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Préface du livre SAYFOLLAH (4e édition -2018)

Préface du livre SAYFOLLAH (4e édition -2018)

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En octobre 2003, dans le quartier al-Halbouni à Damas, je cherchais parmi les étalages des librairies islamiques une biographie complète de Khâlid ibn al-Walîd, en vain. Ce n’est que dans la libraire « Tlass » que le libraire me tendit un magnifique livre noir relié et paré de dorures reproduisant la statue de Khâlid ibn al-Walîd que les autorités ont dressée devant les murailles de la vieille ville de Damas.

La lecture de ce livre écrit par Mustafa Tlass me bouleversa. L’auteur y utilisait, certes, de manière indiscriminée toutes les sources relatives au conquérant, même les plus contestées comme celle d’al-Wâqidî, ce qui donnait au récit une teinte légèrement « romancée », de même que Tlass utilisait un jargon nationaliste et baathiste acharné. Mais le récit dynamique et captivant de la vie du grand conquérant Khâlid ibn al-Walîd, le tout agrémenté de commentaires polémologiques que je ne retrouvais pas dans les biographies écrites par des ‘ulamâ’ m’incita à pousser plus loin mes recherches sur ce grand sahâbî.

Quelques années plus tard, je décidais d’écrire la vie de Khâlid ibn al-Walîd en français, non sans quelques arrière-pensées et une irrépressible envie de bousculer une communauté musulmane atone et comme sidérée devant la machine médiatico-intellectuelle qui les assommait avec un discours accusateur. Face à l’injonction perpétuelle de se désavouer du djihad(isme), ma démarche était la suivante : puisque le « djihad » est le sujet central dans l’attaque contre les musulmans, alors parlons du sujet, mettons les pieds dans le plat, regardons ce qu’est le djihad, le vrai. Je gardais la trame de M. Tlass, mais j’y ajoutais les références puisées dans la dizaine de biographies arabophones existantes sur le conquérant, pour produire un texte original. Au bout d’un an et demi de travail, j’avais enfin terminé ce livre de près de 500 pages

Sayfollah, publié en 2009, était le premier d'une série de livres dans lesquels j'allais traiter des questions stratégiques, militaires et politiques dans l'histoire musulmane : dans le livre La voie des Nazaréens (2013), je traitais de manière subsidiaire de la « stratégie » suivie par Jésus, et tel que les Evangiles le décrivent, pour tenter de faire émerger un mouvement capable de défier, en Judée, l'ordre établi pro-romain. Avec La conquête de l'Egypte et l'art de la guerre d'Amrû ibn al-'Âs (2015), je reprenais le fil des conquêtes musulmanes depuis la prise de Jérusalem jusqu'à Tripoli en Libye. Ce livre fut un tournant dans mon étude stratégique de l'islam, puisque les faits militaires de 'Amrû ibn al-'Âs m'ont permis de dépasser l'analyse des batailles, pour mettre en avant les aspects qui relèvent de la « grande stratégie » dans les conquêtes musulmanes, c’est-à-dire la prise en compte de facteurs non-militaires dans l’issue des conflits, notamment les facteurs idéologiques, civilisationnels, communicationnels et bien sûr politiques.

Je démontrais dans ce livre que la victoire des musulmans contre les empires perse et byzantin, n'était pas tant la conséquence d'une accumulation de victoires tactiques, que le fruit d'un projet sociopolitique et civilisationnel supérieur à ses concurrents et de la capacité des dirigeants musulmans à capter la sympathie, puis l'appui des populations locales aux dépens des autres empires.

A une échelle intermédiaire, ces victoires musulmanes découlaient d’une application parfaite de la stratégie universelle décrite par l’historien de la guerre Basil Liddle-Hart d’ « approche indirecte », et je ne pouvais que constater avec l'historien militaire canadien Richard A. Gabriel que les spectaculaires conquêtes musulmanes, uniques à l'échelle de l'histoire, reposaient moins sur le talent de ses célèbres généraux, que sur l'immense édifice civilisationnel et stratégique créé et légué par le Prophète (ﷺ) des années plus tôt :

« En ce sens, la révolution militaire initiée par Muhammad fut un événement qui bouleversa l’ancien monde et changea son histoire en créant les facteurs qui ont rendu possible les conquêtes arabes. Les transformations réussies par Muhammad dans la manière de guerroyer des Arabes, font de lui l’un des plus grands réformateurs militaires de l’ancien monde. (…) et c’est Muhammad qui a réformé la guerre des Arabes et façonné l’instrument militaire que ses successeurs ont utilisé pour établir le grand empire de l’Islam » (Richard A. Gabriel. Islam First General. P76)

En effet, on ne peut comprendre la réussite de Sayfollah, Khâlid ibn al-Walîd en Irak et en Syrie, de son ami de jeunesse, 'Amrû ibn al-'Âs en Egypte, de Sa'd ibn Abî Waqqâs en Perse ou de ‘Uqba ibn Nâfi’ au Maghreb, sans revenir à l'étude de celui qui, des années plus tôt, les avait tous formé et orienté, et plus encore qui avait créé le système civilisationnel, politique et militaire à la base de leurs propres conquêtes : le Prophète Muhammad (ﷺ). C'est à partir de là que je décidais de reprendre l'étude des conquêtes militaires musulmanes depuis leurs vraies origines en revenant à la biographie du Prophète (a).

Avec Histoire Politique de l'Islam, je me suis donné l'ambitieuse tâche de retracer l'histoire stratégique de l'islam depuis le Prophète (ﷺ) -et même avant en revenant à la création de la cité mekkoise par Qusay ibn Kilâb 150 ans avant l’avènement de l’islam-, en passant par la stratégie « coranique » pendant la période mekkoise qui consistait à poser les bases d’une civilité musulmane, avant de lui donner une forme politique à travers une « Cité », celle de Médine et enfin, par le biais de campagnes militaires qui aboutiront en premier lieu à la victoire contre l’adversaire mekkois, puis à la conquête de toute l’Arabie, achevée à l’aube de sa mort (ﷺ).

Il apparait ainsi que la méthode employée par Muhammad (ﷺ) pendant ces 23 années de mission prophétique a obéi à une planification parfaite et rigoureuse où chacun des trois niveaux (grande stratégie, stratégie et tactique) ont été déployés dans un ordre précis, chacun soutenant l’autre. Ce qui nous permet de représenter la relation entre ces trois niveaux sous la forme d’une maison avec les fondations qui représentent la « grande stratégie » (les aspects idéologiques et communicationnels –Da’wa-), les murs qui représentent le stratégie (dans ses aspects tant sociopolitiques que militaires) et le toit qui représente le niveau tactique (batailles) :

Comme on ne peut élever des murs sans fondations, et qu’à plus forte raison on ne peut installer un toit si les murs et les fondations n’ont pas d’abord été bâtis, des campagnes militaires ne peuvent être lancées et aboutir si elles ne reposent pas sur une vision stratégique, un modèle politique efficient et plus encore sur un projet de civilisation.

Après ces dix années de cheminement intellectuel parcouru, je regarde donc ce premier texte, Sayfollah, avec un regard renouvelé. Cette représentation permet de bien situer et mesurer ces batailles livrées une à une par Khâlid ibn al-Walîd : depuis la bataille de Uhud où il officiait comme chef de la cavalerie de l'armée païenne des Quraych, à ses dernières batailles légendaires en Syrie livrées contre l'empereur byzantin Héraclès, en passant par les guerres d'apostasie pour pacifier toute l'Arabie et ses incursions victorieuses dans l'Empire perse, cette épopée ne peut que susciter l’admiration, mais elle ne doit pas occulter tout le reste. Le génie tactique de Khâlid n’a pu porter ses fruits que parce qu’il était au service d’un édifice civilisationnel, idéologique, politique et stratégique érigé par le Prophète (ﷺ) et poursuivi par Abû Bakr puis ‘Umar.

L’histoire immédiate nous offre des exemples qui abondent en ce sens. Ainsi, certains mouvements combattants islamiques actuels ont échoué à ériger et maintenir un ordre politique stable, et ce malgré leur force tactique évidente. Cela tient essentiellement au fait que ces organisations ne proposent pas encore de projet de société et civilisationnel alternatif ou pertinent capable de supplanter le modèle occidental, et qu’elles se limitent à des opérations militaires en négligeant les questions de gouvernance, ce qui revient à vouloir poser un toit sans murs et sans fondations. Ou dit autrement : cela revient à vouloir reproduire les batailles de Khâlid, sans la stratégie d’Abû Bakr à Médine, et sans le projet civilisationnel de Muhammad (ﷺ).

L’histoire nous offre tant d’exemples de bons tacticiens et mauvais stratèges qui ont échoué, de généraux remportant batailles après batailles, mais perdant finalement la guerre par manque de vision stratégique et du fait d’un projet politique suscitant le rejet, comme l’illustre parfaitement les campagnes de Napoléon Bonaparte, ou plus proche de nous, Adolf Hitler. Ces deux hommes ont en commun d’avoir remporté de nombreuses batailles, mais d’avoir perdu la guerre pour des raisons relevant de la stratégie et de la grande stratégie, et notamment pour avoir commis la faute stratégique de combattre sur plusieurs fronts et d’avoir essayé de défendre à tout prix les extrémités d’un empire devenu trop vaste. Comme Napoléon en Espagne, Hitler commet l’erreur d’épuiser son armée dans des campagnes lointaines, dans le Caucase et en Afrique du nord malgré certaines victoires tactiques éclatantes. Plus encore, ces deux hommes ont voulu ériger des ordres impériaux et menaçants qui ont suscité l’aversion et l’esprit de résistance chez les populations visées.

Et à l’inverse, l’Histoire a produit des chefs de guerre perdant plusieurs batailles, commettant parfois des erreurs tactiques, mais supplantant finalement leurs ennemis grâce à une maitrise de la stratégie ainsi que de la « grande stratégie ». Salâh ud-Dîn (Saladin), en est l’exemple parfait : n’a-t-il pas perdu des batailles pour finalement gagner la guerre en appliquant minutieusement tous les principes de la Stratégie : conscient que la faiblesse des musulmans face aux royaumes francs, résidait avant tout dans leur division, il s’est d’abord évertué à unifier ses territoires au prix d’une paix avec l’ennemi croisé, respectant le principe de « ne pas multiplier les fronts »…

Tout ce travail n’a donc pas vocation à orner les rayons de bibliothèques ou de satisfaire la curiosité des lecteurs. Il repose sur la préoccupation de comprendre notre présent et de remédier aux problèmes actuels. Dans un monde où de grands ensembles, de grandes puissances reposent de plus en plus sur des identités religieuses et civilisationnelles (USA, Russie, Chine et même France), la Umma est maintenue dans l’émiettement et la faiblesse par les puissances sus-citées, mais aussi par les nouveaux Hérode arabes, clans et potentats locaux qui, alliés aux premiers, privent notre Umma de son unité et de sa puissance. Les terres de l’islam sont devenues l’échiquier sur lesquelles les nations extérieures placent et déplacent à leur gré leurs pions locaux, tandis que les populations musulmanes en sont réduites à observer la partie comme des spectateurs impuissants.

L’étude de la Stratégie, dans ses aspects autant politiques que militaires, s’impose donc à nous. Espérons que le présent livre incitera une nouvelle génération de musulmans à s’investir dans ces domaines fondamentaux de la pensée islamique, autrefois incarnés par les maghâzî.

A.S Al-Kaabi
Sousse, le 02/01/2018G soit ربيع الثاني 14/ H.1439

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