[Courrier des lecteurs] La pensée de Malek Bennabi : héritage et héritier(s)
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Ma question concerne le frère Aissam Ait-Yahya, s'il veut bien répondre : J'ai lu les écrits de Malek Bennabi et votre ouvrage sur Sayyid Qotb... J'ai constaté que dans votre livre à la page 62, vous citez un auteur très important dans la vie de Bennabi, ex-ministre algérien, Mr Nourredine Boukrouh. Je n'ai pas pu me procurer son livre "Islam sans Islamisme" aux éditions Samar mais j'ai pu lire plusieurs articles sur son profil Facebook et notamment celui-ci
J'avoue être un peu troublé et je me dis donc : L'homme en question est le digne héritier de Malek Bennabi, avec toutefois une tendance moderniste (?) bien que les éditions Nawa se réclame aussi dans une démarche de renaissance : Pourriez-vous, nous en dire plus sur Mr. Nourredine Boukrouh et ses écrits ? Quelle attitude adopter ?
Nouredine Boukrouh n’est nullement une référence idéologique ou politique, et c’est le minimum que l’on puisse dire. Son attrait pour le penseur Malik Bennabi est presque d’ordre du patrimoine et de la culture contemporaine algérienne, de même que son propre intérêt/attachement pour l’Islam n’est que constitutif d’une identité algérienne musulmane ‘‘minimaliste’’.
Les différents écrits de Boukrouh sur l’Islam (Que faire de l’Islam ?; La rénovation de l’Islam ; Islam la dernière chance pour la réforme) montrent et dévoilent des préoccupations laïques et matérialistes d’un individu qui s'est résolument tourné vers la Modernité de type occidental sans renier pour autant l’héritage de la civilisation musulmane et ses apports. C’est un moderniste dont la croyance sur l’Islam et sur sa vocation politique est une caricature héritée des stéréotypes de l’Occident. La liaison Boukrouh-Bennabi est donc en réalité très superficielle, malgré ce que le premier voudrait que l’on croit.
C’est d’ailleurs l’étude de Youssef Girard "L'étude des Frères Musulmans par Malek Bennabi’’ qui m’avait aiguillé sur ce personnage que je ne connaissais pas et dont j’ai voulu connaître l’ouvrage.
Pourtant ce point permet de rappeler un élément important concernant la réception tardive des écrits de Malik Bennabi : il est indéniable qu’il est l’un des éminents représentants musulmans du renouveau de la pensée politique, et que ses apports pour rénover la pensée islamique sont incontestables.
Pour mieux appréhender le problème précédent, il y a néanmoins une précision à apporter pour comprendre la nature de ces écrits et justement le parallèle avec Sayyid Qotb est saisissant.
Il y a parfois dans les écrits de Bennabi des analyses qui plongent tellement profondément dans l'anthropologie, la psychologie, la sociologie et l'histoire du Maghreb et des maghrébins qu'elles peuvent être éloignées ou détachées, dans les constats, dans les faits et les problématiques posées, de considération purement islamique. A ce titre, elles peuvent nourrir objectivement des individus et des sensibilités qui sont loin d’être aussi ancrés (civilisationnellement parlant) dans l'Islam que Malik Bennabi.
En outre, comme pour Qotb, on sent une progressivité de Bennabi vers la pensée islamique, plus lente et moins éclatante que chez l’égyptien. De mon point de vue, Malik Bennabi en ce sens ressemble beaucoup au Sayyid Qotb de la fin des année 40 et du début des années 50, dans leur vision de l'Islam, de la Démocratie, du colonialisme, de la civilisation, dans les constats, les diagnostics et les solutions.
C'est d'ailleurs pourquoi Bennabi a plutôt été en faveur de Nasser dans le conflit qu'il l'opposait aux Frères Musulmans : ignorance de la réalité des problématiques et des positions de chacun, ignorance de la situation égyptienne, mais aussi une position plus nationaliste et séculière, et à ce moment, moins islamique chez Bennabi.
Pour résumer, l'on pourrait dire de manière générale que l'approche de Bennabi est plus sécularisée que celle de Qotb : c'est pourquoi ses écrits peuvent nourrir de parfaits laïques qui partagent les conclusions de Bennabi sans pour autant accorder autant d'importance à l'Islam que l'algérien en donnait lui-même...De plus, nous savons que Malik Bennabi a milité pour une plus grande intégration politique de l'islam et de sa législation dans le système de gouvernance en Algérie : ce que des laïques qui peuvent se réclamer de lui refusent absolument...
AAY
Si Boukrouh se dit disciple il en a le droit. Il l'à brièvement connu et a lu son oeuvre. Je ne pense pas néanmoins qu il soit fidèle au maître. Mais il est aussi absurde de penser qu'il puisse exister un lien de pensée entre Bennabi et Qotb. Ils étaient même totalement opposés sur la "vocation de l'islam" et "les conditions de la renaissance " Bennabi s'est refusé à tout compromis et volontés de synthèse. Y songer aujourd'hui c'est le trahir.