Remarque et réflexion autour de la Hijra
بسم الله الرحمن الرحيم
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Très souvent, lorsque les musulmans occidentaux vivent des moments éprouvants, des crises, des stigmatisations visant spécialement leur religion, ciblant sa pratique, quand certaines lois ou projets très problématiques pour nous sont évoquées ou mises en place dans ce pays, ou des actes islamophobes se développent (attentats, meurtres ou agressions), on constate que certains appellent avec virulence à la Hijra comme solution miracle fondamentale, celle capable de tout solutionner en un seul départ.
Certains appellent et rappellent la malédiction d'Allah sur les musulmans vivant en territoire non-musulman, l'humiliation attendue et inévitable qui touchera la communauté vivant dans ces conditions... Et pour fuir ce danger, il faut « faire la hijra »...
A travers Nawa Éditions, nous avons plusieurs fois évoqué ce sujet, explicitement ou indirectement. Il est inutile de rappeler le caractère islamique de la Hijra, réalité indéniable confirmée par le Coran, la Sunna et le Consensus; elle existe en tout temps, pour tous, en tout lieu et pour tout contexte. Nous ne sommes donc pas de ceux qui la nient, la réfutent, ou ni même la minimisent, d'autant plus que nous sommes très justement (et fortement) attachés à la division traditionnelle de l'espace mondial en ''Dar al Islam'' et Dar al Koufr''.
Mais nous sommes loin des utopies idéalistes et des visions théoriques qui, lorsqu'elles sont applicables sans profonde réflexion, mènent souvent à la catastrophe et au désastre (inutile d’évoquer à quoi je fais référence...). Nous sommes conscients de la réalité générale des conditions religieuses, politiques, sociales, humaines du monde actuel, de ses formes et de ses évolutions.
Cette conscience ne rime pas avec soumission, fatalisme et acceptation, ou bien conciliations, marchandages et artifices. Mais malgré notre attachement d'ordre dogmatique et religieux, nous savons que la réalité des concepts ''Dar al Islam/ Dar al Koufr'' s'estompent avec tous les processus liés à la mondialisation et à la diffusion son idéologie libérale mondialiste.
Certains ''imams prédicateurs'', profitant de la disparition de l'essence même de ces terminologies, les font fusionner en un seul vague et confus, hypocrite et vicieux, ''Dar al Salam mondial'', construction artificiel de néo-faqih, adepte du néo-ijtihad et de son Islam rationnaliste-libéral, prêt à être copié-collé à la mondialisation occidentale.
Sans fatalité, ni résignation, nous combattons ces différents processus par tout les moyens intellectuels à notre disposition : c'est le but de notre travail de conscientisation générale des musulmans en décryptant ces phénomènes dangereux qui, à terme, cherchent à annihiler l'Islam, son esprit et son message authentiquement (anti-) alter-mondialiste, c'est à dire, défendant un autre projet de civilisation pour l'humanité, que dire donc pour les musulmans eux-mêmes.
Mais nous ne pouvons pas nier les aspects de la réalité actuelle. D'ailleurs pour combattre efficacement les aspects négatifs de cette réalité et de son contexte qui s'imposent à nous, il faut la connaître en profondeur, tel est notre credo à Nawa (fiqh al waqi'). Et pour nous, ceux qui ne la combattent pas, ou ne la combattent pas comme il le faudrait, sont justement ceux qui ne perçoivent pas comme il le faudrait les fonds/formes, causes/conséquences, origines/évolutions de cette réalité.
Je voudrais souligner que dans sa terminologie originelle, et avec toutes les conditions qui lui sont liées, en examinant la littérature islamique sur le sujet, en étudiant tout les éléments probants qui s'en dégagent : il est (malheureusement) évident qu'il n'existe plus de réel ''Dar al Islam'' tel que l'ont expliqué nos anciens grands érudit1.
En évitant de rentrer complètement dans ce débat de fiqh, et pour résumer, il est évident que faire de de la condition de sécurité des musulmans l'élément central dans la définition du Dar al Islam, ou au contraire, par laxisme et facilité, considérer que le poids démographique de la population musulmane donne ce statut à la terre où elle réside est (très largement) insuffisant. Ces positions cherchent toutes à éviter de se confronter au principal problème et à la faille de notre réalité actuelle : l'absence d'entité réellement assimilable à un Dar al Islam du fait de l'absence de ces caractéristiques politiques et juridiques fondamentales.
Et bien pire, avec la mondialisation perturbant toutes les lignes de fracture, avec ces définitions partielles ou fausses, l'ont pourrait dire que certains quartiers, villes et même pays en occident font (feraient?) partie du Dar al Islam, puisqu'il assure la sécurité et/ou la majorité de la population est musulmane...Ce qui est, pour nous, une aberration proche d'un reniement historique du patrimoine islamique.
Comprenons bien que notre position n'est pas ici un simple choix d'avis traditionalistes parmi tant d'autres (quoique l'avis majoritaire est extrêmement clair dans cette définition)
« La majorité des savants ont déclaré : la terre qui est occupée par les musulmans et qui est gouvernée par l’Islam est dar al-Islam mais aussi longtemps que les lois de l’Islam ne sont pas instaurées, elle ne sera pas un dar al-Islam, même si elle est proche d’elle. » [Ibn Qayyim]
Mais c'est une conclusion logique confirmée par nos études historiques comparant Droits, Législations et Sociétés, passées et présentes, pour comprendre que la réalité du statut du Dar al Islam et les garanties minimales qu'il offrait auparavant aux intérêts supérieurs de l'Islam et des musulmans n'existent plus aujourd'hui en règle générale et dans l'absolu. Subsiste donc aujourd'hui seulement des ''Bilad al islam'', ''bilad al mouslimine'' : c'est à dire des territoires rattachés essentiellement par leurs histoires, par la religion et par la culture dominante, par la majorité de sa population et de ses traditions, à l'Islam.
Certains principes découlant de l'Islam et de sa shari'a y subsistent encore, d'autres y ont été annulés et remplacés, voire limités et interdits, et dans le même temps, nous avons le processus exactement inverse pour tout ce qui était jadis interdit et limité par cette même shari'a (en suivant les étapes bien connues de tolérance, relativisation, permission puis totale légalisation...).
La libéralisation progressiste et la sécularisation politique poursuivant leur œuvre, les fondamentaux de l'Islam qui régissent normalement une entité musulmane sont systématiquement déconstruits avant d’être minorés et éliminés. Et dans ses territoires, la réalisation des objectifs et des conditions -auparavant liés et garantis par une réelle entité politique appartenant au ''Dar al Islam''- est aujourd'hui très relative, fluctuante voire très incertaine. Lois, Normes, Devoirs, Droits, Sécurité, Cultures, en d'autre terme, tout ce qui peut garantir socialement une vie proche des idéaux islamiques ne sont plus absolus mais encore une fois très relatifs.
Dès lors, on peut même citer ce statut mixte (Dar mourakkab) qu'avait évoqué Ibn Taïmiyya dans sa fatwa pour Mardin : ni un vrai Dar Al Islam, mais pas encore un absolu Dar al Koufr, montrant (il ne le savait pas encore !!!) que Mardin symbolisait en réalité déjà la transition historique qui mène à notre situation actuelle... Quoi qu'il en soit, dans ces conditions, c'est bien le statut impératif de la hijra, c'est à dire obligatoire au sens absolu du terme, qui change pour l'ensemble des musulmans vivant en Occident pris dans leurs collectivités2.
Mais cela, sans que ce statut ne change pour la hijra elle-même, puisque son caractère islamique défini par les sources reste immuable. Là est le grand paradoxe à comprendre. Elle reste une réalité, un impératif, parfois même une obligation, mais perd pourtant de son caractère général absolu puisque dans la réalité actuelle, il n'existe pas de territoire garantissant pour le musulman l'intégrité des intérêts supérieurs de son Islam et de sa foi, de telle sorte que cela le placerait automatiquement dans une situation de responsable, coupable de son propre sort, celui de s’appesantir sur la terre où il est actuellement et d'y vivre alors qu'il y a ''clairement mieux ailleurs'' :
{Alors les Anges diront: “La terre d'Allah n'était-elle pas assez vaste pour vous permettre d'émigrer ? ” Voilà bien ceux dont le refuge et l'Enfer."} S. Les femmes - V.97
- On pourrait rajouter que parfois, les garanties offertes en Occident concernant les libertés individuelles permettent même d'affirmer l'Unicité (et tous ses principes) et de renier l’idolâtrie (et toutes ses filiations) avec une plus grande liberté que dans certains pays musulmans, mais ce serait entrer dans un long débat, demandant détails et approfondissement.
- On pourrait aussi ajouter qu'aucun pays musulman3 n'acceptera le retour massif de ses ressortissants émigrés immédiats, que dire alors de ces lointains descendants de 2éme, 3éme génération, voire de 4éme ? Sans même oser évoquer le cas des convertis de plus en plus nombreux.
La hijra est donc déjà très clairement individuelle et relative, et difficilement collective et absolue. De plus, le ''mieux ailleurs'' s’estompe à vue d’œil si l'on adopte une vue d'historien sur la longue durée, plus on avance dans le Temps plus les sociétés et les hommes se ressemblent. Avec la Mondialisation, l'uniformisation de l'humanité et de ses territoires relativisent de plus en plus les différences.
Tout devenant relatif, la hijra semble devenir elle-même ''absolument'' relative et toute personnelle : le musulman, en tant qu'individu conscient et responsable fait le calcul des avantages comparatifs pour statuer lui-même où et dans quelle condition sa vie islamique de musulman est la mieux protégée et la mieux garantie, selon ses propres capacités et limites (familiale, physique et financière). Ici interviennent sa conscience, sa morale, sa probité, son éthique pour effectuer avec exactitude ce calcul que personne ne peut réaliser à sa place. Mais aussi sa connaissance et sa maîtrise des réalités des terrains.
D'ailleurs, lorsque l'on étudie le sens profond de la hijra chez certains érudits, on comprend vite qu'elle était même valable pour le musulman vivant dans une contrée corrompue du ''Dar al Islam'' pour émigrer vers une autre contrée plus saine du ''Dar al Islam''. Que dire aujourd'hui alors que cet antique ''Dar al Islam'', corrompu ou sain, n'existe même plus dans sa forme originelle ?
La problématique pouvant donc même se poser pour certains musulmans aujourd'hui vivant dans certains ''bilad'', cela d'autant plus que la Mondialisation conquérante et l'uniformisation de la planète, la création d'une culture mondiale fait et fera très certainement que l'on ne vivra sensiblement pas différemment à Paris, Bruxelles, Marrakech, Dubaï, Le Caire, Birmingham ou Tunis : nous le vivons déjà et nous voyons ses processus de nos propres yeux.
Ceci étant dit, parmi les points fondamentaux que l’étude de la réalité contemporaine nous a permis de poser :
- 1/ La mondialisation est occidentale, ses principes, ses valeurs ses codes sont d'origine européenne et américaine. La nouvelle culture et ses néo-religions sont pensées, inventées, produites dans le monde occidental et diffusées au reste du monde, sous prétexte d'universalité ou de Modernité. Nous l'avons compris, expliqué et détaillé tout au long de nos œuvres.
- 2/ Le monde musulman, sous l'effet de la néo-colonisation (l’indépendance étant un mensonge historique selon la manière qu'on la définit) est dominé, soumis, acculturé, déstructuré. Il suit irrémédiablement, de gré ou de force, consciemment ou non, cette mondialisation, ses élites dirigeantes (politiques et intellectuelles) sont atteints (à des degrés divers, et selon des modalités différentes) par l'Occidentalisation et/ou adeptes de son modèle.
- 3/ Une grande partie des populations musulmanes ne possèdent pas et n'ont pas (ou peu) développé les antidotes et les anticorps pour résister aux différents processus liés à la mondialisation occidentale.
Même le traditionalisme, le conservatisme, le puritanisme religieux dont elles peuvent faire preuve, restent limités à la simple résistance aux assauts de la Modernité, sans capacité de l'affronter sur son propre terrain. Si l'on comprend tout cela à sa juste mesure, on s'aperçoit que les Musulmans occidentaux (''Croyants Pratiquants'' cela va sans dire...) sont comparable à Moussa ayant été recueilli et élevé dans la maison de Pharaon lui-même.
Ils vivent et ont grandit au milieu des sociétés qui imposent leurs modèles et leurs règles au reste de l'Humanité, comme Moussa, ils peuvent développer un caractère insoumis traçant sa propre voie, dans une vision non servile et sans complexe, rejetant l'imitation aveugle et l'ensemble de ces complexes psychologiques.
Dans cette optique, conscientiser les musulmans occidentaux est un des moyens de favoriser et de développer, au sein même de cet Occident dominateur, une nouvelle pensée et une nouvelle prédication islamique en direction du reste de l'humanité. Avoir le projet de développer cette élite avant-gardiste musulmane occidentale est le moyen le plus direct pour rebâtir une pensée islamique globale.
Tant que le rapport de force mondial est tel que nous le connaissons, il paraîtra très vite, que si les musulmans occidentaux misent tous sur une hijra dans des environnements de toute façon dominés par cet Occident qu'ils fuient, sans avoir la capacité de transformer cet environnement, le résultat sera doublement catastrophique : ils fuient une réalité pour un laps de temps en réalité court, une réalité qui les rattrapera (eux ou leurs enfants) et qu’ils n'auront plus aucun moyen de combattre...
Donc n'oublions pas que nous vivons là où se règle, où se décide, ou se forme la destinée du Monde : Tanger, Marrakech, Casablanca, Oran, Alger, Tunis imite ce qui se fait à Paris, Bruxelles, Marseille ou Barcelone ; Amman, Djeddah, Riyad, Dubaï et Abu Dhabi regardent plutôt NYC, Chicago, Los Angeles ou Londres.
Si les musulmans occidentaux, la partie la plus consciente d'entre eux, la plus formée idéologiquement et la plus pertinente, arrive à avoir une influence chez eux, ce n'est donc pas seulement sur leurs propres vies qu'ils influeront mais sur le reste du monde musulman. La présence de cette population musulmane pourrait donc être aussi un moyen de contrebalancer des tendances directrices pour l'instant très défavorables à l'Islam. Tout ceci est à prendre en compte de manière réfléchie en donnant du sens à l'Histoire.
Finalement : La Hijra n'est pas une solution globale et risque même d'être une énième fuite en avant dans une utopie aux lendemains qui déchanteront. Hijra, oui, affaire individuelle et personnelle, au cas par cas, mais sans oublier dans cette action pour soi et pour sa Foi de penser pour tous, selon le concept ''Agir local, penser global'', sinon elle ne reste qu'une fausse solution à un problème (très) mal posé qui mènera très certainement à un résultat quasi nul pour l'Islam...
! والله أعلم
Aïssam Aït-Yahya
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1 Chez les salafs, l'avis probant est assez clair. Chez nos contemporains, c'est bien évidemment autre chose, le problème étant très ''sensible'' dans leurs conclusions potentielles. On remarque que seuls l'affirment les plus honnêtes : courageux sont ceux qui le déplorent, ou alors déviants égarés qui se réjouissent des évolutions progressistes du Monde moderne. Quand à ceux qui le nient, soit ils s'attachent à des définitions simplistes, superficielles et minimalistes du Dar al Islam, soit le nient complètement pour sauver les apparences sans rentrer dans leurs détails, ne déranger personne et éviter les polémiques dangereuses.
3 Pays musulmans dont les états et gouvernements sont absolument immigrationnistes. Les politiques locales incitent la jeunesse à quitter le pays d'origine pour travailler et étudier à l'étranger. Cela a un double impact ''positif'' pour les gouvernants : alléger la pression socioéconomique sur le pays et favoriser l'entrée de devises étrangères par ses travailleurs immigrés. Ces gouvernements, dans une pure vision matérialiste, n'ont donc que faire ici des incidences sur l'Islam, ni de l’intérêt des musulmans en réalité.
As'salamo alaykum. Je me permets de souligner l'erreur de frappe au niveau du verset: {Alors les Anges diront: “La terre d'Allah n'était-elle pas assez vaste pour vous permettre d'émigrer ? ” Voilà bien ceux dont le refuge EST l'Enfer."} S. Les femmes - V.97 Il manque un S à la fin du verset. I.
salam alaykoum chers frères,Puisque vous citez Birmingham: pensez-vous reellements qu'entre l'Angleterre et la France, la vie, la liberté individuelle et collective des musulmans, ainsi que leur potentiels d'action soient vraiment du même ordre ? Je suis très surpris de cela.Le cas de l'Angleterre est vraiment important à analyser lorsqu'on parle de rester vivre en France. Vous, et d'autres organismes utiles et que je considère comme les fers de lance de la Oumma française (j'inclue barakacity par exemple) êtes sur la sellette à chaque épisode d'attentats, et à chaque fois je me dis que votre potentiel d'action serait plus grand et plus serein outre Manche. Vous êtes encore debout et actifs Al hamdouliLlah, d'autres, comme la précieuse association Sanabil, ont du être dissoutes. En serait-il de même s'ils étaient basés en Angleterre ?J'aimerais vraiment connaître votre avis sur l'Angleterre, sans rester sur une simpliste analyse qui voie au modèle anglo-saxon une danger plus grand, car invitant plus facilement le musulman à s'assimiler. C'est vrai, mais le musulman français, stable et clairvoyant sur sa 'aqida, non seulement ne peut pas tomber dans ce piège, mais peut apporter beaucoup à la communauté anglo-saxonne dans ce point de vue.J'aimerais vraiment avoir votre avis sur ce pays en terme d'installation sur le moyen terme, car la lecture de cet article me fait penser que vous n'avez pas saisie à quelle point l'Angleterre était un cas très différent du reste de l'Europe.qu'Allah vous récompense.