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La lettre palmyrienne – Présentation de l’ouvrage 2/2

La lettre palmyrienne – Présentation de l’ouvrage 2/2

Ceci est la présentation du livre d’Ibn Taymiyya intitulé “Tadmuryya” (lettre palmyrienne) par le traducteur

Aux vues de la grande complexité de ces deux épîtres, il nous est apparu fort utile d’apporter un résumé succinct pour présenter les différentes parties du texte d’Ibn Taymiyya et offrir une vision générale sans mentionner les détails et les innombrables digressions qui font la spécificité des ouvrages de Shaykh al-Islâm.

[...]

II LA SECONDE ÉPITRE

Dans la seconde épitre, Ibn Taymiyya rappelle le fil rouge de son ouvrage : le tawhîd appliqué au langage et appliqué à l’action, ce qui l’amène tout d’abord à définir le concept d’islâm. Il remarque que malgré la diversité des prophètes et des époques, l’Islam doit être compris comme un seul et même message : le rejet du polythéisme ou tawhîd.

1.0 Qu’est-ce que le tawhîd ?

Comme toutes les tendances déviantes se sont appropriées ce concept de tawhîd pour lui donner de mauvaises définitions, il commence par contester ces définitions et prouver leur inanité. Ainsi, la plupart des rationalistes se bornent à reconnaitre le principe d’« unicité régalienne » (rububiyya) qui stipule qu’Allah est le seul Créateur. Il remarque que ce type de tawhîd existait déjà chez les païens, et qu’il ne suffit donc pas à se démarquer des incroyants. L’Islam exige de surcroit l’ « unicité de la déité » (uluhiyya), qui consiste à reconnaitre Allah comme le Seul digne de recevoir un culte :

En réalité, la vraie définition d’« Allah » est celui qui mérite d’être adoré : il est ilâh (divinité) dans le sens de malûh (celui qui est adoré). « Il n’est d’autre dieu » signifie que rien d’autre n’est digne de recevoir un culte. Le Tawhîd signifie donc qu’Allah doit être adoré seul et sans associé, et le polythéisme consiste à reconnaitre d’autres divinités qu’Allah.

Pour les mutazilites l’« unicité divine » consiste à renier tous les attributs divins. Selon eux, Il doit être dépouillé de tout attribut et de tout particularisme, et se définir uniquement comme un concept abstrait. Ils considèrent donc les attributs divins décrits dans le Coran comme une entorse au pur monothéisme. Chez certains soufis, la finalité suprême du tawhîd réside dans la doctrine de l’unité de l’Être et son application concrète qui est le fanâ ou « extinction en Dieu ».

Le dévot soufi affirme ne faire qu’un avec le divin en effaçant tout ego et tout particularisme. Pour Ibn Taymiyya, le véritable tawhîd consiste en réalité à bien comprendre et mettre en application les deux formules de l’attestation de foi musulmane : « J’atteste qu’il n’est d’autre dieu qu’Allah » et « J’atteste que Muhammad est le messager d’Allah » :

En vérité, reconnaitre qu’Allah est le Souverain, le Roi et le Créateur de toute chose ne suffit pas à être sauvé du Châtiment, si on n’y ajoute pas la reconnaissance « qu’il n’est d’autre dieu qu’Allah », c’est-à-dire que personne d’autre qu’Allah ne mérite l’adoration, et que par ailleurs Muhammad est le Messager d’Allah, c’est-à-dire adhérer à tout ce dont il a informé et obéir à tout ce qu’il a ordonné. Il est donc indispensable de détailler ces deux principes.

Pour comprendre toute la spécificité du message monothéiste, il est nécessaire de définir ce à quoi il s’oppose : l’idolâtrie sous toutes ses formes. L’Islam enjoint à ne réserver l’adoration, la révérence et la confiance qu’en Allah seul, tandis que « les devoirs qui nous incombent envers le Prophète (صلّى الله عليه و سلّم) se résument à avoir foi en lui, lui obéir, le suivre, l’agréer, l’aimer, se soumettre à son jugement, etc. ».

2.0 Comment concilier Loi et Destin ?

Maintenant que le véritable monothéisme a été défini, une autre question émerge, celle de la relation paradoxale entre la liberté individuelle qu’implique la Loi religieuse, et le déterminisme qu’implique la foi au Destin. Ibn Taymiyya commence par énumérer les fausses croyances sur cette question, en les divisant en trois approches :

1) les approches de type mazdéiste
2) les approches de type paganiste
3) les approches de type sataniste

Les premiers ne reconnaissaient que la Loi et rejetaient le Destin, les seconds ne reconnaissaient que le Destin et rejetaient la Loi, et les derniers affirmaient que la religion est contradictoire en enseignant simultanément ces deux credo. Contrairement à toutes ces tendances, les croyants reconnaissent simultanément leur responsabilité à respecter la Loi religieuse qui comprend commandements et interdits, et la prédestination de leurs actes par Allah, tout en étant conscient qu’il n’y a en réalité aucune contradiction entre ces deux points.

Il conteste ainsi la doctrine de l’atomisme des acharites qui affirment qu’à chaque instant, Allah crée une cause matérielle pour faire appliquer le Destin. Ces derniers prétendent que les phénomènes matériels ne sont qu’une série de « miracles » dans le sens d’interventions divines directes. Ibn Taymiyya affirme quant à lui qu’Allah n’agit pas « avec » ces causes matérielles, mais « par » ces causes ; c’est-à-dire qu’une série de causes complexes produit la réalité prédéterminée :

Celui qui affirme qu’Allah agit « avec » ces causes, et non « par » ces causes, est en opposition avec les informations révélées dans le Coran et renie les forces et les phénomènes physiques ce qui revient à contester les forces vitales qu’Allah a placées dans les êtres vivants. C’est cette force qui permet aux animaux et aux humains d’agir et de pouvoir.

Il note que la négation de la Loi au nom du Destin implique d’effacer la distinction entre le Bien et le Mal, alors que la Loi religieuse a justement pour fonction de déterminer cette frontière entre Bien et Mal, et par voie de conséquence entre Bienfaisants et Malfaisants :

Les uns ne font pas de distinction au sujet de Sa création et de Son ordre entre la bonne voie et l’égarement, entre l’obéissance et la rébellion, entre les bien-guidés et les iniques, entre les habitants du Paradis et ceux de l’Enfer, entre la miséricorde et le châtiment.

Ceux qui, inversement, reconnaissent la Loi et donc la distinction entre Bien et Mal, mais rejettent le Destin en prétendant que Dieu ne pourrait être à l’origine du Mal qui existe dans le monde, Ibn Taymiyya leur rétorque que cet argument est absurde car il suppose qu’Allah est soumis aux mêmes règles et contraintes que les hommes : ce qui est mal à l’échelle de l’individu humain, serait mal pour Lui. Tout aussi condamnable est l’antinomisme[1] de certains courants soufis qui affirment que la Loi religieuse ne s’applique plus à celui qui a atteint un certain degré d’extase mystique et d’ « extinction en Dieu » (al-fanâ).

Mais en application de la deuxième règle énoncée dans la première épître, qui consiste à reconnaitre et distinguer la part de vrai qu’il y a dans les expressions utilisées par les tendances déviantes, Ibn Taymiyya se défend de rejeter catégoriquement la notion de fanâ, et distingue trois sens qui sont donnés à ce mot, en précisant que le concept de fanâ peut recouvrir une signification parfaitement légitime. Il s’agit de réserver tout le culte, l’adoration à Allah. En réalité, Loi et Destin sont parfaitement compatibles et se développent sur deux plans.

Tout d’abord, la Loi religieuse implique l’effort continu pour mettre cette loi en application et la demande de pardon et le repentir pour les négligences. Malgré cette conscience de la responsabilité individuelle, le croyant sait aussi qu’il ne peut rien par lui-même et qu’Allah est maitre du Destin. Cette prise de conscience de sa propre indigence et de la toute-puissance divine doit l’inciter à demander à Allah Son aide pour pratiquer la Loi et supporter les calamités qui le frappent en étant conscient qu’elles ont été décrétées par Allah.

Par ailleurs, les actes d’adoration, pour être valides, doivent à la fois être sincères et conformes à la Sunna. Les hommes sont donc de quatre sortes concernant la conciliation entre Législation et Destin :

1) ceux qui sont conscients qu’Allah est à la fois Celui qui initie l’action et qui en est le destinataire
2) ceux qui sont uniquement conformes à la Législation religieuse, mais sans prendre en compte le Destin
3) ceux qui sont confiants et tempérants, mais ne se conforment pas à la Sunna
4) ceux qui ne sont ni sincères, ni conformes à la Législation

Enfin, Ibn Taymiyya termine son ouvrage sur l’exposé de la doctrine « salafiste », c’est-à-dire l’idée que les premières générations de croyants représentent le modèle par excellence dans la compréhension et l’application de la religion du fait de leur proximité temporelle avec la révélation prophétique :

La religion d’Allah n’est autre que ce que les Messagers et les livres saints ont enseigné. C’est la voie droite, celle des compagnons du Messager d’Allah (صلّى الله عليه و سلّم), la meilleure génération, l’élite de la Oumma et les meilleurs des hommes après les prophètes.

A une époque où philosophes, rationalistes et ésotéristes affirmaient ouvertement ou non la supériorité de leurs maitres à penser (notamment Aristote pour les philosophes et Ibn Arabi pour les soufis), Ibn Taymiyya faisait l’éloge des compagnons et des premières générations pour rappeler que la compréhension de l’Islam, du tawhîd et des noms et attributs divins est naturellement supérieure chez ceux qui ont été les témoins de la révélation.


La traduction

Le vocabulaire précis et complexe d’Ibn Taymiyya m’a contraint à utiliser certains néologismes afin de traduire des notions qui n’existent pas en français, mais aussi éviter d’utiliser de longues expressions pour remplacer les mots arabes, et faciliter ainsi la lecture :

- Rationalistes (ahl al-kalâm) :

Un dilemme s’est d’abord posé pour la traduction du terme Mutakallimûn ou Ahl al-Kalâm qui revient fréquemment dans ce texte. Ce mot est généralement traduit par « théologiens » ou « théologiens spéculatifs » par les orientalistes. Cette première traduction est correcte dans la mesure où la théologie, contrairement au sens courant de « science religieuse », désignait dans l’Europe du Moyen-âge les doctes chrétiens qui ont emprunté la méthode aristotélicienne et logique dans l’étude de la religion, sous l’influence directe d’ailleurs des philosophes arabes (falâsifa) et des Ahl al-Kalâm. Les Mutakallimûn sont donc l’équivalent dans le monde musulman des théologiens chrétiens.

Dans d’autres traductions, j’ai moi-même souvent utilisé le mot « dialecticiens » pour traduire ahl al-kalâm, car le mot kalâm (littéralement « parole ») était la traduction en arabe du concept philosophique de « dialectique », dans le sens de « débat », « échange de parole », qui est considéré comme le moteur de l’activité philosophique pour parvenir à la Vérité. Les Ahl al-Kalâm se distinguaient ainsi des autres courants de pensée, car ils ne se disaient pas ouvertement disciples de la philosophie hellénistique, mais lui empruntaient la Logique et la méthode dialectique.

Cependant, pour ce livre, j’ai opté pour le terme « rationalistes », qui me semble être le concept le plus adapté pour qualifier ce courant idéologique, en le distinguant à la fois des « traditionnalistes » et des vrais philosophes (falâsifa). Car le dénominateur commun de toutes les tendances d’Ahl al-Kalâm consiste à donner la primauté à la Raison sur la Révélation dans l’élaboration du credo.

- Comparationnisme (tamthîl) :

Dans ce texte, le « comparationnisme » traduira le concept arabe de tamthîl, ou « le fait de comparer abusivement Dieu aux créés », et les comparationnistes sont les personnes qui se rendent coupable de cela. Il était nécessaire d’utiliser ce néologisme pour bien distinguer le tamthîl de l’anthropomorphisme (tashbîh).

- Abstractionnisme (ta’tîl) :

J’ai traduit ta’tîl par « abstractionnisme » et non par « dépouillement » comme on le voit souvent ; tout d’abord parce que ce dernier terme est disgracieux, et deuxièmement parce que le mot « abstractionnisme » convient sans doute mieux au sens qu’Ibn Taymiyya donne à l’accusation de ta’tîl. Les rationalistes réduisaient Dieu à un concept abstrait, dépourvu de toute spécification, car les idées et les concepts étaient selon eux supérieurs aux être réels.

- Affirmationnistes (muthabbata) :

Les affirmationnistes sont tout simplement ceux qui « affirment », reconnaissent l’ensemble des noms et attributs divins contenus dans la révélation. Ibn Taymiyya se classe lui-même dans cette catégorie des « affirmationnistes » qui reconnaissent la validité de tous les noms et attributs divins en s’opposant aux « dénégateurs d’attributs ».

- Négateurs (nufât) :

A l’opposé des affirmationnistes, se situent les dénégateurs d’attributs, qu’Ibn Taymiyya réduit parfois au terme nufât, littéralement « négateurs ».

-Attributionnistes (sifâtiyya) :

Ce terme n’apparait qu’à la fin de la première épitre. Ibn Taymiyya utilise cette appellation pour désigner les oulémas qui reconnaissaient les attributs divins contenus dans la révélation, tout en se disant impuissants à les démontrer rationnellement. Ils professaient donc indirectement une forme de contradiction entre Révélation et Raison, ce qui contrevient à la voie d’Ibn Taymiyya qui affirme la parfaite « cohérence entre Raison et Révélation » et la possibilité de justifier par des procédés logiques l’emploi des noms et attributs divins contenus dans le Coran.

- Métaphoristes (ahl at-Ta-wîl) :

Les métaphoristes sont ceux qui considèrent qu’une partie ou la totalité du texte révélé doit être compris selon un sens allégorique ou symbolique. Concernant le sujet des noms et attributs divins, ils affirment qu’ils ne doivent pas être compris dans le sens premier et apparent, mais comme des notions.



A.Soleiman Al-Kaabî
Extrait du livre “La lettre palmyrienne“, p.15 à p.34

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[1] Antinomisme = rejet des normes ; en l’occurrence rejet de la loi religieuse.

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