L’utilisation des sources chrétiennes et juives, prohibé ?
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Les thèses présentes dans nos livres sur les origines du christianisme et le nazaréisme n’ont pas leur équivalent dans les textes musulmans « classiques », comme les commentaires du Coran d’Ibn Kathîr et d’autres. Ces auteurs n’avaient qu’une connaissance superficielle de l’histoire du christianisme primitif, ce qui les amené à commettre certaines erreurs, comme le fait de considérer Paul de Tarse comme un véritable apôtre de Jésus.
Ces erreurs sont le fait qu’ils rechignaient le plus souvent à étudier en profondeur les textes étrangers à la tradition musulmane, et notamment les textes juifs et chrétiens, ce qui représente un défaut méthodologique et une entorse au fameux verset {Consultez les gens de dhikr si vous ne savez pas} (Coran 16.43). Dhikr est généralement traduit ici par « savoir », « rappel », mais il désigne clairement « ce qui tient en mémoire » ; dans le sens de « chroniques », « mémoires », « annales ».
Il s’agit donc d’une incitation à consulter et étudier les textes antérieurs à l’Islam qui mentionnent les prophètes, ce qui implique prioritairement les textes juifs et chrétiens, comme le précise Ibn ‘Abbâs dans son Commentaire, et comme l’indique le contexte du verset :
{Nous n’envoyâmes avant toi que des hommes à qui Nous délivrions une Révélation, alors consultez les gens de dhikr si vous ne savez pas}.
La démarche des Musulmans consistait à se méfier des Evangiles et des textes israélites (al-isrâiliyât) en tant que textes révélés énonçant une Vérité incontestable sur laquelle une doctrine pourrait être énoncée, à l’instar du Coran et de la Sunna en Islam. Il serait en effet erroné d’utiliser des passages des textes israélites ou chrétiens comme des arguments décisifs pour émettre un avis religieux. Mais l’étude de ces textes judéo-chrétiens est essentielle même dans la compréhension du message de l’Islam et la véracité du Prophète Muhammad, comme l’indique ce verset :
{Ils disent « tu n’es point un Envoyé ». Dis : « Allah me suffit comme témoin, ainsi que ceux qui sont versés dans le savoir du Livre »} (Coran 13.43)
Pour Ibn ‘Abbâs, « ceux qui sont versés dans le savoir du Livre » désigne les érudits juifs convertis à l’Islam tel que le compagnon Abdullah Ibn Salâm et Âsif Ibn Barkhya et le Livre n’est autre que la Bible (Biblos = Livre). Ces musulmans versés dans l’étude des textes testamentaires y trouvaient les annonces de la venue du « Prophète », du « nouveau Moise », etc. De plus, la connaissance de ces textes et de l’histoire des Hébreux et la naissance du christianisme offre une vision historique d’ensemble qui permet de mieux comprendre l’essence de l’Islam.
En effet, il faut comprendre que ces textes ne se présentent pas comme des « Révélations », mais davantage comme des documents historiques, bien qu’ils aient une valeur « religieuse » pour les fidèles Juifs et Chrétiens. Le Coran nous enseigne en effet qu’il y a eu dans l’histoire une « progression » en trois étapes de la Révélation divine. Moise tout d’abord est qualifié dans la tradition musulmane de l’ « interlocuteur de Dieu » (kalîm Allah), à partir du verset : {Allah parla à Moise directement} (Coran 4.164).
Moise parlait directement à Dieu comme l’atteste cet extrait de l’Ancien Testament : « Je lui parle bouche à bouche, je me révèle à lui sans énigmes, et il voit une représentation de l’Éternel » . Il rapportait les paroles divines à un premier cercle de disciples, appelés dans le Coran rabbâniyûn (rabbins, maitres, chefs, élite, lettrés) et ces derniers couchaient par écrit ces révélations et l’enseignait au peuple hébreux :
{[…] mais soyez des rabbâniyûn pour ce que vous enseignez du Livre et pour ce que vous étudiez} (Coran3.79).
Le texte que les Israélites ont hérité ne représente donc pas la matière première de la Révélation, mais un témoignage humain. Le lecteur de la Thora est séparé de la parole divine par deux intermédiaires : Moise, puis les Scribes. L’avènement de Jésus constitue une étape supplémentaire dans le processus de Révélation, car ce dernier est le « Verbe de Dieu » (kalâm Allah) : {Ô Marie, Dieu t’annonce la naissance de Son Verbe, son nom est le Christ, Jésus fils de Marie} (Coran3.45). Contrairement à Moise qui part s’isoler dans les montagnes du Sinaï pour recevoir les paroles de Dieu, Jésus s’exprime directement avec l’inspiration divine. Les paroles qu’il prononce en public sont la révélation divine elle-même.
Le vrai Evangile n’a donc jamais existé sous la forme d’un texte, comme l’indique la signification étymologique arabe d’Injîl : « autorévélation » ou révélation « intérieure ou intrinsèque » . Les apôtres de Jésus et ses contemporains vont ensuite « rapporter » l’Evangile aux autres, et parfois le mettre à l’écrit. Ceux qui lisent les textes évangéliques ne sont plus séparés de la parole de Dieu que d’un intermédiaire : celui qui rapporte les propos de Jésus, qui ne sont autres que le « Verbe ».
Enfin le Quran ou « Lecture magistrale » incarne l’aboutissement du processus de Révélation divine, puisqu’il s’agit d’un Livre révélé que Muhammad divulgue et transmet à la lettre. Dieu s’exprime à la première personne et s’adresse dans ce Texte directement à tous les Hommes. La parole divine épouse désormais la forme d’un Livre autonome et distinct du Messager qui l’apporte, un Texte lisible à toutes les époques sans l’intermédiaire un prophète ou d’un lettré.
Dans nos ouvrages, les Evangiles reconnues par le christianisme trinitaire, les épitres de Paul, l’ancien testament, ainsi que d’autres textes sont considérés comme des documents empiriques, au même titre que les écrits de Tite-Live, Flavius Josèphe ou Jordanes. Ils sont abordés et traités comme n’importe quel autre témoignage humain et historique, qu’il faut vérifier, contextualiser et confronter à d’autres sources, notamment révélées.
Pour l’étude du Coran, cette méthodologie permet de « documenter » les versets coraniques, de compléter les informations qu’ils délivrent et améliorer par conséquent notre compréhension des sujets traités dans le Coran. C’est un exemple de complémentarité entre savoir révélé et savoir empirique, qui est le fil rouge de tous nos écrits.
A. Soleiman Al-Kaabi
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