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Sentier de l’errance, ou des itinérants ? [3/4]

Sentier de l’errance, ou des itinérants ? [3/4]

Sentier de l’errance, ou des itinérants ? [3/4]
Série de rappels, par un de nos contributeurs, inspirés des écrits de l'imâm Ibn Qayyim al-Jawziyya

[...]

Terminons par un ultime crochet dans le répertoire d’Ibn Qayyim Al Jawziyya, emprunté cette fois à sa Somme spirituelle, « Madarij us Salikin ».[1] Il y est question du hadith où Allah affirme se réjouir du repentir de Son serviteur, plus que ne se réjouit celui qui, lors d’un voyage harassant, perd sa monture et se résigne d’épuisement. A son réveil, la monture et ses provisions sont de nouveau présents, ce qui provoque son extrême joie, au point de prononcer des paroles critiquables, sous l’exaltation du moment.[2]

Alors qu’il commente le hadith,[3] dans une section dédiée à l’un des secrets et merveilles majeures de la résipiscence, Ibn Al Qayyim, soulignant les vertus du repentir et sa place particulière au sein des adorations, en tant que premier palier du cheminement vers la proximité d’Allah, ajoute qu’aucune autre adoration ne provoque de sentiment comparable à cet état de réjouissance.

En bon juriste qu’il est, l’auteur ne peut s’empêcher d’en déduire une poignée de règles juridiques, s’appliquant aux paroles prononcées lors d’un état anormal, comme la joie et la colère extrême, dont les retombées dans le cas du divorce ou l’apostasie sont notables.[4] Sont assimilables à ceci, les cas de contrainte ou folie, mais là n’est pas le propos, ni le plus important. L’objectif est de souligner la magnitude de ce sentiment hors du commun, face auquel cette joie si intense, voit la raison s’évanouir, au point de déclamer des paroles insensées.

Summum de l’allégresse, paroxysme de la liesse, acmé de la félicité, comment décrire autrement ce bonheur qu’en imaginant la tombée du voile, le rideau qui se lève ; voie royale par laquelle Allah se révèle et se fait connaître, moyen par lequel il fait comprendre au serviteur ce qu’aucune autre science que la Sienne ne sécrète et fait naître.

Il y a l’expérience, et puis il y a la théorie. Il y a une sagesse placée dans le péché, du fait qu’Allah assainit celui qui y tombe, par le biais de la contrition et la pénitence. Moyen éminent, mais caché, de ramener et rapprocher Ses serviteurs perdus, vers Lui. Il convient de consulter aussi la suite, car de très belles pages ornent ces chapitres.

Poursuivant et approfondissant son raisonnement, plus loin, notre érudit s’intéresse à la question du mérite opposant le serviteur obéissant, au repenti véridique dont la « tawba » est sincère. Lequel des deux est meilleur ? Cette série de développements s’inscrit dans la continuité de son interrogation, quant au fait de savoir si du fait de son repentir, par l’effacement des péchés, le serviteur revient-il au degré initial qu’il occupait auprès d’Allah, avant que sa désobéissance ne survienne ? Parvenu à l’étude des avis partisans de la supériorité du repenti, après avoir exposé les tenants du contraire, Ibn Al Qayyim énumère quelques éléments de taille.

D’abord, l’état de servitude (‘ubudiyya) engendré par la « tawba », compte parmi les adorations qu’Allah aime le plus, dont la noblesse lui est chère. Par ailleurs, les « repentants » (tawwabin) sont une classe d’individus dont personne n’ignore l’amour leur étant voué par Allah. Quand bien même le repentir ne serait point la chose qu’Il aime par-dessus tout, l’une des fonctions du péché sert précisément à purifier et anoblir les créatures, par l’épreuve qu’incarne ce dernier.

En d’autres termes, à mesure que le fils d’Adam est éprouvé par le péché auquel succède le repentir, Allah n’a de cesse d’accroître Son amour envers Son serviteur, et l’on sait que les « repentants » accèdent à une forme d’amour spécifique, émanant de Dieu. Plus encore, et c’est là une remarque subtile, si le serviteur obéissant satisfait Allah tant qu’il reste dans le cadre de Ses limites et Son agrément, le pécheur n’est nullement abandonné à son sort ni banni de la miséricorde, puisque Dieu le ramène de force, en quelque sorte, sans que ne s’en rende compte l’être humain.

Allah a exigé de l’Homme son obéissance, mais a institué le mal et le péché sur terre. Une partie de Ses créatures Lui vouera un culte sans faille, certes, dans la droiture et la piété, mais reste que la majorité s’en détournera. Parmi eux, certains transgresseront les frontières sacrées instituées par le Livre divin et la Sunna de Son Messager (prière d’Allah et paix sur lui), et dès lors qu’une faute est commise, le serviteur est tenu de réparer le méfait. En effet, toute infraction exige le repentir, autrement dit, y compris pour ceux qui violent la Loi, Allah a décrété un moyen inévitable de revenir vers Lui, étant donné que le repentir est obligatoire pour se racheter.

Dialectique parfaite, où l’on voit la clémence divine en action, quand chaque pas par lequel le serviteur s’éloigne, occasionne une réponse proportionnelle le ramenant au bercail [des croyants]. On en revient donc à l’hypothèse première : c’est comme si Allah avait agencé la « dunya » tel un labyrinthe, dont tous les couloirs, y compris ceux éloignant en apparence du centre ou prolongeant le trajet, mènent à Lui, bon gré mal gré.

Ensuite, il convient de savoir qu’auprès d’Allah, parmi l’ensemble des obéissances et adorations, le repentir est une station dont il n’existe nul équivalent. D’où la joie si immense du Créateur, lorsqu’il survient, qu’aucune autre adoration ne lui procure en comparaison. D’autre part, il est notoire que cette incommensurable joie produit un impact colossal sur l'état et le cœur du repentant, que rien d’autre ne pourrait équivaloir. Ibn Al Qayyim va jusqu’à livrer au lecteur un enseignement précieux et formidable :

Ceci compte parmi les secrets du [divin] décret [dans la prescription] des péchés, touchant les serviteurs. En effet, par le repentir, le serviteur accède au degré de la « mahbubiyya », devenant ainsi aimé d’Allah. Certes, Allah aime ceux qui se repentent, et aime le serviteur éprouvé repentant.[5]

Ce bonheur est donc à inscrire parmi les finalités des péchés, du fait que via le repentir, le serviteur atteint ladite station, où l’on devient objet de l’amour d’Allah, tout relatif qu’il soit : car Allah aime ceux qui se repentent, dont fait partie le serviteur qui se repent après avoir succombé aux tentations. La boucle est bouclée, le chemin reprend.

En abrégé, de tous les actes de bien apparent, aucun ne rivalise avec le repentir.[6] Aussi, un péché qui conduit le serviteur au repentir, peut s’avérer plus profitable que nombre d’actes d’obéissance.[7] Ainsi s’éclaire la parole de certains Salaf, affirmant qu’un serviteur peut commette des péchés jusqu’à entrer au Paradis, et poser des actes d’obéissance cause de son entrée en Enfer. Dans un cas, sa faute le pousse à se racheter, ce qui le sauve.

Dans l’autre, il s’infatue et s’enorgueillit de ce bienfait et cette faveur divine qu’est la droiture, ou s’aveugle simplement, ce qui le conduit à sa perte. Lorsqu’Allah désire le bien pour Son serviteur, il provoque fortuitement une sorte d’hapax par l’entremise du péché, lui faisant prendre conscience de Son dessein, ce qui le guérit de son mal. Ses mauvaises actions se transforment en bonnes, qui effacent les premières, puis son cheminement se poursuit.[8]

Hormis les « mukhlasin »,[9] élus de Dieu, notre condition humaine nous condamne à pécher d’une manière ou d’une autre, tôt ou tard. Ce n’est pas une question de contexte, mais de temps, si ce n’est que, parfois, dans son infinie mansuétude, Allah nous ôte le moyen de Lui désobéir, pour des motifs échappant à la plupart. D’ailleurs, Allah n’a-t-Il point créé les cieux et la terre afin de nous éprouver ? L’important, face à cette réalité, cet état de fait, n’est évidemment pas de s’en donner à cœur joie, ni d’user du prétexte de la faiblesse humaine pour s’enfoncer dans les péchés, car seuls sont tolérés ceux qui nous font trébucher ponctuellement, et dont on se repent.

La recherche et l’entêtement en ce sens, doivent être perçus très différemment, à l’instar des points noirs qui colonisent progressivement le cœur, jusqu’à la mort symbolique de cet organe. Quantité de versets et traditions prophétiques mettent en garde contre un tel comportement qui, à terme, mène à des conséquences similaires aux punitions encourues par ces adeptes de l’aveuglement, de la passion, comme boussole religieuse.

Si le pécheur n’est clairement pas à féliciter, qu’en est-il de l’imposteur, qui dissimule son égo sous des airs de piété ? Doté d’une science dont le profit s’estompe, d’une religiosité de surface, il se perd dans les méandres du mensonge qu’il se raconte à lui-même, voué à raidir ses positions pour renforcer l’édifice fragile bâti hors des limites et décrets d’Allah, qui menace de s’effondrer à toute heure, et s’envolera au premier coup de vent.

Prenons garde, avant tout, à ne jamais renier la vérité, à toujours admettre la validité des commandements qui s’imposent à nous, y compris s’ils nous gênent (en particulier si c’est le cas), car si l’heure n’est pas encore venue de les appliquer, dans notre incohérence, y prêter foi (tasdiq) est précisément ce qui nous sauve. Pour l’instant.

Allah a créé l’homme avec un côté animal, pas aveugle. Bien qu’il faille angéliser notre nature bestiale, tâchons de nous en souvenir afin de ne pas fermer les yeux face à la vérité.


H. C.

__________________________________________

[1] Nous avons recouru à diverses éditions de cette œuvre, afin d’en comparer les études et apparats critiques, du fait que l’organisation des titres et l’agencement du texte varie parfois d’une version à l’autre, sans parler des choix d’éditeur, proposant le texte en un, deux, trois ou six volumes. Six éditions de l’ouvrage sont ici concernées : Dar as Sami’i, en six volumes, vérifié par une équipe de cinq personnes ; Dar Al Kitab Al ‘Arabi, en trois volumes, vérifié par Muhammad Al Mu’tasim billah Al Baghdadi ; Dar al Hadith, en trois volumes, vérification de ‘Imad ‘Amir ; Mu-asasat ar Risala, en un seul volume, vérification d’Al Arna-ut et Mustafa ; Dar al Kitab al ‘Arabi, en trois volumes, vérification de Muhammad Hamad Al Faqi ; Mu-asasat al Mukhtar, en deux volumes, vérification de Ridwan Jami’ Ridwan.
Les références de chaque édition seront fournies, bien que nous citerons la version du collectif réalisée chez Dar as Sami’i en premier, de par l’ampleur du travail fourni par l’équipe au fil des cinq volumes (le sixième, plus bref, d’environ trois cent pages, très pratique, est consacré aux index, glossaires, bibliographie, etc.). D’autre part, Dar Al Kitab Al ‘Arabi proposant deux éditions critiques, pour les différencier, nous surnommerons la première « Al Baghdadi », par souci de concision.
[2] Voir Al Bukhari (n°6308), Muslim (n°2744), et d’autres, selon plusieurs compagnons, dont ‘Abdullah ibn Mas’ud et Anas ibn Malik. Personne n’ignore le hadith, nous n’en citons donc que l’aspect lié au sujet.
[3] Voir vol.1, p.595-597 (chez Dar as Sami’i), et suivantes, qui s’attardent sur cette notion de réjouissance (فرح), de contentement, de la part d’Allah lorsqu’un serviteur se repent. Pour les autres éditions, vol.1, p.225-226 chez Dar Al Kitab Al ‘Arabi (vérification d’Al Baghdadi) ; vol.1, p.174-175 et suivantes chez Dar al Hadith (vérification de ‘Imad ‘Amir) ; p.155 et suivantes chez Mu-asasat ar Risala (vérification d’Al Arna-ut) ; vol.1, p.209-210 et suivantes chez Dar al Kitab al ‘Arabi (vérification de Muhammad Hamad Al Faqi) ; vol.1, p.186-187 et suivantes chez Mu-asasat al Mukhtar (vérification de Ridwan Jami’ Ridwan).
[4] Difficile de ne pas penser ici, à son épître au titre évocateur, proche de celui vu précédemment : « Ighathatu Lahfan fi Hukm Talaq al Ghadban ».
[5] Voir vol.1, p.767 chez Dar as Sami’i. Pour les autres éditions, vol.1, p.306 chez Al Baghdadi ; vol.1, p.244 chez Dar al Hadith (vérification de ‘Imad ‘Amir) ; p.215 chez Mu-asasat ar Risala (vérification d’Al Arna-ut) ; vol.1, p.294 chez Dar al Kitab al ‘Arabi (vérification de Muhammad Hamad Al Faqi) ; vol.1, p.252 chez Mu-asasat al Mukhtar (vérification de Ridwan Jami’ Ridwan).
[6]ما هو أحب إليه من كثير من الأعمال الظاهرة
[7]أن الذنب قد يكون أنفع للعبد إذا اقترنت به التوبة من كثير من الطاعات
Ibn Qayyim répète quasiment la même phrase plus bas, lors du cinquième point :
فيكون هذا الذنب أنفع لهذا من طاعات كثيرة
[8] Nous ne saurions trop recommander la lecture des huit points condensés par Ibn Al Qayyim sur ce thème, ainsi que les pages et sections suivantes, pour ce qu’elles renferment comme profits. En plus des suivantes, pour les huit points, voir vol.1, p.767-785 chez Dar as Sami’i. Pour les autres éditions, vol.1, p.306-312 chez Al Baghdadi ; vol.1, p.244-250 chez Dar al Hadith (vérification de ‘Imad ‘Amir) ; p.215-220 chez Mu-asasat ar Risala (vérification d’Al Arna-ut) ; vol.1, p.294-304 chez Dar al Kitab al ‘Arabi (vérification de Muhammad Hamad Al Faqi) ; vol.1, p.252-258 chez Mu-asasat al Mukhtar (vérification de Ridwan Jami’ Ridwan).
Les plus attentifs et avisés noteront que l’auteur liste dix points, mais c’est parce qu’il passe directement du sixième au neuvième. Selon les vérificateurs, en s’appuyant sur les manuscrits, certains laissent le texte tel quel (la majorité), d’autres corrigent ou précisent en note de bas de page (la version de Dar as Sami’i, d’Al Arna-ut et celle de Ridwan).
[9] Voir, par exemple, S.37 v.128 et 160, ou S.38 v.83.

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