici) sur ces sujets :

{Ils diront : ils étaient trois et le chien était le quatrième. D’autres diront : « ils étaient cinq et le chien le sixième ». D’autres encore diront : « ils étaient sept et le chien le huitième ». Dis : « votre Seigneur sait mieux combien étaient-ils exactement. » Peu de gens en vérité le savent vraiment alors ne te querelle pas là-dessus, si ce n’est sur des preuves tangibles et ne les interroge pas à ce sujet}

Il est en de même pour les derniers épisodes de la vie de Jésus : que s’est-il réellement passé ? A-t-il été arrêté par les soldats ou une autre personne aurait-elle était saisie par « transfiguration » ? Si c’est lui qui a été arrêté, a-t-il été remplacé par un autre homme, à quel moment ? Ou s’agit-il d’un miracle d’une autre sorte ?

Il faut avoir la modestie d’admettre qu’on ne sait que peu de choses sur cette période décrite uniquement par des textes religieux qui servent aussi de support à l’idéologie paulinienne et non de sources « neutres » et qu’en fin de compte : « notre Seigneur sait mieux que nous ».

AS Al-Kaabi

1Commentaires

  • Avatar
    Râyah Publications
    Oct 12, 2019

    As Salam Alaykum, Merci pour vos efforts pour la diffusion de notre religion, et nous demandons à Allah qu’Il vous préserve et vous protège. Juste une brève précision par rapport à la question qui fut posée : le verset est parfaitement clair sur le prétendu meurtre de Isa (Jésus) et sa crucifixion : Allah a dit : «Or, ils ne l’ont pas tué, ni crucifié...». On peut donc affirmer clairement que Jésus ne fut ni tué, ni crucifié. Et dire le contraire revient à démentir la Parole d’Allah. Quand à la deuxième partie : «...ce fut là un faux-semblant.»( وَلَكِنْ شُبِّهَ لَهُمْ : traduction éloignée du vrai sens du verset qui peut être traduit plus clairement : le verset sous-entend que les Juifs assimilèrent Isa à un tiers), At-Tabari dit dans son tafsir que les exégètes ont divergé sur les caractéristiques de cette assimilation par les Juifs. En effet, il y a plusieurs récits a ce sujet, parmi lesquels celui mentionné par Ibn Kathir dans le livre les histoires des Prophètes : Hatim a rapporte, d’après Ibn 'Abbas: «Lorsque Allah décida d’élever a Lui Jésus fils de Marie, celui-ci entra dans la maison ou se trouvaient douze de ses disciples. Jésus entra chez eux, la tête ruisselante d'eau et leur dit : "II en est parmi vous qui me renieront douze fois après avoir cru en moi !" Il dit ensuite : "Qui de vous accepte de prendre mon apparence et d’être tue a ma place et il sera avec moi au même degré (au Paradis)" Un jeune homme se leva alors et dit : "Moi". Il lui dit : "Assieds-toi". II répéta la même question et c'est le même jeune homme qui se leva et répondit par oui. Jésus lui dit de s'asseoir une nouvelle fois et répéta la même question. Une fois encore, ce fut le jeune homme qui se leva et répondit par oui. II lui dit alors : "Oui, ce sera toi !" Allah lui donna l'apparence de Jésus, tandis que celui-ci fut élevé au Ciel par une ouverture dans la maison. Les soldats vinrent alors et emmenèrent le jeune homme qu'ils prirent pour Jésus; ils le tuèrent et le crucifièrent. Certains des disciples de Jésus le renièrent alors douze fois après avoir ajoute foi en lui. Les Chrétiens se divisèrent alors en trois catégories. La première a dit: "Dieu demeura parmi nous, autant qu'il voulut, ensuite il est monté au Ciel" ; ce sont les Jacobites. La deuxième a dit : "Le fils de Dieu resta parmi nous, autant qu'il voulut, puis Dieu l’éleva a Lui" ; ce sont les Nestoriens. La troisième a dit: "Le serviteur et Messager de Dieu vécut parmi nous, autant que Dieu voulut, puis Dieu l’éleva a Lui" ; ce sont les monothéistes. Les deux premières sectes se liguèrent contre les monothéistes et les tuèrent. L’Islam (l’unicité) se dissipa alors jusqu'au moment ou Allah envoya Muhammad, sur lui la grâce et la paix ». Ibn 'Abbas a dit : « C'est le sens de la parole du Tres-Haut: "Nous aidâmes donc ceux qui crurent contre leur ennemi, et ils triomphèrent."» (61, 14). Cette chaîne de transmission remontant a Ibn 'Abbas est authentique selon les conditions de Muslim. Le hadith est rapporte aussi par an-Nasa'i.» Pour conclure et en résumé, on peut dire qu’il ressort des textes islamiques de manière sûr que : - Isa (Jésus) ne fut ni tué ni crucifié. - Il fut élevé auprès d’Allah. - Un autre homme fut crucifié à sa place. Et tous les détails et les explications de cet événement se trouvent dans les exégèses, les biographies des Prophètes et les paroles des savants. Et Allah est les plus savant.

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